Depuis sa faillite retentissante en 2013, la renaissance de Détroit* est régulièrement annoncée. Les signes sont pourtant loin d’être probants. Peu importe : le mythe est devenu plus fort que la réalité.
La renaissance ? Depuis l’élection du premier maire noir de Détroit en 1973, les candidats n’ont eu de cesse de la promettre et les énormes cylindres de verre du ‘Renaissance center’ inaugurés en 1977 de la proclamer. Mais en 2008, la renaissance en prend un sérieux coup. En pleine crise des ‘subprimes’, le maire est déchu de son mandat pour détournement de fonds publics, extorsion et fraude fiscale. Son successeur, David Bing, ex-basketteur, ne s’engage pas seulement à mettre de l’ordre dans les finances, il est le premier à tenir un discours de vérité : Detroit, shrinking city, ne retrouvera pas ses 2 millions d’habitants. Mais la prise de conscience vient trop tard. En 2013, après un long et lent naufrage, c’est la faillite.
Plombée par une dette de 18 milliards de dollars, la ville se place sous la protection du chapitre 11 pour se donner les moyens de négocier avec les banques. Avant, de grandes villes comme New York, Cleveland et Philadelphie s’étaient déjà retrouvées au bord du gouffre. Au Japon, l’ancienne ville minière de Yubari, au Japon, a même été la première ville du monde à faire faillite en 2006. Mais il ne s’agissait que d’une ville de 13 000 habitants quand Détroit en compte 700 000.
Des investissements qui commencent à dater
Détroit est-elle en passe de se relever ? Si la presse l’affirme régulièrement, les exemples censés l’attester commencent sérieusement à dater. Propriétaire de l’équipe de basket des Cleveland Cavaliers, le milliardaire Dan Gilbert, issu d’une famille ouvrière de Détroit, a décidé d’installer ses activités à Détroit. Mais l’annonce de cette décision, aussi importante soit-elle, remonte à 2007 et l’emménagement à 2010. Même constat pour les fameuses campagnes Chrysler signées « Imported from Détroit ». Le premier film montrait Eminem, le célèbre rappeur local, traversant la ville avant de descendre devant le mythique Fox Theater, de rejoindre la scène et de lâcher « This is Motor City ».
Dans le second film, diffusé peu de temps avant la réélection d’Obama, Clint Eastwood, pourtant républicain dans l’âme, décrivait des gens sans travail et se demandant tous ce qu’ils allaient faire, avant de conclure « Les gens de Detroit en savent un peu plus à ce sujet ». Mais, là encore, ces campagnes remontent à 2011 et 2012. De même que l’installation de Shinola au sein du College of Creative Studies dans l’emblématique ‘Argonaut Building’, érigé par le célèbre architecte Albert Kahn, remonte, elle aussi, avant 2013. Depuis, Chrysler a changé de slogan en adoptant « America’s Import » et les annonces comparables à celles de Dan Gilbert ou de Shinola se sont raréfiées.
Quant au rachat de la gare de Détroit par Ford pour sa reconversion, ce n’est hélas pas le premier projet resté sans lendemain. En 2008, les précédents propriétaires déclaraient déjà que le vrai problème n’était pas tant de trouver le financement que de proposer un usage rentable pour le bâtiment.
Le mirage des bonnes affaires immobilières
Une économie « flat » ? Il en faudrait plus pour venir à bout du mythe de la renaissance, ne serait-ce que parce que l’implantation d’une entreprise ou le lancement d’un programme d’investissement suffisent à accréditer l’idée d’un frémissement. Surtout, la possibilité d’effectuer de bonnes affaires sur le marché de l’immobilier prouverait que, même discrète, la renaissance n’en est pas moins réelle.
Il est vrai que le prix du mètre carré est à la hausse ces dernières années. Mais le marché revient de très loin. Par ailleurs, le frémissement s’explique moins par une forte demande que par une offre quasi inexistante dans les quartiers les plus prisés et des prix particulièrement bas. En dehors de Midtown et de Downtown, l’investissement immobilier reste un exercice à haut risque.
Après avoir affirmé que Détroit offrait des perspectives de « rentabilité locative supérieure à 10 % net », Le Monde appelle à la prudence en soulignant la difficulté de trouver des locataires solvables dans « des quartiers où la réputation des écoles est médiocre, un facteur clé de l’appréciation d’un bien immobilier pour les Américains ». Il n’empêche. Le mythe de Détroit conjugué à la promesse d’un excellent retour sur investissement fait perdre le sens des réalités. En 2020, plusieurs centaines de Français ont ainsi perdu leur mise dans le cadre d’une escroquerie immobilière de plusieurs millions de dollars.
La décroissance comme alternative
Plutôt que de « renaissance », d’aucuns proposent de parler de « transformation » ou de « transition » vers une nouvelle économie urbaine et un nouveau modèle social, plus solidaire et en phase avec la nature. Le fait est que Détroit joue aujourd’hui le rôle de vitrine pour la culture des « Doer », celle de l’apprentissage par le « faire », étendue à (presque) tous les domaines mais le recyclage et la réparation, l’agriculture urbaine et bio, les écoquartiers, les entreprises d’insertion…
Depuis 2011, Maker Faire Détroit expose chaque année de nombreux projets sur la question des énergies renouvelables. Des projets politiques telle que la Detroit Digital Justice Coalition (DDJC) se donnent pour objectif de « réduire la dépendance des habitants face aux géants des télécommunications et de cimenter les communautés grâce à la maîtrise des technologies numériques ». Mais pour une ville de plus de 600 000 habitants, ces expérimentations, aussi intéressantes soient-elles, n’en restent pas moins marginales et ne peuvent faire oublier que pour l’immense majorité de la population, la rupture avec la société de consommation découle de la pauvreté et non d’un choix politique.
Le culte des signaux faibles
Le paradoxe de Détroit ? L’ampleur de la catastrophe offre plus de raisons de croire en une renaissance que de tourner définitivement la page. En même temps que la faillite sanctionne une longue descente aux enfers, l’idée s’est installée que la ville a atteint le fond et qu’à partir de ce stade, elle ne peut que remonter. Sa devise ne proclame-t-elle pas « Speramus meliora, resurget cineribus » (Nous espérons que des choses meilleures surgiront des cendres) ?
Détroit à l’espoir chevillé au corps. A moins que Détroit soit devenu l’incarnation même de l’espoir. Un espoir si fort qu’à l’inverse de Saint Thomas, les journalistes ne s’y rendent pas pour vérifier de leurs yeux la réalité de la renaissance de Détroit mais pour y trouver coûte que coûte des preuves de ce rebond.
De la même façon que La Presse annonçait le renouveau de la ville quelques mois avant sa faillite, l’AFP nous apprend le 1er janvier 2015 que Détroit est « prêt pour une nouvelle ère ». Afin d’étayer la thèse du redémarrage (fut-il timide), le journaliste ne jette pas un œil sur les finances de la ville, ni sur les chiffres de l’économie. Il préfère s’en remettre aux signaux faibles, censés être précurseurs d’une nouvelle tendance, à savoir des galeries d’art qui « ont ouvert dans le centre-ville et profitent du trafic piéton », des « gens (qui) font la queue pour avoir une table au restaurant Delicatessen » ou encore de la décision de Dan Gilbert de faire appel à « l’un des cabinets d’architectes les plus connus de New York pour redessiner le site aujourd’hui vacant des grands magasins Hudson ». Et peu importe que ces manifestations de la vie locale soient bien dérisoires à l’aune de la situation dramatique de la ville.
Cette vérité que l’on ne veut pas entendre
La solution, tout le monde la connait. Il faudrait redensifier certains quartiers et transformer en parcs ou en zones rurales ceux qui sont désertés. Mais si le déplacement des populations des zones sinistrées vers des zones plus denses, plus faciles à desservir, présente les apparences du bon sens, il faudrait convaincre les habitants, les dédommager, racheter leurs maisons à bon prix, effectuer les relogements… Ce que la municipalité n’a pas les moyens de faire.
En 2013, Détroit est passée sous le seuil des 700 000 habitants. Les efforts pour favoriser l’embourgeoisement du centre-ville ont globalement échoué. Les jeunes artistes sont trop peu nombreux et trop peu argentés pour changer la donne. Les ingénieurs venus travailler dans le high-tech s’installent rarement Downtown. Quant aux habitants des périphéries, ils n’ont aucune envie de revenir en centre-ville et encore moins envie de payer pour son redressement. Qui a envie d’entendre cette vérité-là ?
Franck Gintrand
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*Lire également Détroit aux USA et villes moyennes en France : même destin, même déclin ? et Pour en finir avec l’agriculture urbaine à Paris (et ailleurs)