Pour la Communauté de communes Pays Haut Val d’Alzette maître d’ouvrage, dans un contexte inouï, K Architectures (Karine Herman et Jérôme Sigwalt) a livré en septembre 2022 à Villerupt (Meurthe-et-Moselle) le pôle culturel de Micheville, un équipement de 3 272 m² et tiers-lieu hybride à la rencontre des arts numériques, des industries créatives et des pratiques artistiques multiples. Budget 11,9 M€. Villa Malaparte pour l’inspiration ? Communiqué.
Contexte
Villerupt est une petite ville lorraine bâtie à la frontière du Luxembourg sur des sous-sols chargés autrefois de minerai de fer. Elle va suivre l’essor fulgurant de l’exploitation de cette ressource en passant de 560 habitants en 1861 à plus de 16 000 un siècle plus tard.
Beaucoup d’Italiens viendront pourvoir les dizaines de milliers de postes d’ouvriers nécessaires à l’extraction et à la transformation de millions de tonnes de matière. Quatre générations se succèderont jusqu’à l’épuisement de la ressource. Plus de cinquante ans plus tard, un grand nombre de Villeruptiens demeurent attachés à leurs racines italiennes et Villerupt organise chaque année un festival du cinéma Italien d’envergure nationale.
Par ailleurs, presque toutes les installations industrielles ont été démantelées mais le paysage garde de nombreux vestiges de cette période. Des murs de soutènement géants en sont les plus spectaculaires. C’est au pied de l’un d’entre eux que l’Arche est bâtie.
Enjeux
Villerupt est la ville centre d’un chapelet de communes bâties dans la vallée de l’Alzette. Ces voisines, réunies par la même histoire industrielle, sont désormais toutes liées à la demande massive de main-d’oeuvre appelée par le Luxembourg. Ces communes se sont regroupées dans un grand projet commun de dépolluer une vaste friche industrielle et d’y bâtir un nouveau quartier d’avenir.
Symboliquement, le premier bâtiment à sortir de terre sur cet espace est L’Arche avec, notamment, le dessein de décrocher le titre de « capitale européenne de la culture » en partenariat avec sa voisine luxembourgeoise, Esch-sur-Alzette. L’objectif a été atteint en 2022 avant même sa livraison définitive.
L’Arche a été programmée comme un tiers-lieu culturel hybride à la rencontre des arts numériques, des industries créatives et des pratiques artistiques multiples. C’est un lieu de vie et de partage où l’on trouve un bar-restaurant, un cinéma, une salle de spectacles, un fablab et une galerie d’art numérique immersive.
Concept
L’Arche est bâtie au pied d’un mur monumental. Ce mur haut et épais, édifié en pierres, soutenait une plateforme technique sur laquelle était déchargé le minerai extrait avant d’être acheminé dans les aciéries en contrebas.
Face à ce paysage saisissant qui aurait pu inspirer le « mur » de la série « Game of Thrones », face à cette histoire ouvrière qui a créolisé la région avec une forte consonance italienne, Karine Herman et Jérôme Sigwalt ont pu s’inspirer d’un contexte inouï. Leur architecture narrative s’est inventée une forme particulièrement singulière voire endémique. Sa morphologie massive et minérale répond d’une même puissance au mur démesuré qui le longe. Son écriture renvoie également à un autre ouvrage de soutènement gigantesque bâtis non loin et qui est alvéolé suivant le principe des arcades.
Un thème atemporel qui ne va pas sans rappeler un ouvrage de soutien similaire, bâti en Italie il y a quelques 2 000 années, le Colisée de Rome. C’est également en Italie que les architectes sont allés s’inspirer d’un référent quasi universel. Il s’agit d’un petit édifice qui a été bâti au siècle dernier dans les calanques sauvages et fantasmagoriques de l’île de Capri. On l’appelle la Casa Malaparte et cette maison est une icône de l’architecture rationaliste italienne comme elle est devenue une icône architecturale du cinéma depuis que Brigitte Bardot et Michel Piccoli l’ont arpentée en 1963 dans « Le Mépris » de Jean-Luc Godard. L’invention de ce lien avec Villerupt semblait à la limite de l’incongru mais les architectes ont osé et l’Arche a bien été façonnée pour rappeler la forme si singulière de cette maison.
Son volume massique, taillé en biseau sur la cinquième façade, se profile en escalier pavé monumental qui laisse glisser les yeux jusqu’aux hauteurs de la muraille. Son palier haut est conçu comme un belvédère et attend qu’une édification mêlant architecture et art numérique s’y installe.
L’édifice massif s’affine et s’ouvre généreusement en arcades sur l’Esplanade Nino Rota du nom du compositeur Italien auteur de nombreuses musiques de film dont « Le Parrain » et le
« Casanova » de Fellini. Le tiers-lieu s’ouvre au public par une halle animée d’un bar-restaurant et d’une petite scène éphémère. Cet espace est cadré de façades intérieures qui s’ouvrent elles-mêmes à d’autres lieux dont le cinéma de 147 places, la galerie immersive, le « fablab » et, surtout, une vaste salle de diffusion aux capacités d’adaptation très ambitieuses jaugeant jusqu’à 1 140 personnes.
L’architecture intérieure s’écrit volontairement d’un même minimalisme contemporain. Le grand volume de la halle, baigné de lumière naturelle, accueille le public dans une ambiance conviviale ponctuée d’ouvrages imaginés dans la tradition grandiloquente des foyers de théâtre. L’escalier, qui mène au balcon de la grande salle, est déporté de la façade intérieure pour être lu dans l’espace comme une œuvre monumentale.
L’éclairage est assuré par des lustres créés spécifiquement pour le lieu. Deux modèles, l’un d’apparence concave et l’autre convexe, sont conçus suivant une technicité proche des structures utilisées en scénographie. Leur armature est en acier brut et les assemblages sont relativement ‘low
Tech’. Ces structures sont dessinées pour supporter des appareils d’éclairage technique suivant des lignes formant des cônes. Des gélatines de spectacle enrobent les lampes pour colorer la lumière dans les tons dominants d’un coucher de soleil Lorrain. Les couleurs en général sont choisies dans leurs tons fanés ou dans les gris béton. Le reste des espaces est blanchi de manière mate, comme poudrée d’un blanc de Meudon.
L’Arche est un édifice unique qui suit néanmoins le thème de l’atemporalité que ses architectes ne cessent d’explorer au fil de leurs créations. Car si le minimalisme reste leur courant dominant, les auteurs usent d’un malin plaisir à ne jamais pousser leurs référents pittoresques au-delà des limites de l’abstraction. C’est comme s’ils refusaient que leurs œuvres se distinguent dans l’histoire. Non pas pour qu’elles n’aient pas d’âge mais pour qu’elles aient plusieurs âges.
« Les édifices d’écriture contemporaine ne racontent trop souvent qu’un simple désintérêt pour l’Histoire. Nous cherchons exactement le contraire », conclut Jérôme Sigwalt.