
L’essor de la filière de la construction bois doit beaucoup à Olivier Gaujard, menuisier, ébéniste et Constructeur averti. Ingénieur autoproclamé, il aurait voulu être architecte… Rencontre.
Tốt gỗ hơn tốt nước sơn (Du bois solide vaut mieux que du bois bien peint)
Introduction
Olivier Gaujard est charpentier, ingénieur, rassembleur !
Nous nous sommes rencontrés en Provence il y a plusieurs années et nous nous sommes retrouvés récemment à la Boiserie de Mazan, l’un des premiers bâtiments publics en paille en France, nous y avons évoqué la construction bois, l’emballement actuel autour de la filière bois pour lequel il est un acteur incontournable.
Nous nous sommes promis de parler de ce que nous aimions vraiment ! Du beau et des raisons multiples qui engagent et expliquent nos métiers dans un monde étrange qui s’affole.
Son attitude est emplie de convictions, lentement et sûrement acquises.
L’essor de la filière de la construction bois lui doit beaucoup. Constructeur averti, on ne le trompe pas, son engagement de tous ordres et la cohérence de sa démarche font l’unanimité dans la profession. Écologiste convaincu, il partage ses convictions au sein de la Scop d’environnement DOMENE.
Si Olivier parle beaucoup, c’est parce qu’il aime partager, Il aurait voulu être architecte.
Ingénieur autoproclamé, il a exercé durant vingt ans le métier de menuisier ébéniste, puis de charpentier avant de créer à Avignon en 1997 un bureau spécialisé dans la construction en bois et les matériaux biosourcés, matériaux d’origine biologique (la paille, le chanvre, la fibre de bois…).
Interrogé sur ses référents, il cite le dessinateur Reiser, le patron de la petite scierie Jean Damon qui l’a embauché un lundi matin et Julius Natterer ingénieur bois suisse mondialement connu.
Échanges :
Olivier Souquet – Olivier ; je voulais avoir avec toi cette conversation, parler de ton histoire et de ton parcours et comment cette énergie à fédérer ensemble des gens et des énergies t’est venue et pourquoi ?
Constructeur averti, tu assembles aussi bien des charpentes de bois que des équipes, tu aimes produire de l’émotion, quels sont ta motivation et ton parcours ?
Qu’est-ce qui t’a marqué enfant et qu’est-ce qui t’a décidé à pratiquer ce magnifique métier ?
Olivier Gaujard – À douze ans j’ai été fasciné par le barrage de Roselend dans le Beaufortin, la voûte immense et tendue de béton, le rythme des piliers et l’espace de la gorge très profonde, cela m’a donné envie d’être architecte. J’ai fait math sup puis l’ENSAIS à Strasbourg, j’ai appris les dessins d’art grâce à un ami de la famille qui m’a initié.
Mais je n’ai jamais fini cette école d’ingénieur qui était alors la seule à proposer un diplôme d’architecte…
Post-soixante-huitard, j’en suis parti après trois années avec plusieurs de mes congénères.
Nous pensions à l’époque pouvoir tout réformer, nous étions contre le système administratif de l’école, c’était l’époque du Larzac, j’étais insatisfait et je constatais un enseignement qui se cherchait, où l’on apprenait à concevoir des bâtiments sans isolation thermique, c’était aussi une période optimiste où l’on dessinait des villes avec des structures tridimensionnelles, l’arrivée d’une modernité avec des façades en verre. Mais je voyais un manque chez nos enseignants.
L’idée était de tout remettre à plat, l’échappatoire était de tout redémarrer, aussi en 1975 j’ai quitté l’école et je suis parti dans les Monts du Forez.
J’ai commencé à retaper une vieille maison que j’ai mis douze ans à terminer. Jeune père et dans une période de plein-emploi j’ai eu mon premier boulot dans une scierie, puis j’ai passé mon diplôme de menuisier à l’AFPA, ce dont je suis très fier, et à vingt-trois ans j’étais à mon compte, menuisier-ébéniste.
Olivier Souquet – Adolescent je me souviens de mon premier choc architectural à Mycènes, devant la masse, la beauté de l’assemblage savant des pierres. Ces immenses rochers taillés ancrent l’édifice, l’effet d’aspiration que ressent le visiteur à l’entrée du tombeau est magique. L’idée que des masses et l’expression de la construction qui nous entourent change nos comportements est une raison suffisamment valable pour être architecte.
Tu as été ébéniste, puis charpentier et tu m‘as dit que ce qui t’intéresse est « de trouver le chemin pour faire travailler les gens ensemble ».
Tu n’as pas fait de compagnonnage ou le Tour de France, les besoins de ta vie familiale n’étaient pas propices à une vie itinérante.
Aujourd’hui tu agis pour la profession et ton empathie t’amène à transmettre, tu as longtemps présidé une association interprofessionnelle de la forêt et du bois en Provence.
Nous avons beaucoup parlé de la création et de la norme…, comment vois-tu la question réglementaire, quelque chose qui bride où qui suscite ?
Olivier Gaujard – Oui ce qui m’intéresse est d’arriver à un résultat, c’est encore mieux quand c’est ensemble.
Il faut du temps, les normes nous sont nécessaires, sans être une fin en soi. Pour pouvoir innover, il faut savoir passer par un apprentissage des réglementations.
La norme est utile mais pour échapper à la complexité ambiante, il faut maîtriser les outils.
Les codes sont établis par des gens qui codifient selon ce qu’ils pensent être bien, je pense qu’il est important de comprendre qu’on peut les faire évoluer, et si on peut en être un acteur, c’est bien.
J’aime bien le mot de « simplexité », il assemble deux notions contraires pour n’être qu’un.
J’ai connu la révolution incroyable du dessin avec l’arrivée de l’informatique, la transformation technologique et numérique, les logiciels de calculs de charpente, ce fut un changement radical que tous les ingénieurs bois ont dû intégrer.
Au final la géométrie descriptive reste une base solide pour les charpentiers.
Olivier Souquet – Oui la précision des artisans, c’est un savoir-faire appliqué avec une connaissance parfaite de la matière.
La géométrie est la projection d’une forme de la pensée. C’est essentiel, la géométrie donne du sens aux projets, le barrage de Roselend dont tu parlais illustre parfaitement cela ; c’est une géométrie logiquement tendue dans un paysage qui donne tout son sens à la construction face à la nature accidentée. Quel a été ton plus grand choc émotionnel architectural ? »
Olivier Gaujard – C’est très certainement le couvent de la Tourette, cette abbaye dominicaine où mes parents m’ont emmené très jeune. Je crois qu’en déambulant dedans à plusieurs reprises, j’ai pu percevoir la complexité des lieux, la variété des espaces, les enchaînements de lumière.
Je me souviens d’aiguilles verticales de béton filtrant la lumière, ces aiguilles faisaient seulement quatre à cinq centimètres de large…
Je me souviens de la chapelle et de sa hauteur, ce fut un choc émotionnel majeur pour moi !
J’ai compris à ces moments que le fondamental est ailleurs.
Et comme tu me questionnes sur la question du beau, j’y ai longuement réfléchi avant de te répondre et je pense que le beau c’est quand l’intention devient imperceptible…
Les choses s’imposent quand l’auteur rend imperceptible ses intentions.

Olivier Souquet – Luis Barragan disait ceci : « J’ai visité avec révérence les bâtiments monastiques monumentaux… J’ai toujours été profondément touché par la paix et le bien-être ressenti dans ces cloîtres inhabités et ces cours solitaires. J’aurais tant aimé que ces sentiments laissent leur empreinte sur mon travail ».
Il disait à propos de l’art de voir qu’il est « essentiel pour un architecte de savoir voir : je veux dire, de voir de telle manière que la vision ne soit pas dominée par l’analyse rationnelle ».
Tu m’as aussi dit avoir été fasciné par les dessins préhistoriques de la grotte Chauvet, l’élégance des traits d’une beauté époustouflante.
La beauté sous des formes multiples sans que nous ne sachions jamais pourquoi quelqu’un a dessiné ces animaux à ce moment, ni avec quelle intention…

Je retiendrai de ce que tu dis, que le beau c’est ce qui se propage en nous sans que l’intention initiale n’en soit lisible.
Si nous questionnons nos sens et notre mémoire il y a aussi les odeurs, celle du bois ?
Olivier Gaujard – Je suis né à Briançon et je me souviens de l’odeur du Pin à crochet, c’est juste pour te rappeler ce que nous avons fait à Mazan avec la Boiserie où, à chaque fois que l’on entre dans la salle, il y a cette odeur de la matière du bois, et d’ailleurs cela n’est pas une odeur mais un parfum qui est différent avec chaque essence de bois. C’est une mémoire de ces lieux.
Le cyprès est aussi très odorant, mais comme on vit une époque bien peu tolérante, il est banni de la construction car il est responsable de certaines allergies. Ce n’est gênant que durant les périodes de reproduction de l’arbre, qui sont courtes. Cela est symptomatique de la vie d’aujourd’hui, on ne tolère plus les désagréments de certains phénomènes naturels pourtant indispensables à la vie…
Nous sommes dans une période où ne compte que la performance !

Olivier Souquet – Dans un monde qui change vite, la performance est un critère de sélection mais que penses-tu de la résilience ?
Olivier Gaujard – La résilience est la capacité d’un écosystème à retrouver un équilibre après un évènement exceptionnel, mais je préfère la notion de « robustesse », car la robustesse est la capacité des écosystèmes à rester stables malgré les fluctuations auxquelles ils sont soumis.
Les êtres humains ont toujours réussi à s’adapter.
La robustesse, c’est aussi lorsqu‘un bâtiment justifie la relation étroite qu’il entretient avec son climat et la géographie qui l’accueille, quand la structure se lie et s’assemble.
Plus tu es dans la structure, plus tu es dans l’assemblage !
Que penses-tu du débat sur la frugalité ?
Je pense d’abord que la diversité des pensées apporte des points de vue essentiels et différents. Le débat est là et c’est bien d’avoir des points de vue divergents, c’est même indispensable. Je pense surtout que la frugalité est mieux que la sobriété.
La frugalité véhicule une idée de générosité, la sobriété parle peu de poésie… La sobriété restreint, c’est plus avare !
Beaucoup de gens mélangent ces deux notions qui ne sont pas les mêmes, l’une fait plus avec moins, l’autre ne fait rien de trop, la sobriété est moins inventive.
Alors, pour toi, l’assemblage en charpente, c’est frugal ?
Oui justement, je pense que l’assemblage juste d’une charpente en bois massif ne gaspille pas la matière, au contraire du CLT (Bois lamellé croisé) qui est un vocabulaire de plaques et qui n’est qu’une étape dans le développement de la filière bois.
Je crois beaucoup à l’avenir des assemblages ; bois-métal ou encore bois-terre-paille ou chaque matériau excelle dans son usage, le bois est structurel, la paille isole et apporte de l’inertie, les enduits protègent l’ensemble en éliminant les vides d’air où peut se propager le feu.
L’avenir c’est assembler, et c’est toujours la même chose : assembler pour mieux coopérer ! faire travailler ensemble les choses.
La beauté, c’est la répétition d’une chose, d’un assemblage, d’une variation lumineuse sur un peigne structurel, qu’il soit en bois ou en béton comme tu l’as évoqué. Mais la beauté, sa finalité, c’est quoi pour toi ? Tu m’as dit précédemment que c’était l’art de l’auteur de rendre imperceptible ses intentions, je crois que c’est surtout pour toi cette idée de transmettre, c’est l’idée que l’on peut se faire du passage d’une émotion face à quelque chose, l’art, l’architecture… les choses indicibles ne s’expliquent pas, elles sont là simplement, rien à enlever, rien à rajouter… Cela vaut pour la construction et les hommes…
Les choses qui ne s’expliquent pas, ne se discutent pas non plus. La beauté pacifie les relations, stimule la coopération, c’est quand l’équilibre est simplement là !

Propos recueillis par Olivier Souquet
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