Dans son roman Pylône, écrit en 1935, William Faulkner rend hommage aux « fous volants », ces pilotes de foire quand l’aviation était encore une activité dangereuse avant d’être une industrie, les nouvelles technologies triomphant cependant de l’ancien monde. Aujourd’hui l’impression 3D a quitté les labos des écoles d’architecture pour rejoindre ceux des industriels. Bienvenue aux fous imprimants ?
Les expérimentations en architecture imprimée 3D sont toujours plus nombreuses et apportent, si ce ne sont des dessins flamboyants, des éléments complémentaires aux problématiques de la construction : coûts, délais, qualité certifiée, durabilité, performance mécanique, etc.
À noter d’ailleurs, en avant-propos, que c’est toujours sous l’angle du « plus vite moins cher » que sont présentées toutes les innovations autoproclamées de la construction, du PPP à l’impression 3D donc. N’y aurait-il donc personne – un maître d’ouvrage, un promoteur, un industriel – pour vanter son innovation technologique en expliquant qu’elle rend l’architecture plus accueillante, plus chaleureuse, plus belle, plus aimable ? Non ce sont toujours des arguments financiers qui sont mis en avant, ce qui en dit long sur les intentions de ceux qui les profèrent.
Acceptons pourtant l’idée que l’impression 3D soit une innovation. Mais pour quoi faire ? Comme il s’agit d’une innovation, personne n’est justement encore très sûr de la réponse mais cela n’empêche pas les industriels d’avoir des idées, larges les idées puisque Norman Foster anticipe les habitats lunaires* imprimés en 3D. Sur terre, en France, un pavillon d’accueil était inauguré à Hartfleur (Seine-Maritime) en octobre 2020. Il faisait suite à la maison YHNOVA conçue par TICA architecture et construite à Nantes en 2018.
L’expérimentation est nécessaire et légitime pour faire avancer les connaissances mais, une fois qu’elle a eu lieu, il convient d’en tirer des enseignements : la technologie de pointe pour coloniser la lune et la planète mars, très bien ! Mais pour construire un pavillon de banlieue, comme celui proposé par Coste Architecture à Reims – une agence sérieuse pourtant Coste Architecture – l’impression 3D est-elle vraiment une (r)évolution ?
Cela ne signifie pas que l’impression 3D n’ait pas de débouchés utiles dans la construction hic et nunc. En témoigne par exemple la voie expérimentale choisie par Spie Batignolles. « Nous sommes persuadés de l’intérêt de la technique de l’impression 3D pour développer de petits éléments en béton, dont la réalisation traditionnelle est généralement chronophage. Ces techniques permettront d’améliorer les conditions de travail de nos collaborateurs sur le chantier, notre productivité et in fine notre performance », explique ainsi Frédéric Gaurat, directeur technique chez Spie Batignolles.
Les petits éléments chronophages en question sont par exemple les nœuds de poutres sur poteaux, qui concentrent des charges importantes sur des surfaces réduites, où les boîtes de réservations, coffrages parmi les plus basiques généralisés sur un chantier, traditionnellement réalisées en bois.
Pour les premiers, Spie Batignolles a conçu et imprimé (en partenariat avec XtreeE) puis mis en œuvre le coffrage d’un nœud de poutre incorporé à l’ouvrage. Pour les secondes, les mêmes sont parvenus à imprimer des boîtes de réservation prêtes en 24h seulement et qui n’ont pas besoin d’être retirées de l’ouvrage fini.
Certes, c’est encore moins de travail pour la main-d’œuvre non qualifiée mais celle-ci se faisant rare… Bref, voilà deux applications pratiques plus excitantes que la sempiternelle maison individuelle en courbe dont il est à craindre qu’elle n’investisse les campagnes.
Il faut encore considérer à quel point l’impression 3D peut s’avérer une source crédible de résolution de problèmes complexes. Pour la rénovation d’un ouvrage enterré par exemple, si un tube ou une pièce est défaillante, à partir d’un scan 3D, plutôt que faire fabriquer en usine, il suffirait alors d’imprimer une pièce unique parfaitement ajustée. Ce n’est pas comme si, en rénovation, manquaient les raccords nécessaires entre l’existant et le neuf… Et puisque l’on sait déjà scanner les pyramides de Gizeh, l’impression numérique offre de vraies promesses de solutions nouvelles.
Autre application, les pylônes. Les recherches menées en Martinique par Art&Fact Innovation, une start-up spécialisée dans la conception et la fabrication d’infrastructures télécoms, ont notamment permis de développer le prototype d’un pylône de télécommunication de 12m de haut, imprimé en 3D en forme d’arbre et végétalisé pour se fondre dans la nature, qui semble doté d’étonnantes qualités de résistance mécanique dans une zone sujette à tremblements de terre et ouragans dévastateurs. Lors du passage sur les îles d’Irma par exemple, en 2017, les pylônes traditionnels ont montré toute leur fragilité, ne restaient ensuite pour communiquer avec l’extérieur que le morse et les noix de coco. D’où l’intérêt manifeste de pylônes résistants aux éléments !
Une problématique déclinée également plus près de chez nous avec la mise en œuvre du Plan France Très Haut Débit, qui nécessite le déploiement des milliers de pylônes nécessaires à la 5G. Or, ainsi que l’explique Denis Wehrlé, PDG d’Art&Fact Innovation, cité par A3D Magazine (03/20), les temps de fabrication [en impression 3D] sont très courts par rapport à ceux de l’industrie habituelle. « Un projet classique avec un opérateur dure entre 4 et 6 mois. Nous sommes sur un mois ! Nous réduisons énormément les délais de production », indique-t-il. CQFD.
La 5G justement. Qu’elle soit utile pour la communication entre Houston, Texas, et les stations lunaires et martiennes – imprimées en 3D – cela ne fait aucun doute, mais pour appeler Mamie qui utilise encore son téléphone fixe ? Ou faut-il le développement de l’imprimerie 3D pour permettre le déploiement de l’industrie des télécoms ?
En tout cas, l’avenir nous prépare une France couverte de ces beaux pylônes métalliques que nous connaissons tous, fichés comme des asperges au milieu des champs d’éoliennes, ce que les écolos appelleront sans doute permaculture. À moins en effet que les pylônes végétalisés d’Art&Fact ne changent la donne… Il est vrai qu’EDF et les boîtes de télécom, à part un faux palmier en plastique ici ou là, n’ont jusqu’à présent pas fait beaucoup d’efforts pour planquer leurs pylônes et autres antennes dans le paysage.
Une chose est certaine à ce jour, pour le pavillon et la maison individuelle, nous savons désormais ce qu’il en est : la révolution de l’impression 3D peut attendre et autant passer à autre chose ; un bâtiment sur pylônes végétalisés par exemple ? Car il faut poursuivre les expérimentations.
En effet, la terre entière ne dispose encore aujourd’hui que de quelques prototypes. Au-delà des considérations de prix ou de temps de construction – sans parler même d’hypothétiques qualités esthétiques – nombre de questions concernant la mécanique de ces ouvrages imprimés demeurent sans réponse tant personne ne possède encore de certitudes fondamentales. Ce qui nous éloigne quelque peu de la science et nous rapproche de la communication.
Dit autrement, pour aller à la guerre, vous emportez une bonne vieille kalachnikov ou la mitraillette dernier cri imprimée dans votre cuisine ? Les vertus en architecture de l’impression en 3D restent encore toute relatives et, plus sûrement, spéculatives. Pour s’en convaincre, il suffit d’en mesurer les enjeux financiers. À Dubaï d’ailleurs, ils investissent. Le rêve de l’industrialisation de la construction enfin atteint ? En tout état de cause, pas sûr que les architectes aient le beau rôle.
Les trompe-la-mort de Faulkner s’en sont aperçus bien assez vite.
Christophe Leray
*Lire notre article De la Terre à la Lune avec Foster + Partners