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Tiếng lành đồn gần, tiếng dữ đồn xa (Les mauvaises nouvelles ont des ailes). Au Vietnam, l’architecte pourrait tout aussi bien être commercial d’une société de pâte dentifrice aux couleurs fluorescentes. Chroniques du Mékong.
Certains sont devenus architectes avec l’envie radicale de changer la société, par désir de modifier la perception artistique qu’ils portent sur le monde, d’autres par la trompeuse image du statut que la fonction procure, certains par convictions politiques nobles.
Les transformations planétaires climatiques et écologiques changent radicalement la donne, Les sols et les océans se remplissent de plastiques, l’air empeste de particules fines et les architectes bobos, bergers de l’écologie, ont le vent en poupe ; le climat, les réflexions et les discours ambiants ne sont pas vraiment joyeux !
Étrangement, au cœur de notre Europe opulente, construite et protégée, un pernicieux pessimisme récurrent dans toutes les conversations l’emporte sur un optimisme pestiféré !
Inversement, en Asie, une insouciance débridée agite les créatifs !
Pourtant, à Saïgon, vous êtes architecte comme vous pourriez être commercial d’une société de pâte dentifrice aux couleurs fluorescentes.
Le statut social qui auréole l’homme de l’art en France n’existe pas dans le contexte vietnamien. Vous êtes un simple intervenant de la chaîne de la construction sans la contrôler vraiment, vous n’êtes pas « maître de l’œuvre » ! Vous êtes un acteur respectable parmi tant d’autres tout aussi respectables dans la grande chaîne de la construction bâtie, celle où le client décide finalement bien souvent de tout…
Au Vietnam, les destructions des guerres ont beaucoup endommagé villes et paysages, le patrimoine est immatériel, plus que tangible. Les litres de Napalm infiltrés dans les sols, le gaz orange aspergé dans les mangroves suintent encore des sols.

Occupés mille ans par les Chinois construisant des milliers de pagodes aux toits retroussés, cent ans par les Français avec leur style indochinois, dix ans par les Américains qui n’ont pas laissé grand-choses, les Vietnamiens ont repoussé avec honneur tous ces envahisseurs et ils disposent d’un orgueil : une revanche à prendre qui les motivent, résilience oblige !
Les mandarins ont été remplacés par les banquiers, le pouvoir n’est plus détenu par les intellectuels mais par les financiers et leurs enfants.
Le « confucianisme capitalo-communiste » fait rage, Trump et ses équipes peuvent pavoiser, on est ici respectueux de votre argent, votre pouvoir financier et votre aisance dans les affaires font loi, votre ascension matérielle fascine !
Dans ce monde aux échanges globalisés et ouverts à un capitalisme libéré, comment l’architecte français peut-il alors manœuvrer ?
Vous vous confrontez à vos confrères américains, anglais, allemands, japonais et coréens et vous saisissez bien vite que votre statut d’artiste romantique des beaux-arts parisien, ne vous aidera pas très longtemps, que vous êtes un peu seul face aux grandes sociétés internationales d’architecture (celles-ci pourraient vendre de la pâte dentifrice fluorescente aussi bien que de l’architecture).
Votre doute intellectuel, votre éthique et votre morale font face au rouleau compresseur des certitudes anglo-saxonnes. Le décalage est énorme !
Douter en Asie est un signe avoué de faiblesse !
Nos doutes enseignés nous retiennent d’être autoritaires, convaincants et persuasifs.
Poser des questions n’est pas vraiment le truc à faire en Asie : vous apportez des solutions mais, surtout, vous ne posez pas les questions qui embarrassent votre auditoire.
On ne dit jamais non en Asie, donc on ne met pas en porte-à-faux son interlocuteur !

Skidmore, Owings and Merrill (SOM) vient encore de remporter le dernier grand concours international sur le dernier méandre naturel encore libre le long de la rivière Saïgon à Ho Chi Minh Ville sur la péninsule de Thanh Da. Les Powerpoints de présentation des agences américaines et de leurs projets sont une perfection graphique inégalable ; leurs « pitch » (présentation simplifiée) d’un projet, un art de la réduction oratoire !
Les investisseurs de l’immobilier soutenus par les fonds de pension américains fond leur loi, ils sont une priorité pour l’essor de l’économie vietnamienne et ils accompagnent les grosses agences d’urbanisme et d’architecture, il y a des affaires à la clef !
En l’année 2019, la visite de Trump à Hanoï eu un effet immédiat et radical sur les commandes des projets urbains de l’agence ; Nous n’avons plus reçu aucune commande officielle au Vietnam les deux années suivantes : toutes les autorités nationales et provinciales vietnamiennes avaient été mises au pas pour satisfaire en priorité les agences d’architecture et d’urbanisme américaines. Il s’agissait de construire golfs et supermarchés dans tout le pays !
La même politique, celle qui prône une nouvelle Riviera à la place de Gaza, avait eu un effet radical et immédiat, l’aura et la politique culturelle françaises ne faisaient plus aucun poids face aux géants du capitalisme.
L’actuel politique Trumpiste pousse à la délocalisation des usines de Chine vers le Vietnam, cela produira des effets similaires.
Je suis très fier d’être Français, notre pays porte des valeurs universelles, nos innovations scientifiques, énergétiques et récemment de l’IA sont novatrices. Le bouleversement du monde se prépare et nous sommes en avance, notre révolution écologique est innovante et on nous regarde !
Alors quoi ? On se plaint du TGV ou du métro qui arrive trois minutes en retard ?
Notre gauloiserie créative s’est muée en discours paralysant ! Une incapacité à être fier de soi, à se vendre. Dans une Europe ultra sécurisée et normée, on apprend à ne pas s’exposer, on se ménage même, pour régresser !
Quels désirs animent alors notre profession qui as toujours balancé entre création et technicité ? Une frugalité heureuse amplifiée par le ré emploi et les tableaux Excel des coefficients de biodiversité ? Une décroissance subie et heureuse ? De la re découverte du ré emploi ? (Définition du ré emploi : technique ancienne utilisée par les Cathares pour reconstruire leur château avec les pierres d’autres châteaux…)
Les architectes sont comme des papiers révélateurs de pH, ils réagissent immédiatement au contexte, on ne peut pas leur reprocher, ce sont des émotifs, doués d’hyper sensibilités !
Dans l’atmosphère générale, on ne peut donc pas leur reprocher d’être austères et jansénistes !
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Dans ce contexte, il reste notre intelligence émotionnelle créative pour nous sauver encore…, nos désirs et nos rêves d’architectes nous permettent d’écrire des récits et des visions et c’est peut-être au fond le plus important.
En Asie, l’eau s’écoule sans s’arrêter et les gens agissent en permanence, cela donne une certaine liberté. Il faut l’avouer, l’absence de normes éveille, l’instabilité fait réagir et le désir donne des ailes !
A Saïgon, tout se modifie sans cesse, la terre s’érode, les côtes changent, l’air se remplit d’humidité et de pollution, la ville se gonfle et s’enfonce au rythme des moussons.
Paris se vitrifie lentement, doucement, on y respire mieux, c’est un bonheur calme, tiède.
L’Asie se modifie sans cesse dans un désir de changements permanents, la France se cristallise dans une attente anxiogène.
Je vis entre deux mondes qui s’ignorent et qui ne se comprennent pas tant les préoccupations sont différentes… L’un donne encore des leçons, l’autre rêve de consommer.
L’un se décourage, l’autre désire.
La nouvelle année qui s’annonce au Vietnam est celle du serpent de bois, souhaitons que sa mue bienfaitrice et créatrice nous réveille aussi en Occident !
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Dans cette société française inquiète, le doute n’est pas une énergie motrice mais, inversement, un bizarre phénomène castrateur ; les jeunes architectes apprennent que les charrettes sont néfastes, qu’il vaut mieux savoir remplir avec brio les tableaux de biodiversités pour passer ses ECTS, et que le prêt épargne logement qu’ils engagent à la fin des études les protégera d’un monde incertain sans enfants.
Une sournoise démotivation est distillée, amplifiée par les réseaux sociaux.
Ces réseaux aux algorithmes bidouillés brideraient-ils nos désirs, notre optimisme, nos utopies salvatrices ?
Claude Parent doit se retourner dans sa tombe !
L’esthétique de la friche, du vide, du blanc et de l’absence noyaute les cerveaux des étudiants et des architectes. Les modes d’échanges de nos sociétés auraient-ils fini par user la capacité des architectes à parler de beauté comme beaucoup le réclament ?
Non, il y a plein de résistants ! Les architectes sont des faiseurs, des positifs, des guerriers-es emplis de convictions, Un architecte, ça raisonne et ça questionne !
Et notre ADN, notre très grande force française à l’international, est cette permanente remise en cause bienfaisante qui nous pousse à toujours revoir, corriger, reprendre, peaufiner et douter avec euphorie de tous nos projets. nous sommes appelés, écoutés recherchés.
Le doute est éminemment positif ! Le doute, ce n’est que du bonheur !
Je le constate dans mes échanges avec mes amis vietnamiens.
Dans cette confiance que nous inspirons à l’étranger, il nous faut aussi rationaliser, économiser, restreindre, limiter, normer et, justement, l’architecte mesure ; c’est un arpenteur, quantifiant et composant sans cesse avec la matière et les lieux, c’est un alchimiste !
Alors ?
Alors, « il faut traverser les nuages comme le fait la lumière », nous dit la chanteuse Zaho.
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Olivier Souquet
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