Grande nouvelle pour l’humanité. Depuis Glasgow, les gouvernements du monde réunis à la COP 26 sur le changement climatique décideront si nous nous donnons un avenir ou si nous irons tous en enfer. Au moment où j’écris, cela peut aller dans les deux sens. Chronique d’Outre-Manche.
Mais cette COP 26 a-t-elle tant d’importance de toute façon puisque la gazette de la Silicon Valley nous apprend que le fondateur de Facebook, Mark Zukerberg, a changé le nom de l’entreprise en Meta « pour mieux se concentrer sur le métaverse ».
Qu’est-ce que le métaverse ? C’est un monde numérique alternatif en ligne en VR (réalité virtuelle), où vous pouvez travailler, jouer, échanger, sortir et qui sait quoi faire d’autre. ‘Second Life’ en est un exemple mais Facebook pense qu’il faudra 15 ans pour développer le véritable métaverse
Ce ‘timing’ ne pouvait pas mieux tomber ! Mise à jour des limites de la croissance, un article de Gaya Herrington publié en 2020 dans le ‘Journal of Industrial Ecology’ de l’Université de Yale, présente quatre scénarii, deux d’entre eux suggérant l’effondrement de la civilisation durant les années 2040. Cela nous laisse tout le temps de s’assurer que la connexion Internet dans notre bunker sera sécurisée.
Bien entendu, le métaverse aura besoin de bâtiments numériques, donc nul besoin pour les architectes de s’inquiéter – les projets devraient continuer à rentrer. Bien sûr, un bâtiment qui n’est pas physique n’est pas tout à fait le même qu’un vrai mais dans le métaverse, comme John Lennon l’a anticipé dans Strawberry Fields Forever, « rien n’est réel ».
Certes, l’architecture a toujours produit des bâtiments imaginaires. Les concours, à eux seuls, en génèrent en quantité car le seul dessin à être (parfois) construit est celui du lauréat. Historiquement, certains des bâtiments les plus fantastiques de tous les temps sont restés œuvres d’imagination, comme le Cénopathe pour Newton d’Étienne-Louis Boullée (1784), l’Institut Lénine d’Ivan Leonidov (1927) ou la maison de Fred et Wilma Pierrafeu (1959) pour ceux qui se souviennent de la série. Oups, erreur de ma part. Après vérification il s’avère qu’existent aux États-Unis nombre de répliques de la maison des Pierrafeu. Peu importe. Le fait est que pratiquement tout et n’importe quoi peut être construit dans le métaverse ! Hors la nourriture et les boissons, évidemment. Encore que, tout enfant hikikomori au Japon vous le dira : il suffit de simplement commandez en ligne.
Avant de nous étourdir des perspectives architecturales de notre nouvelle vie dans le monde de Zuckerberg, prenons au sérieux le passage au numérique profond. J’ai déjà mis en garde contre la façon dont nous somnambulons dans un monde numérique immersif* et, bien sûr, le film de 1999 The Matrix a laissé penser que nous sommes déjà dans une vaste simulation.
Dans le monde réel, les avancées de l’IA (intelligence artificielle) en l’architecture pourraient bien rendre la plupart des architectes redondants. Cet été, lors d’une conférence Zoom, j’ai imaginé un scénario dans lequel chaque bâtiment réalisé par (par exemple) Frank Lloyd Wright nourrissait un réseau de neurones d’apprentissage profond. Une variété infinie de faux bâtiments Wright pourrait ainsi être générée, chacun d’eux personnalisé en fonction de son usage, de son programme, de son site, etc.
Dans le numéro d’octobre 2021 du magazine C3, Simone Brott de l’Université du Queensland, en Australie, considère les NFT (jetons non fongibles, de l’anglais non-fungible token) comme un outil à exploiter par les architectes. (Note : je suis éditeur et j’écris dans cette belle publication coréenne !). Les NFT sont des grumeaux de données protégés par la blockchain et qui, uniques, peuvent être échangés. Simone Brott imagine que les architectes ne construisent plus mais créent des NFT architecturaux.
Si par exemple un plan directeur de ville en NFT est titrisé, « fractionné » et mis sur le marché à Wall Street, des flux de revenus apparaîtront, issus d’investisseurs sans lien avec l’architecte ou l’architecture. Il suffit d’une plate-forme de négociation « cryptoarchitecture » et les spéculateurs feront leur miel de tels NFT. C’est effrayant. Simone Brott conclut que « les NFT tueront l’architecture ».
Encore ne mentionne-t-elle pas que le marché des blockchains, comme le démontre celui du Bitcoin, est un paradis pour les criminels. Pire, les Bitcoin génèrent à eux seuls une empreinte carbone aussi importante qu’un pays de taille moyenne. En attendant que le crypto commerce ne passe de ‘proof-of-work’ (POW), qui demande une énorme consommation d’énergie, à ‘proof-of-stake’ (PoS), que l’on pourrait traduire, mal, par « preuve de participation », (désolé de devoir être un peu technique), en attendant donc, c’est bien d’un crime contre la planète qu’il s’agit. La COP 26 aurait dû l’ajouter à son ordre du jour.
Pendant ce temps, au Royaume-Uni, ainsi qu’à la COP 26, nous avons de nouvelles visions du paradis et de l’enfer, tous deux avec une architecture imaginaire. Tout d’abord, un paradis comestible : le musée d’architecture de Londres, pour sa fête annuelle, se prépare à dévoiler Gingerbread City, une ville en pain d’épice. Le thème de cette année est la nature et la ville. Jusqu’en décembre, nous ne saurons rien des conceptions que les architectes basés au Royaume-Uni réaliseront mais une photo du Sugar Plum Square (Le square en prune) de PHASE3 du salon 2019 donne une idée de l’événement. Déjà les noms de quelques œuvres de 2021 ont été dévoilés : Foster + Partners sont en train de cuire Honeycomb Heights, l’agence de Zaha Hadid a mis au four son Museum of Gumball Ecology tandis que PLP, firme mieux connue pour ses durs gratte-ciel en verre et en acier, promet un herbier de noisettes.
Le gâteau est l’une des choses que l’on retrouve dans l’Enfer de l’artiste Pablo Bronstein, un maître dessinateur célèbre pour ses œuvres explorant les bizarreries du post-modernisme et des styles classiques (ainsi que de la danse). Surtout, il propose une architecture fantastique et fabuleuse ainsi qu’en témoigne ‘Hell in it’s Heyday’ (L’enfer durant son âge d’or), son exposition actuelle au Sir John Soane Museum (Soane était un géant de l’architecture britannique des XVIIIe et XIXe siècles).
Bronstein présente un banquet de dessins à l’aquarelle d’une ville absurdement décadente appelée Enfer. Les bâtiments modernistes contrastent avec des bâtiments éclectiques de style glorieusement baroque, y compris les plates-formes pétrolières et les usines qui financent la ville. Y a-t-il de sa part un message concernant notre propre société consommatrice d’énergie fossile ? « Tout à fait », me répondit-il. « Je regarde les années entre 1850 et 1950 comme le moment précurseur de ce que nous vivons actuellement. Durant cette période, nous avons la montée et la chute d’une culture basée sur une production et une consommation illimitées. Maintenant, nous sommes conscients qu’il y a un prix humain et écologique à payer pour tout ça », dit-il.
Le prix sera élevé, et il ne sera pas payable en crypto-monnaie, ou dans le métaverse. Apparemment, « méta » en hébreu signifie « mort » ; que cela dit-il de la vision de Zuckerberg ? L’architecture est pour les gens du monde réel et sans des progrès massifs en matière de durabilité, ce monde sera un enfer. Il nous faut reconnaître le principe de réalité ! Comme l’a déclaré à la COP 26, Txai Surui, un jeune natif d’Amazonie : « la Terre parle. Elle nous dit que nous n’avons plus le temps ».
Herbert Wright
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*Lire la chronique Bonjour bonjour les architectes, y a d’la joie (post-Covid)