La loi ELAN a été publiée au Journal Officiel du 24 novembre 2018. Au motif de construire plus, mieux et moins cher, cette loi est une marche en arrière sur la loi LCAP de 2016, sans parler de la loi de 77. La voix des architectes contre cette nouvelle loi n’a, tout au long des débats, murmuré à l’oreille de personne. Sans commander une révolution avec barricades et tout le toutim, d’aucuns auraient pu s’attendre à un peu plus de boucan face à la reculade annoncée.
Sans dire que les architectes auraient dû s’en prendre à leur ministre de tutelle (lequel ? Celle qui faisait comme si de rien n’était ou l’autre à peine débarqué ?), peut-être qu’un engagement plus concret que quelques tweetos vers une petite communauté d’initiés virtuels déjà acquis à la cause aurait été plus porteur. Ceux-là auront au moins eu le mérite d’exister.
Loin de nous l’idée de railler les quelques résistants tapis dans l’ombre des maquis facebookiens, révolutionnaires bien cachés derrière leurs écrans, petits ou grands, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.
Ils ont été quelques-uns à prendre des initiatives publiques mais les rares qui s’interrogent, éructent, s’engagent ou même discutent sont bien souvent les plus vulnérables face à cette loi hors sol. Les maîtres d’ouvrage privés, de secondes zones, sont leurs donneurs d’ordres. La parole de ces derniers vaut bien plus que les quelques roupies que les politiciens concèdent aux architectes qui seront les premiers à payer le prix fort de l’application de la loi Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique (ELAN).
Cependant, le courroux de quelques résistants n’a manifestement pas porté loin. La sono en panne, les moyens malheureusement pas à la hauteur des enjeux, il n’aura ni atteint les ors de la République, ni ému les Majors du BTP. Ces dernières, à l’image des professionnels de l’agroalimentaire, sont devenues de bien performants lobbyistes et sont les grands gagnants de cette loi accablante.
Quant aux grandes agences d’architecture, leur silence ferait presque de la peine à entendre. Existerait-il une architecture à deux vitesses, dont une qui pourrait se payer le luxe de faire avec une loi qui sacrifie la qualité du grand nombre au profit de quelques-uns ? Certes les volumes de commandes diffèrent entre une agence de 25 ans, 50 collaborateurs et des projets à sept ou huit zéros obtenus aussi grâce à une solide réputation, et la structure de deux architectes, «en libéral» selon l’expression consacrée, et leurs projets modestes mais ne sont-elles pourtant pas unies autour d’une même éthique ?
En France, malgré nos révolutions, il est toujours mal vu de râler. S’insurger est aujourd’hui un réflexe de prolos, de syndicalistes de bistrots, chacun oubliant, que la chienlit, pour citer De Gaulle, a souvent pour but, rappelons-le, de gagner et de préserver quelques maigres avantages sociaux et professionnels pour les gens d’ici et d’ailleurs.
Grâce à l’engagement d’une poignée de militants de tous bords, mai 68 a donné naissance, pour ce qui nous occupe, à la loi sur l’architecture de 1977, à la fin du numerus clausus, à l’implosion des Beaux-arts pour fédérer une architecture plus proche des usages et bien plus qualitative. Les leçons de la reconstruction hâtive mais pour le moins nécessaire étaient tirées. La révolte des uns avait servi le quotidien des autres. Au moins en avait-elle l’ambition !
La majorité des agences d’architectures étant monocéphale, les hommes et femmes de l’art n’ont ni le temps ni les moyens, à défaut de se rebeller, au moins de s’engager. Pourtant, il en va pour certains de leur survie, au moins de l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes tandis que dans le grand vivier que représentent les architectes, les maîtres d’ouvrage préféreront toujours retenir celui qui a le moins de revendications affirmées.
Pendant ce temps, les dix premières agences de France semblent être complètement passées à côté du sujet. A moins d’un grave problème de sonotone, il ne semble pas que quiconque ait pris plume ou micro. Auraient-elles déjà vendu leur âme ? Il suffit d’analyser les plans de logements conçus par l’une d’entre-elles pour un consortium de la promotion pour dissiper le moindre doute. 50 mètres de haut, 86 logements en grande partie mono-orientés avec cuisines en second jour, refends béton, matériaux quelconques…
Elles semblent en tous cas ne s’être guère intéressées à l’affaire, privilégiant les musées objets et les tours aux quatre coins du monde pour des budgets sans aucune mesure avec ceux de nos leaders autoroutiers et autres bétonneurs de banlieue. Au moins une chose est sûre, la fuite des cerveaux des architectes ne pourra pas être imputée à la loi ELAN et les grands noms de l’architecture ne risquent pas de se sentir concernés par le contingent réglementaire réservé au commun des mortels.
Dans un univers où prédomine ouvertement le politiquement correct, il convient aussi de se demander comment une parole divergente aurait pu porter. Surtout, qui pouvait légitimement s’en emparer, tant au regard des professionnels que de la reconnaissance des institutions ? Si l’effort du Conseil national de l’Ordre des Architectes (CNOA) fut pour une fois visible, il demeure toujours aussi inefficace.
Alors, qui pour lever le poing ? Les agences de quinquas à la notoriété proprette de l’épicerie de quartier et qui n’ont plus rien à prouver ? Les agences de quadras dynamiques qui gagnent les concours de France en équipe avec l’Ennemi ? Des trentenaires encore un peu candides, pas encore connus ? Des Parisiens aux dents longues, des Provinciaux frappés au coin du bon sens ? Et que faire enfin de ceux qui sous prétexte d’un «il faut bien vivre» tapinent pour des honoraires toujours plus bas, ferment les yeux devant la piètre qualité des livraisons camouflées derrière une architecture spectacle pas plus pérenne dans sa forme que le village de Disney Land ?
La loi comme elle fut adoptée ouvre la porte au toujours moins-disant. Les gardiens de la qualité architecturale, de la belle exécution et du dessin de détails l’auront encore plus mauvaise. La faute aussi à ceux qui ont considéré que le chantier n’était plus qu’un sous-genre moins prestigieux ? Aux ENSA (écoles nationales d’architecture) qui délivrent les fameuses Habilitation à la Maîtrise d’œuvre en son Nom Propre (HMONP) à des professionnels qui n’ont jamais eu à enfiler un casque de chantier et pour qui les entreprises et les maîtres d’ouvrage ne peuvent être que des empêcheurs de tourner en rond ?
Effectivement, après l’annonce de cette nouvelle loi, qui aurait aussi dû interroger bien au-delà de la maîtrise d’œuvre et de quelques bailleurs sociaux plus éclairés et argentés que d’autres, aucune figure ne semblait prête à porter l’engagement de la profession d’architecte et la notion d’intérêt générale de l’architecture, pourtant elle est déjà inscrite dans la loi.
L’adoption finale de la loi ELAN témoigne d’un manque de ciment notoire entre tous les acteurs de la construction. La communication entre eux serait-elle rompue ?
Du 6 au 8 décembre, au Palais des Congrès de la Porte Maillot à Paris, a lieu l’édition 2018 du raout annuel du SIMI. Un rassemblement non pas de gilets jaunes mais plutôt de vestons noirs pour discuter de l’immobilier de la Gaule sous l’ère du Président Macron. Au programme : des conférences, un peu de développement durable, des interrogations sur le flex office, et autres examens de la conjoncture de l’investissement immobilier en 2019. L’architecture dans tout ça ? Circulez, il n’y a rien à voir ou à entendre. Voilà ce à quoi mène d’abandonner la partie avant d’avoir commencé à jouer !
A une époque où réinventer est devenu un sport national, voire une marque qui s’exporte, il eût peut-être été bienvenu que tous les architectes réinventent leurs engagements politiques, sociaux et citoyens, comme autant d’éléments constitutifs de leur métier et de leur avenir.
Trop tard ?
Alice Delaleu