Pour les citadins paniqués, la vie à la campagne est une illusion délétère. Pour un développement harmonieux, la ville dense est un bien commun qui doit retrouver sa fonction de protection et de creuset culturel.
Le confinement conduit naturellement à un questionnement sur la ruée vers la campagne et les îles. Le bagne était synonyme de confinement, les bannis étaient envoyés le plus loin possible dans les campagnes, aux confins du pays, hors de la ville, à Belle île, sur l’île de Ré. Curieux retournement de l’histoire. A l’époque des grandes épidémies, les lépreux étaient exclus de la ville comme les pestiférés. Aujourd’hui, l’exode en dit long sur la perception de la ville et des services de santé pour nos contemporains.
Si l’on comprend bien, la ville ne jouerait plus son rôle protecteur. On s’en doutait mais de là à croire que la dispersion dans les campagnes sera le nouvel ordre social, le nouvel art de vivre en société, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas.
Le changement entre l’avant et l’après confinement serait basé sur une illusion : l’idée que ce sont les relations dématérialisées telles Skype, WatsApp, le télétravail… qui feraient la ville tandis que la concentration et la socialisation n’auraient plus de raison d’être. Pour vivre heureux, nous allons vivre cachés, à la campagne, loin de tout centre de contamination ? Gardons les enfants à la maison, accouchons à la maison et évitons tout loisir en commun, le théâtre ou le cinéma. Une belle vie en perspective… Je ne le pense pas.
La ville a une dimension sociale, économique, culturelle, humaine. Support du lien social, la ville concourt à la production du bien commun, au plaisir d’échanger, elle est à l’origine de toutes les formes d’urbanité. Oublier tout cela renforcerait le malheur du monde. La continuité, la contiguïté des bâtiments, voire une certaine densité, sont indispensables à l’être humain.
La quête d’une ville idéale
Jacques Ferrier, dans une tribune au Moniteur, pense que « la ville dense est au cœur de la crise sanitaire ». La ville dense est l’essence de la ville. En favorisant la socialisation, la ville demeure le creuset de notre démocratie, elle est le lieu de l’innovation, de la culture, de l’éducation et des soins.
Si les nouveaux outils réveillent le rêve d’un temps perdu, celui du nomadisme, nous sommes face à une illusion car plus les communications se dématérialisent, plus le besoin de contacts se fait sentir. Dans cette perspective, le patrimoine joue avec l’architecture un rôle primordial (il n’y a qu’à voir l’affluence de population en ville, lors des journées du patrimoine). L’espace n’est jamais le même quel que soit le lieu, pas plus que les services ne sont uniformément répartis sur le territoire.
Se précipiter vers la campagne est un vieux réflexe. C’est oublier que la ville est là pour défendre les biens et les personnes, qu’elle est le lieu de la sécurité. Jadis, les paysans venaient en ville pour se protéger, aujourd’hui les ruraux viennent s’y faire soigner.
La ville moderne voit son centre se dilater, changer de nature et, quoi qu’on dise, l’air y est de plus en plus pur. Difficile alors de croire que le prix des logements va baisser du fait d’une nouvelle « attraction » pour la campagne, la demande immobilière pour la ville demeure. La ville est un bien précieux. Si, actuellement, l’épidémie du Covid-19 se déplace d’est en ouest, on ne peut oublier l’exode qui a poussé des milliers de Parisiens sur les routes, durant la deuxième guerre mondiale. Ils pensaient être en sécurité à la campagne mais ils n’ont pu que rebrousser chemin, ils n’étaient pas les bienvenus. C’est un étonnant paradoxe de savoir, qu’aujourd’hui, vingt pour cent des Parisiens ont préféré vivre le confinement à la campagne sans avoir la moindre idée de la durée de celui-ci ou de la capacité des équipements sanitaires qu’ils vont y trouver.
A l’évidence, il y aura un avant et un après virus mais de là à penser que ce sera le dépérissement et la mort de la ville dense et des grandes agglomérations, il y a une illusion dangereuse qui entretient une idéologie haineuse et anti démocratique permettant à la confusion de s’installer. Lorsque l’on parle du besoin de nature, la seule alternative qui apparaît serait donc la campagne ?
Comment imaginer qu’après l’épidémie, les urbains vont se ruer vers un nouveau mode de vie rural, campagnard ? On sait qu’ils ne supportent ni le chant du coq ni les cloches des églises et encore moins le bruit des éoliennes. Ils vont ressentir rapidement un manque : les services, les hôpitaux, les écoles, les commerces de proximité, les déplacements à pied, à bicyclette ou à trottinette. Cette revendication, antérieure à l’épidémie, attend déjà sa réponse. Mais que dire de la solitude, du manque de sociabilité, des déceptions à venir ?
Alors, quel rééquilibrage ?
Le choix n’est pas entre le centre-ville d’une grande agglomération et la campagne mais entre la grande ville, dans laquelle on peut se perdre, et la ville moyenne dans laquelle on se sent reconnu. Pour qu’il y ait une alternative possible, il faut mettre en valeur l’extraordinaire chance qu’a la France d’avoir plusieurs milliers de villes moyennes. La grande leçon de la pandémie sera justement la valorisation de ces milliers de villes, petites et moyennes.
Il ne suffit pas de les fleurir et d’interdire l’accès aux véhicules automobiles pour les rendre attrayantes. Pour le moment, elles ont pris le chemin de la muséification alors que l’urgence est de susciter la renaissance de leurs activités, la réimplantation des ateliers, des usines, la ré-industrialisation. Il faut faire revenir les services, accueillir le commerce de proximité et le commerce traditionnel, assurer les différents moyens de communication et une 5G accessible à tous. La mixité et la diversité, si on en fait des objectifs, devront rééquilibrer la stratégie de l’offre et renouer l’originalité, l’attractivité, une autre forme d’urbanité apaisée. Ce n’est pas la campagne mais la nature n’est pas loin.
S’il y a un lien étroit entre la société, la démocratie et la revendication de la laïcité, alors le bien public, l’espace de la ville celui à partir duquel se fait l’acceptation de l’autre, devient l’outil indispensable longtemps oublié dans les grands principes de l’urbanisme moderne. L’espace public, trop complexe, se prête mal à l’analyse fonctionnaliste basée sur la séparation des fonctions. Selon moi, l’avenir d’une société développée ne pourra être qu’urbain, seul moyen de préserver les campagnes, l’oublier serait une grave erreur.
Ce sont les TGV qui modifient nos habitudes et nos relations. Internet est un peu comme un miroir aux alouettes, il permettrait de rester au calme, chez soi, loin du bruit, loin de la pollution… donc loin de la ville, lieu de tous les dangers. C’est une idée moyenâgeuse qui perdure. La diversité n’est pas qu’une dimension culturelle ou historique, c’est une valeur urbaine, celle des villes.
La taille des villes aura de moins en moins d’importance, ce qui prévaut c’est le réseau, l’armature des transports, la qualité des outils de communication, l’importance accordée à l’éducation, à la santé, à la culture. Après le confinement, nous allons retrouver le plaisir du « small is beautifull » car nous aurons compris que la démesure, la mondialisation, a ses limites.
La mondialisation nous a fait oublier les limites du terroir, du territoire, de la ville, au point de nous laisser confondre la ville et sa périphérie avec la campagne. Les frontières se sont diluées, on a trop souvent perdu le sens premier d’une ville, celui de la protection, de l’échange, de la mixité des cultures. L’époque n’est pas sans menaces.
Il en est une qui, sous des aspects écologiques, participe à la diffusion d’une illusion de vie à la campagne pour les citadins plutôt qu’une vie en ville. La campagne n’est pas la périphérie de la ville, la banlieue, les centres commerciaux et les usines Center. Il faut faire la différence entre la représentation sociale de la nature et le gâchis périurbain qui va nous occuper pendant les décennies à venir.
Le télétravail se développe à toute vitesse. « Il permettrait à un nombre croissant de personnes d’aller vivre et travailler à la campagne et de désengorger les mégapoles », expliquait Coline Serreau. Le confinement, et avec lui le télétravail, ne doivent pas nous faire oublier que les trouvailles, la sérendipité qui est sur le devant de la scène, n’existent que par le contact, la confiance qui s’établit entre plusieurs professionnels, plusieurs chercheurs. La confrontation est essentielle.
Depuis plusieurs décennies, le travail à domicile a suscité bien des études, bien des espoirs et bien des déceptions (en Californie, devant les baisses de chiffre d’affaires, les entreprises font marche arrière. Elles veulent que le télétravail cesse et que l’esprit d’équipe, le travail en commun réapparaissent).
Le confinement doit nous faire prendre conscience de l’importance de la sociabilité et Coline Serreau aurait eu bien du mal à faire vivre et travailler une troupe de comédiens par vidéoconférence. La ville est notre scène, notre théâtre, nous l’avons oublié et la pandémie nous rappelle à l’ordre sur la ville, notre bien commun.
Chaque ville peut réinventer son futur, d’une manière ou d’une autre. Il faut faire revivre l’activité, raison d’être essentielle de la ville, avec la sécurité, le marché et la sociabilité. La ville est fondée par l’esprit démocratique et l’échange. Pendant deux siècles, les parapluies ont été fabriqués à Aurillac, aujourd’hui ils se conçoivent aussi à Cherbourg, tout est possible…
Alain Sarfati
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