Le travail photographique d’Erieta Attali ressemble à une enquête sur ces humains contraints de se redéfinir par rapport au monde extérieur. Ce dialogue entre architecture et paysage est l’objet d’une grande exposition à Athènes*. Alessio Assonitis, expert de la renaissance et directeur du Medici Archive Project, propose une interprétation de ce dialogue. Chronique-Photos.
Le mot latin limina— pluriel neutre de limes — compte plus d’un sens. Il indique principalement les seuils, les portes, les entrées, les barrières, les débuts et/ou les fins. Ce terme peut également désigner des maisons ou des logements. (Étroitement lié est le mot limes— limites au pluriel — qui signifie frontière ou limite mais aussi passage ou sentier.)
Au sens large, les limina traduisent les lignes précises ou floues qui marquent l’espace physique, social, religieux, voire émotionnel. Limina établit des distances ou des proximités. Limina divise mais aussi unit. Limina permet et renforce les espaces mais aussi les abolit et même les profane. Limina ouvre des chemins et indique les directions. Limina assure l’ordre mais stimule également le dialogue qui peut conduire à des tensions et, en fin de compte, au désaccord.
Lorsque l’on passe en revue les études savantes d’Erieta Attali sur l’exploration visuelle des négociations dialectiques entre τέχνη (techni – de l’art) et φύσις (fysis – nature), on tombe inévitablement sur une terminologie qui fait écho aux conceptualisations contemporaines de limina. Nous y lisons les frontières, les barrières, les interstices, les démarcations, les marges, les extrémités, les voyages, les brèches, l’isolement, l’impénétrabilité, la périphérie et la sacralité. En effet, l’essentiel de son œuvre met le spectateur au défi de détecter des modèles d’interpénétration entre architecture et nature.
Dans le volume In Extremis: Landscape in Architecture publié en 2010, Attali cartographiait principalement des structures domestiques nichées dans des paysages arides et lunaires, rejetées dans des déserts désolés ou nichées dans des broussailles impénétrables. En cartographiant ces environnements in extremis, elle est devenue de plus en plus attirée par ces bâtiments qui s’intègrent dans un environnement sans compromis, qui luttent désespérément pour conserver un minimum d’identité formelle, qui sortent triomphalement des viscères de la nature et sont submergés par les éléments.
Dans certains cas, ces habitations fonctionnent comme des asiles face à l’austérité du paysage : ultimes marqueurs de l’intervention humaine avant de franchir le point de non-retour. Dans d’autres cas, ils nous rappellent les stations des pèlerins lors de longs trajets. Qu’elles soient situées dans le désert d’Atacama (Chili) ou sur l’Aurlandsfjord (Norvège), Attali cartographie soigneusement ces géographies et retrace l’itinéraire de ce pèlerinage contemporain.
Cependant, contrairement à la trajectoire linéaire d’El Camino vers Saint-Jacques-de-Compostelle (ou vers Finisterrae), de nombreux sites qui délimitent ce voyage semblent être propulsés par des forces centrifuges, se déplaçant vers l’extérieur, s’éloignant d’un centre et dispersés aux extrémités de la Terre.
Au cours de ses recherches élargies, Erieta Attali réfléchit également aux distances qui séparent les périphéries de leurs points focaux. À bien des égards, cela constitue un retour vers un centre d’intérêt personnel et culturel dont, en référence, ses premiers travaux en tant que photographe de sites archéologiques. Elle monumentalise cette dette personnelle et culturelle en façonnant le musée de la Nouvelle Acropole de Bernard Tschumi en une nef de basilique.
La citadelle de Périclès, à l’image d’un autel d’église, est sublimée par une fuga en perspective, rythmée par la sculpture du fronton ouest à droite et par des ombres parallèles gravées sur le pavé. Le lieu devient effectivement un espace de médiation entre l’urgence de la contemporanéité et la mémoire de la tradition.
Le thème du pèlerinage – celui d’un voyage vers des lieux d’éveil personnel – est très présent dans son étude de la domesticité. Plutôt que de s’éloigner du site, Erieta Attali pénètre dans les lieux et expérimente l’intimité du foyer. Alors que son précédent modus operandi était de permettre au paysage de servir de médiateur entre le spectateur et même d’interférer avec l’architecture, elle se tourne vers l’intérieur, offrant une interprétation différente de sa recherche sur le paysage en architecture, une interprétation qui défie les points de vue conventionnels.
Le verre devient un protagoniste rigoureux. Il réévalue la fonction de limina en filtrant (et en permettant) la lumière. Le spectateur est confronté à des espaces galvanisés par leur propre lueur interne, faisant taire le paysage dont la présence enveloppante se profile à l’arrière-plan. Ailleurs, des cloisons vitrées, carrées et rectangulaires, déconstruisent un paysage alpin et rappellent la fragilité des divisions. Les murs vitrés ainsi ouverts deviennent des toiles sur lesquelles, et à travers lesquelles, reflets, éclats, déviations et transparences sont soigneusement indexés.
De fait, Erieta Attali est une taxonomiste de limina. Elle comprend leur nature protéiforme, essaie de débloquer leurs stratigraphies et, finalement, archive leurs incarnations aux multiples facettes. À ce titre, ils deviennent l’unité de mesure personnelle avec laquelle elle redéfinit les règles d’engagement des « espaces entre les espaces ».
Alessio Assonitis
Toutes les chroniques-photos d’Erieta Attali
*Erieta Attali – LIMINA
Exposition au Byzantine & Christian Museum, Athens
Jusqu’au 30 septembre 2021
https://www.byzantinemuseum.gr/en/