En août 2022, Ericka Bareigts, maire de Saint-Denis à La Réunion a fièrement annoncé le projet de parc lauréat qui doit voir le jour sur le site de l’ancien « Espace Océan », sonnant le glas d’une arlésienne dionysienne. A la manœuvre, les enfants de l’école primaire. Au jury, des passants. Même les baleines qui dansent au large n’en reviennent pas !
Il y a des fonciers qui font rêver n’importe quel architecte, aménageur, promoteur ou encore bailleur. Espace Océan est de ceux-là. Trois hectares de friches entre le front de mer de Saint-Denis de la Réunion et son centre-ville historique, à 5 min de la gare routière qui irradie l’île de son cheptel de cars jaunes, du petit marché qui nourrit les Dionysiens jusqu’à l’aéroport, à un quart d’heure. Le tout à 50 mètres du ressac de l’océan indien.
Il y a des projets qui ont aussi un peu la poisse. La parcelle ne fut pas toujours nue. Les constructions, vétustes, avaient en effet été démolies en 2005 dans le but de libérer la place à un nouveau quartier, mixte et rutilant. Les chiffres donnaient le tournis : 18 000 m² de commerces, 45 000 m² de logements de toutes sortes soit 730 logements, 5 400 m² de bureaux complétés par un hôtel, un centre d’affaires, une crèche, 1 600 places de parking. Du moins, c’est ce que promettait le projet annoncé par Icade et la SODIAC, aménageur et co-promoteur sur le projet, accompagnés d’abord des agences d’architecture PCA Stream (Paris) et L’Atelier Architectes et Ingénieurs (Saint-Denis). Les ambitions étaient là et la facture s’annonçait salée, autour de 120 M€ dans un premier temps et une estimation annoncée dès le démarrage du projet d’un déficit commercial de 25 M€. De quoi faire grincer les dents sous les lambris de l’hôtel de ville.
Pour comprendre les enjeux politiques, il faut se souvenir que Saint-Denis, 19ème ville de France et 1ère des Outre-mer avec 153 000 habitants au compteur, est le chef-lieu d’une île qui est à la fois un département et une région. La roulette des élections ne tombant pas pour tous en même temps du même côté, il y a vite du grabuge sur les projets sensibles au sein des majorités municipales – UMP, pour le projet à l’époque. La Présidence de Région (centre droit) s’en est mêlée en soustrayant son soutien, sans compter l’intervention jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat, quand une lettre de Nicolas Sarkozy au préfet lui demandait de faire réaliser une nouvelle étude d’impact.
Quant à lui, le Président à la Chambre de Commerces et d’Industrie, plutôt à gauche de l’échiquier, demandait de « redimensionner avec plus d’humilité » le projet. Le quartier a ainsi été revu nettement à la baisse en conservant des espaces commerciaux et des bureaux mais en ne construisant plus que 613 logements dont un EHPA, un hôtel, une crèche et 785 places de parkings autour de 6 500 m² d’espaces paysagers. Pour fêter ça, les architectes ont été remplacés par d’autres, Triptyque (Paris) et Demain architectes et paysage (Lyon) avec Base. Depuis, le projet avance puis recule, aiguisant d’autres appétits tout en étant utilisé en partie comme parking.
Quinze ans plus tard, la friche revient sur le devant de la scène sous la houlette de l’actuelle maire de la ville, Ericka Bareigts. La ville accompagnée des paysagistes de Saint-Leu, Uni Vert Durable, propose ainsi cinq scénarii de parcs qu’on ne saurait qualifier d’attraction, sans commune mesure avec la saga précédente.
Entre le 27 juin et le 10 juillet 2022, une vaste consultation citoyenne a eu lieu, demandant ainsi aux passants lequel des projets leur semblait le mieux adapté. Chacun sait qu’à la Réunion, comme ailleurs, le quidam dans sa rue a un avis toujours avisé et technique sur ce qui se passe, surtout quand les images sont chiadées. La ville annonce 17 000 participants, un joli score qui laisse imaginer un élan citoyen hors du commun.
Les citoyens avisés avaient donc à choisir des projets pensés… par les élèves de l’école primaire de Joinville, dans le centre-ville. Heureusement que des enfants sont là pour réfléchir à la place des élus… Un projet à hauteur marmaille et pas franchement au niveau de politiques publiques espérées, sinon plausibles.
Le lauréat – « forêt aventure » – propose pour le site de l’accrobranche, des aires de jeu, des cabanes dans les arbres, un bassin et des jeux aquatiques, une montgolfière, des manèges, une ferme pédagogique, un cinéma en plein air ou encore un ‘skate park’. Les Dionysiens ont choisi un projet de parc, sans surprise, avec une montgolfière ! Après avoir en 2022 enfin réceptionné dans la douleur le téléphérique urbain de la ville, les édiles semblent pris de passion pour les voyages en hauteur.
D’autant que pour qui connaît un peu le coin, pour ce qui est de la balade dans les arbres, une île complète recouverte de forêts primaires et de chemins de randonnées très bien entretenus par l’ONF est à disposition, gratuitement à qui souhaite s’aérer un peu !
A entendre la maire, il y a urgence à « renaturer » la ville. En zone tropicale, la question est plutôt de contenir la nature en ville ! Certes, le centre historique reste très minéral, du moins dans ses espaces publics. Même dans ses derniers ouvrages livrés : une aire de jeux pour enfants, 100% béton, 0% verdure, en face du futur Dionyparks justement !
L’objectif, selon Ericka Bareigts, est de « transformer durablement la ville », et de privilégier la qualité de vie. A La Réunion, les urgences environnementales, sociales et pédagogiques ne manquent pas et ne seront pas réduites avec un parc d’attractions imaginé par des enfants. Avec l’abandon du précédent projet, ce sont environ 650 logements qui ne se feront pas, dont 230 sociaux. Pour une île dont le déficit de logement est aussi endémique que le Dodo, il y a là de quoi s’interroger sur les politiques publiques d’une île qui devrait accueillir son millionième habitant en 2030.
Pour se faire une idée, les loyers dans le centre-ville chatouillent dangereusement les cimes des loyers de la petite couronne parisienne, là où le revenu médian est bien en deçà de celui des Grand-Parisiens. Sans compter le nombre d’emplois qu’un projet urbain mixte aurait pu créer.
« Saint-Denis a la volonté d’offrir de nouveaux logements à ses habitants, comme dans le cadre du projet Prunel**, mais elle a également à cœur de faire de cette ville urbaine, une ville verte, une ville jardin, une ville qui respire, une ville dans laquelle on a envie de vivre tout simplement », justifie la maire. Concernant l’urgence climatique, une réelle ambition devrait être mise en place contre les dépôts sauvages qui gangrènent l’île, contre la surconsommation de plastique à usage unique et bien plus encore se focaliser sur une mobilité plus durable.
Pour couronner le tout, le chantier qui doit démarrer en 2023 sera réalisé en partie en « chantier participatif ». C’est à se demander ce qui, dans ce parc, pourra bien coûter au contribuable 20 M€ !
Avec de tels projets, les architectes n’ont plus qu’à se jeter à l’eau depuis la nouvelle route du littoral*, ouverte en partie et dans un sens depuis le 28 août 2022.
Léa Muller
*Lire notre article La NRL, route la plus chère du monde, est une demi route, voire une déroute
** Lire notre article Écoquartier Prunel labellisé, à Paris comme à Saint-Denis de la Réunion ?