Le 30 mai 2024, l’École supérieure de physique et de chimie industrielles (ESPCI) – PSL a inauguré un nouveau bâtiment de recherche conçu par Anne Démians (AAD) au sein de son campus historique rue Vauquelin, à Paris (Ve). Pourtant, à lire Le Monde, il aurait fallu se débarrasser de l’architecte du projet et espérer une livraison au mieux « en 2026, voire en 2028 ». Visite.
L’ESPCI, créée par la Ville de Paris en 1882, vise à former des ingénieurs de haut niveau en physique, chimie et en biologie. Réputée pour son excellence académique et ses contributions scientifiques marquantes, notamment par des figures comme Pierre et Marie Curie, elle promeut une recherche et un enseignement transdisciplinaires. Située sur la Montagne Sainte-Geneviève, l’école contribue à un cluster universitaire de renommée internationale. De fait, une restructuration s’imposait dans les labos devenus vétustes, sinon obsolètes.
L’enjeu de la restructuration,* lancée par la Ville de Paris, maître d’ouvrage, en 2011, était d’augmenter la surface de l’école pour lui donner des espaces à la hauteur de son prestige international, de rendre ses locaux évolutifs et adaptables et de libérer des bâtiments pour une valorisation future. Concours gagné à la régulière par AAD. Bref, pour un tel projet, difficile et onéreux, le jour de l’inauguration, toutes les huiles étaient heureuses de se congratuler.
Pourtant, à relire l’article de David Cosnard, publié par Le Monde le 10 juillet 2021,** c’est à se demander ce qu’Anne Démians l’architecte faisait là !
Ce texte intitulé ‘’Dérapages, désordre, défiance : chantier catastrophe pour l’« école des Nobel » à Paris’’ a pour source un rapport d’audit non rendu public, lequel reconnaît en premier lieu que « pour l’essentiel (souligné en gras par bibi), l’envolée du budget tient au fait que l’appel d’offres principal a été lancé au pire moment, à une époque où le marché du bâtiment était en surchauffe. Résultat : à l’ouverture des enveloppes, les responsables de la Mairie ont constaté « plus de 45 % de dépassement » par rapport à l’objectif. Ce calendrier calamiteux est cependant lui-même lié aux deux à trois ans de retard pris au préalable, en raison de la complexité du dossier mais aussi des hésitations des différents services de la Mairie, notamment sur la nécessité ou non d’une étude d’impact, glisse un bon connaisseur du dossier ».
Voilà qui, pour l’essentiel, a le mérite de la clarté !
Mais, dans l’esprit de David Cosnard, l’essentiel n’est rien comparé à l’accessoire, soit les « insuffisances de l’architecte » (ditto) qu’il pointe longuement, l’article appelant sans autre forme de procès, par deux fois, à en changer, d’architecte, et fissa encore, Anne Démians rhabillée pour les quatre saisons ! En effet, Anne Hidalgo, selon l’article, semblait s’émouvoir de l’emballement du coût du projet. L’article du Monde indique ainsi que la restructuration était évaluée à 176 millions d’euros en 2015, l’ouvrage a été livré en 2024 pour 230 M€, y compris le coût des équipements de labo, et il ne s’agit pas de microscopes achetés à Bricorama. Sans compter le Covid et les crises (inflation, dérèglement des circuits de production et de livraison, etc.) qui ont suivi… Chacun appréciera en connaissance de cause !
Mais bon, nonobstant la création de deux jardins en pleine terre – une prouesse, c’est Anne Hidalgo qui devrait être contente – l’enjeu n’était pas cette façade, que personne ne voit et ne peut donc en apprécier la subtilité, mais les labos. Vincent Croquette, directeur de l’école, a rappelé qu’il s’agissait avant tout « d’une demande de laboratoires à la hauteur de notre ambition, déjà les Curie en faisaient la demande ». Sur ce point, à écouter les chercheurs eux-mêmes, le projet est une réussite. « Il est rare en France d’avoir une telle infrastructure car les salles ont été conçues en amont avec l’architecte, c’est beaucoup mieux que la moyenne internationale », expliquent-ils en substance. Compter par exemple 11 000 points de GTB et 250 moteurs d’extraction. Leurs labos tip top, les chercheurs semblent contents d’Anne Démians.
Quant à Alain Fuchs, président de l’Université PSL, il a évoqué « un geste architectural puissant » tandis que Dominique Zaccagnino, directeur opérationnel Dumez Ile-de-France, VINCI Construction, se félicitait « d’un projet ambitieux et visionnaire ».
Si le journaliste du Monde avait été là, il aurait peut-être révisé son jugement ! D’autant que, surprise !, par la voix d’Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la Maire de Paris, il aurait entendu la maîtrise d’ouvrage s’extasier devant les défis du chantier relevés par l’équipe de maîtrise d’œuvre : « …outre la démolition des labos en cœur d’îlot, en site occupé, il a fallu couler 7 500 m³ de béton car nous sommes au-dessus d’une carrière (250 pieux jusqu’à 26 m de profondeur. nda), il y a neufs niveaux de superstructures… ». Soufflant en effet !
Enfin, il aurait entendu l’académicienne Anne Démians expliquer avoir voulu « moderniser à travers une vision sensible de l’espace », ce dont, nous l’avons vu, les chercheurs, peut-être de futurs Prix Nobel parmi eux, lui savent gré. Elle dit avoir tracé « une spirale – métaphore de l’infini dans les sciences et la recherche – autour de deux jardins ».
« Architecture historique et contemporaine, patrimoniale et moderne, bâti en poteaux-poutres, c’est un bâtiment flexible, technique, performant qui permet le fonctionnement optimal des labos. Quant à la façade, il s’agissait surtout de faire sobre, rationnel, sans aucune fioriture. La structure porteuse est tramée 8 x 10 m pour répondre aux demandes des labos et optimiser leur flexibilité. Avec la même surface au sol, nous avons ajouté de la densité en remplissant à 100 % l’espace permis par le PLU tout en reconstituant 4 500 m² d’espaces verts d’un seul tenant », conclut l’architecte.
À la fin de la deuxième phase, en 2026, Anne Démians aura construit / reconstruit 34 000 m² (première phase = 18 000 m²), au sommet de la montagne Sainte-Geneviève à Paris, des espaces qui feront parmi les scientifiques, au moins pendant un temps, l’envie du monde entier !
Excusez du peu !
Pour le coup, tous ceux présents à la cérémonie ont bien compris ce qu’Anne Démians faisait là.
Christophe Leray
* Dérapages, désordre, défiance : chantier catastrophe pour l’« école des Nobel » à Paris (Le Monde, 10/07/21)
** Lire la présentation (2022) L’ESPCI à Paris en chantier par Anne-Démians et Pierre-Antoine Gatier