Le France est le pays champion du monde des centres commerciaux. A l’heure où les Américains eux-mêmes n’en construisent plus, les Français continuent d’en tartiner allègrement tout le territoire, dont le désormais fameux projet d’EuropaCity. Ce mastodonte prévu près de Paris n’est que le reflet d’une pensée avariée comme des tomates pourries de supermarché. Elle continue pourtant de faire florès dans l’Hexagone. Explications.
«Pas un centre commercial n’a ouvert aux Etats-Unis depuis cinq ans», expliquait Lynn Richards, présidente de Congress for The New Urbanism, une organisation américaine qui lutte contre l’étalement urbain, lors d’un séminaire à Lyon en juillet 2017. Le même été, en août, John Biers, journaliste de l’AFP, nous apprend que «les ‘malls’ américains, autrefois temples du shopping, sont devenus des zones fantômes, victimes de l’explosion du commerce en ligne et des nouveaux modes de consommation». Zones fantômes ?
Voyons, que fait-on en France ? Le Conseil national des centres commerciaux, cité par le Canard Enchaîné du 19 juillet, indique que pas moins de 78 centres commerciaux seront construits d’ici à la fin de l’année prochaine. «Ils dévoreront 1,3 million de mètres carrés. Sachant que la France en possède déjà 807 s’étalant sur 17 millions de mètres carrés…», souligne le Canard.
Donc, si je comprends bien, les Américains ont abandonné le modèle des centres commerciaux périurbains et du ‘mall’ gigantesque depuis au moins cinq ans et nous continuons à en construire en masse – 78 ! – dont le gigantesque Europacity. La France est championne du nombre de centres commerciaux par habitant (et des centre-ville déserts) et, de fait, s’active pour défendre son titre. Sauf que si c’est pour faire la nique aux Ricains qu’Auchan et ses alliés chinois investissent 1,5MD€, qu’ils se rassurent, les Ricains sont déjà passés à autre chose, depuis un moment déjà.
A titre de comparaison, 1,5MD€, c’est 50% de plus que le coût de l’ensemble du nouvel hôpital de Nantes, le plus grand projet français dans le domaine de la santé, ou autant qu’un million d’années d’électricité gratuite pour toute l’Afrique.
Ok, un signe. Le 28 août, l’enquête publique sur la révision du plan local d’urbanisme (PLU) de Gonesse émettait un avis défavorable pour «l’urbanisation de cette zone agricole située au nord de Paris». Une décision purement consultative mais qui devrait mettre la puce électronique et financière à l’oreille de nos capitaines de l’industrie épicière.
Ronan Hébert, le commissaire enquêteur, juge le projet d’aménagement du Triangle de Gonesse «peu compatible avec la notion de développement durable». Ha bon, il n’aurait donc pas cru au bénéfice de bétonner 60 hectares de terres agricoles pour en récupérer 7 en «agriculture urbaine» ? Le même souligne que «les objectifs en matière d’emploi sont peu en phase avec le niveau de formation local». Une façon élégante de dire que le chantage à la création d’emplois mérite peut-être réévaluation.
Ok, un autre signe. EuropaCity est à un jet de gomme d’Aéroville qui marche du feu de dieu. C’est de l’ironie, au cas où ses prosélytes ne sauraient pas encore que ce centre commercial qui devait péter le feu en termes de profit semble le plus souvent aussi déserté qu’une église. Alors mettre juste à côté EuropaCity, un établissement au concept similaire, c’est une idée à laquelle même les Américains n’avaient pas pensé. A 1,5MD€ la piste de ski, c’est un sacré pari sur la société des loisirs.
Ok, un dernier signe. En février 2017, le montage financier du projet de centre commercial Lillénium, à Lille*, a été bouclé autour de 145 M€, grâce à des fonds publics, notamment des crédits publics consacrés à la «ville durable». Et oui, il faut bien que les contribuables payent pour préserver les marges des investisseurs. A EuropaCity, pour 1,5MD€, les collectivités municipales, locales, métropolitaines, départementales, régionales et nationales ne mettraient pas la main à la poche ? Ne serait-ce que pour une station de métro aux frais de la maison ? Bientôt les mêmes nous expliquerons que c’est ainsi qu’elles investissent dans la culture et les loisirs.
Surtout, le vrai problème d’Europacity est qu’il s’agit dans son concept même d’une vieille idée, née dans les années 50, en Amérique. Les autoroutes, inductrices de trafic et construites à tout-va, ont créé une séparation des déplacements. Il devenait possible de séparer les fonctions. Bienvenue à la ‘suburbanisation’ et donc à la création des centres commerciaux et de leurs immenses parkings sans âme. Dormir ici, travailler là, le shopping et les loisirs ailleurs, tout le monde nulle part… Une ambition sadique !
Quelle adresse pour EuropaCity ? Une adresse dans le 9-3 écrite en espéranto ? Et comment s’y rendre sinon en voiture ? Parce qu’en effet ça circule super bien en région parisienne, surtout dans cette direction, comme chacun sait.
Il faut espérer qu’EuropaCity soit une bonne affaire pour quelqu’un parce que sinon, leur dire que cela fait dix ans que les Américains ont viré leur cuti et que, pour un projet de cette dimension, ça ne se présente quand même pas super bien.
Comment s’en étonner ? L’idée même d’EuropaCity est en 2017 l’expression d’un monde de vieux qui, soixante-dix ans plus tard, n’a plus cours. C’est un peu comme se projeter dans le futur avec des silex ! Au rayon bricolage. Le BIG architecte d’EuropaCity, sur ce projet, il croit vraiment être novateur ? Vraiment ?
L’autoroute et le centre commercial sont les derniers avatars du modernisme. D’évidence, ils trouvent encore en France nombre de prédicateurs zélés.
Christophe Leray
* Lille : De l’argent public pour construire un centre commercial – 20minutes, 10 février 2017