En plein cœur du Marais, le groupe Galeries Lafayette a inauguré mi-mars sa fondation d’entreprise Lafayette Anticipations. Signée Rem Koolhaas (OMA), assisté des français DATA, cette machinerie, antithèse d’un formalisme grandiloquent, n’est que le premier rouage d’un remodelage discret de l’ensemble du patrimoine immobilier du groupe.
C’est au 9 rue du Plâtre (Paris IV), qu’a élu domicile la fondation d’entreprise Galeries Lafayette – Lafayette Anticipations – créée en octobre 2013 à l’initiative de Guillaume Houzé qui en assure la présidence – non loin du BHV du Marais et du Centre Pompidou. Comment faire vivre une fondation face à ce mastodonte de l’art contemporain ?
Le programme se devait de faire montre d’originalité : l’institution accueillera donc des artistes qui produiront et diffuseront leurs œuvres in situ. L’architecture devant exprimer cette intention, Rem Koolhaas, choisi en 2012 pour réaliser la fondation, concevra donc «une machine» pour les mettre en scène, l’occasion pour l’architecte néerlandais de construire son premier projet parisien.
Lorsqu’il débute les études avec Citynove, filiale du groupe Lafayette, et DATA, jeune agence française, le quartier sauvegardé du Marais faisait encore l’objet d’une révision de son Plan de Sauvegarde et Mise en Valeur (PSMV), occasionnant des doutes quant à la classification du bâtiment de la fin XIXe devant héberger le projet.
Cette période d’hésitation permet à Rem Koolhaas d’évaluer les possibles, de proposer de nombreux avant-projets, avant d’aboutir quatre ans plus tard à une architecture… qui n’en est pas vraiment une. Un effacement qui n’est pas sans produire une identité forte.
Construit pour le BHV en 1891 par l’architecte Samuel de Dammartin, ce bâtiment était utilisé initialement comme entrepôt, puis lieu de réparation de chapeaux de paille, alors spécialité du BHV. Il servira par la suite de dispensaire, d’institution de jeunes filles et plus récemment d’école préparatoire à l’enseignement supérieur.
Son état actuel reflète l’accumulation des transformations qu’il a subi, dont l’essentiel des témoignages a disparu lors de l’incendie des archives du BHV, tandis que ses façades de pierres sont caractéristiques de la période fin XIXe.
Inséré dans l’emprise de la cour du bâtiment, un dispositif haut de 18,70 m structuré d’acier et chapeauté de verre opère telle une machine à exposer. Quatre planchers mobiles (2 de 50 m², 2 autres de 25 m²) indépendant les uns des autres se meuvent verticalement le long d’une crémaillère, déclinant 49 configurations spatiales.
Positionnés à rez-de-chaussée, ils rappellent la perception historique du bâtiment, qui intéresse particulièrement les ABF, et dégage un grand volume d’exposition propice à la suspension. Autour, les volumes existants sont restructurés, et abritent restaurant et boutique à rez-de-chaussée, espaces d’expositions et ateliers pédagogiques dans les étages, et bureaux au dernier niveau.
Ce mobile dans l’immobilier, répondant à un souhait de flexibilité dans un espace contraint, n’est pas sans rappeler la plateforme hydraulique de la maison Lemoine à Bordeaux. Il s’agit en tout cas d’un mécanisme improbable, compliqué à porter jusqu’à sa réalisation, sous lequel, en sous-sol, s’activent les artistes à la production des œuvres qui seront exposées.
Surtout, en réactivant la cour d’un ensemble bâti ce projet, cette fondation est le premier rouage d’une mécanique plus grande.
Propriété du groupe depuis 1991, le BHV, installé depuis plus de 160 ans face à l’Hôtel de ville, a acquis progressivement les bâtiments compris entre la rue Sainte Croix de la Bretonnerie au nord et la rue de la Verrerie au sud, la rue du Temple à l’ouest et la rue des Archives à l’est. Un patrimoine immobilier dont les rez-de-chaussée sous utilisés méritaient d’être optimisés, et les cours et passages réactivés.
DATA, après avoir assisté Koolhaas, s’est ainsi vu confier par Citynove le microplan directeur de la restructuration de cet îlot. Si les projets sont confiés à différents architectes, comme Ciguë* ou Jamie Fobert**, DATA est plus particulièrement en charge de la restructuration lourde de 3 200 m² au 3 de la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie.
L’ensemble bâti, daté des années 1860, occupe l’angle sur quatre niveaux. Il a vu s’accumuler en son centre nombre de constructions, comme l’ancien restaurant d’entreprise du BHV, dépourvues de qualités architecturales. Démolies, elles laisseront place à une grande halle abritée sous verrière.
La structure mixte des volumes existants, composée de bois, béton et métal au gré des interventions, est préservée au maximum et renforcée. De grandes poutres métalliques de 18 m de portée traverseront l’atrium et porteront les nouveaux planchers. Sur rue, là encore, rien ne dévoilera l’intervention contemporaine, hormis peut-être les menuiseries posées sur la pierre.
Livré fin avril 2018, le lieu accueillera le premier Eataly en France, une chaîne de grands magasins spécialisés dans la nourriture italienne, pour une ouverture courant 2019.
Ainsi, le groupe Lafayette, déployant ses activités commerciales à l’horizontal, rouvre les passages et habite les cours. Une stratégie de développement qui n’a rien à envier au Bonheur des Dames, le grand magasin à la croissance exponentielle avalant ses voisins dans le roman éponyme d’Emile Zola.
Amélie Luquain
* Ciguë conçoit la boutique A rebours, d’une surface de 120 m², qui vient d’emménager au 46 de la rue Sainte Croix de la Bretonnerie.
** Les façades du 9 au 13 rue des Archives arborent depuis 2015 les encadrements en bronze de Jamie Fobert, le Londonien qui entreprend la deuxième phase de son projet, consistant à investir les cours avec des cubes empilés, occupés par les commerces.)