La ville de Paris vient d’imaginer «quatre forêts urbaines» pour améliorer les conditions de vie des Parisiens qui vont souffrir du réchauffement climatique. Les experts du GIEC prédisent des pointes de 50°C à l’horizon 2050. Si les prévisions se révélaient justes, la ville serait tout simplement invivable, avec ou sans forêt.
On comprend donc l’inquiétude des édiles mais la précipitation n’est pas toujours bonne conseillère. On savait déjà que l’arbre pouvait cacher la forêt, mais on n’imaginait pas que la forêt pourrait cacher la ville. Est-ce qu’on la cacherait parce qu’on la déteste ? A partir de quelle taille une forêt pourrait-elle être urbaine ?
Plutôt que de planter «quatre forêts» qui cacheraient la vue sur nos prestigieux bâtiments, ne serait-il pas plus judicieux de prévoir que chaque rue de Paris ait son arbre planté en pleine terre, pas dans des bacs ! Chaque perspective aurait sa part végétale, son feuillage, sa différence.
L’amour de la ville, celui de Paris, la plus belle ville du monde, devrait nous rendre plutôt fiers et devrait nous éviter de tomber dans les pièges triviaux comme celui de «faire revenir la nature dans la ville», la nature n’a jamais eu de place en ville. Le relativisme frappe les esprits de ceux qui veulent transformer la ville en campagne, à défaut de construire les villes à la campagne.
Le problème de Paris est ailleurs, il est économique et social ; pour la ville inquiète, la place de la nature joue «un rôle compensatoire du tout technique». Planter des oliviers, des palmiers qui ne passent pas l’hiver ou des magnolias en pots, comme on peut le voir à tous les coins de rue ne sera pas une réponse au problème posé. Pauvres plantes maltraitées… Il est urgent de créer une nouvelle association de «bien-pensants» pour désigner les mauvais traitements infligés aux végétaux en ville.
La ville est confrontée à une autre réalité. Réchauffement climatique ou pas, il est permis d’affirmer déjà que, dans dix ans, il n’y aura plus aucune place pour les véhicules automobiles individuels dans Paris. La chose est inéluctable, c’est la logique de la ville moderne. L’urgence n’est donc pas pour 2050, la décision doit être immédiate, c’est pour aujourd’hui qu’il faut construire des parcs de stationnement à toutes les entrées de la capitale, prévoir les «mobilités douces», moderniser les transports en commun…
Le projet proposé reste plutôt obscur : quatre forêts urbaines dont la totalité des quatre surfaces serait équivalente au square Boucicaut. Pour améliorer l’air de Paris ? Pour apaiser l’angoisse des conducteurs désespérés, coincés dans les embouteillages ? Pour améliorer la température ressentie ?
Le risque est grand de détruire l’atmosphère de Paris au prétexte de réduire la pollution, pollution qui sera, de facto, réduite à court terme par l’abandon des véhicules à moteurs thermiques… et avant même que les végétaux n’aient eu le temps de se développer.
Qui peut croire ces balivernes : quelques baliveaux vont changer le cours des choses ? Ils risquent de rendre la ville encore plus détestable, plus sale, plus ‘insécure’. La forêt, si elle était réalisée, serait le dernier endroit où «pisser », un dépotoir, sorte de camping urbain. Il est vrai que la forêt est ici une image, un abus de langage. L’irréparable serait de détruire notre bien le plus précieux, l’espace public.
Paris se transforme depuis trente ans, c’est l’opération Vigie-pirate, qui a permis d’engager une mutation et que soit acceptée la limitation du stationnement, non sans difficultés. Les politiques urbaines successives doivent répondre à une question ; la surface de l’espace allouée à l’automobile se réduit, quelle nouvelle allocation va-t-on proposer ? La question demeure.
Il est bien évidemment difficile de proposer un projet qui plaise à tout le monde. Implanter des forêts en ville va plaire à tous ceux qui détestent la ville, qui ne la regardent pas tant ils rêvent de campagne. Nous sommes dans une période d’uniformisation totale, après l’uniformisation des façades toutes végétalisées, nous n’aurons bientôt plus de choix.
Si les Parisiens veulent de la forêt, ils peuvent aller en forêt, personne ne les en empêche, et, qui plus est, ils y trouveront des loups. Mais personne ne pourra croire que quelques plantations vont abaisser la température ambiante : elles changeront juste l’atmosphère urbaine et Paris ne sera plus Paris.
J’aime Paris parce qu’elle est différente des autres villes. C’est à Jean-Charles Adolphe Alphand que nous devons nos squares, nos parcs, nos jardins et nos arbres d’alignement. Si l’avenue de l’opéra est l’unique avenue de la capitale à ne pas avoir d’arbres, c’est volontairement, pour que l’on puisse admirer la perspective sur le palais Garnier.
Il faut absolument s’élever contre les faux projets : Paris n’a rien à envier aux villes vertes que sont Berlin, Stockholm ou Washington. Nous offrons un autre paysage, celui d’un savoir-vivre, et c’est lui qu’il convient de comprendre, de développer, de promouvoir.
Si les experts du GIEC pensent que la température pourrait atteindre 50°, faudra-t-il se préparer à vivre sous terre ? Vivre dans des logements troglodytes ? J’ai peut-être l’explication de cette longue queue qui se forme tous les matins pour visiter les catacombes. Les visiteurs avertis s’y pressent par milliers car ils savent que la température de la ville y est stable. Ils sont… prévoyants.
Si tout reste à inventer, ce n’est pas une raison pour transformer Paris en parc de loisirs. Séville offre des «toldos» (des ombrières) pour se protéger des ardeurs du soleil. Pour se protéger du froid, Montréal a opté pour un appareil commercial sous terrain, difficile à vivre l’été. Venise avec ses canaux devra-t-elle elle aussi se végétaliser pour être plus vivable l’été ?
Il y a quelques années, une promesse de campagne était de rendre sa couleur bleue à la Seine, un chantier inachevé qui, lui, aurait pu plaire à tout le monde. Le vert est à la mode, pour éviter d’avoir un pont d’Iéna «peint en vert» dans le cadre du verdissement désespéré de la ville, se souvenir du projet du peintre Garcia Uriburu qui voulait donner à la Seine une couleur de prairie verte, fluorescente, pendant que Cristo emballait le Pont Neuf.
Le verdissement précipité montre une grande défiance et une incompréhension du rôle que doit jouer l’architecture, de sa dimension compensatoire dans la ville moderne puisque, comme la nature, elle est culture. Si les hypothèses du GIEC sont crédibles, il faudrait prendre d’urgence les décisions radicales qui s’imposent et ne pas se contenter d’effet de communication.
La seule forêt urbaine que j’imagine est une forêt de tours, dans un monde hyperconnecté, hyperrenouvelable, respectueux de son histoire et ouvert sur l’avenir.
Pourquoi ne pas regarder de plus près la place de L’Etoile ?
Alain Sarfati
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