Voilà un équipement, né dans la polémique et entouré de suspicion, qui sombre déjà sous les sarcasmes et les quolibets. La poésie du lieu, conçu par Marc Miram, semble totalement échapper à ses usagers et détracteurs, souvent les mêmes. L’architecte n’a fait pourtant que répondre au programme, en PPP. Grand projet visionnaire ou grand projet inutile ? Chroniques d’architecture y était.
C’est France Info qui a dégainé la première. La galère à la gare TGV Sud de France titrait la chaîne d’infos le 12 août. Avant d’en remettre une couche le 2 septembre – Voyage en plein train fantôme – et une autre le 6 septembre – Le fiasco de la nouvelle gare. Acharnement ?
Entre-temps, la presse nationale et régionale s’est lâchée à son tour : Une gare égarée (Le Canard Enchaîné 22/08), Un non-sens (La Tribune 04/09), Pourquoi la gare est boudée par ses habitants (LCI 04/09), Grand projet inutile (ses nombreux détracteurs dès le début), etc. D’ailleurs les Ecolos locaux, qui sont vent debout contre un projet à leurs yeux dispendieux souhaitent encore, dès le 23 août, que cette gare soit purement et simplement «fermée». Enfin 20 Minutes a testé le trajet de La gare fantôme à La Comédie. Compter une heure, autant de temps que Paris-Le Mans, 200 km.
Pourquoi tout ce souk ? titre enfin Le Point le 7 septembre. Après le déluge d’indignités et de sarcasmes, il s’agit là d’une bonne question, surtout considérant que ce projet semble n’avoir jamais convaincu grand monde de sa pertinence.
La gare a été conçue par Marc Mimram, vainqueur en juillet 2014 du concours face à Rudy Ricciotti, Norman Foster et Dominique Perrault. En réalité le vainqueur est un consortium mené par Icade puisque l’ouvrage sera construit en PPP (Partenariat-Public-Privé). Chroniques d’architecture y était le 19 juillet 2018, quelques jours à peine après sa première mise en service.
De fait, lors de ce voyage de presse, l’arrivée à et le départ de Montpellier se sont faits à… Saint-Roch, la gare historique et ‘naturelle’ de Montpellier. Il n’y a pas (encore) de liaisons ferroviaires entre les deux gares et le chauffeur de taxi n’avait que des reproches à faire à ce nouvel équipement loin de tout.
Objectif de l’ouvrage ? La SNCF annonce fièrement un gain de 20 mn entre Montpellier – Gare du sud et Paris. La nouvelle gare n’est située qu’à six kilomètres de la place de la Comédie, dans le centre, ce qui de loin peut paraître une courte distance sinon que, située entre l’autoroute (les autoroutes !) et une zone encore en développement, il faut pour la rejoindre au moins 40 minutes de transport en commun via le tram puis une navette et encore un peu de marche en tirant les valises. Ou 20 minutes en taxi, à 20€ la course.
Même les accès piétons et routiers semblent avoir été pensés en dépit du bon sens et à chaque arrivée et départ de train se forme un embouteillage, que doit gérer la police municipale, sur la rampe d’accès à un très vaste parking, première (ou dernière) vision de l’ouvrage pour la plupart de ses usagers. La première demi-heure de stationnement est gratuite et c’est bien le moins.
Le tout pour arriver dans une gare fantôme ?
C’est bien la première impression qui se dégage à la découverte de la belle ouvrage d’art réalisée par Marc Mimram avec cette gare-pont élégante, généreuse dans ses espaces extérieurs et d’une grande subtilité dans l’animation de la lumière, eu égard à la toiture-structure, c’est-à-dire «une structure qui est elle-même la toiture et non une structure qui porte la couverture….».
Ce 19 juillet, un jeudi donc, à notre arrivée en début d’après-midi, la gare est déserte et semble immense. Il y fait bon malgré la canicule qui cogne sourdement dehors dans un ciel d’Occitanie au soleil de plomb. L’architecte n’est pas peu fier de son système de ventilation, des diffuseurs ayant pour fonction d’accélérer le vent et rafraîchir l’espace. Une gare «méditerranéenne», selon lui, soit «une gare attentive à la variation des lumières et du climat». «Il ne s’agit pas ici de limiter l’espace par un voile de verre mais bien au contraire de construire de l’ombre pour guider la lumière dense à travers un filtre opaque», explique-t-il. Pas la peine en effet de baigner la gare de lumière pour avoir à s’en protéger ensuite.
Plus précisément, 154 palmes de béton fibré ultra-performant préfabriquées de 3 cm d’épaisseur ont été mises en œuvre en 10 jours. «Elles permettent de réaliser en une seule fois structure et couverture sans rapporter d’étanchéité ni de revêtement complémentaire. Les palmes sont préfabriquées et sont réalisées à inertie variable selon un origami à double courbure qui leur donne une résistance de forme et permet de constituer une portée de 18.40 m avec une épaisseur BFUP de 4 cm. Ces feuilles de béton incluent des réservations variables selon les orientations qui sont protégées par des rectangles de verre transparents», indique l’architecte. Très bien.
Considérant que l’œuvre a été construite en PPP, pour un coût de travaux de 70M€, elle a au moins le mérite de l’élégance. Mais le coût total du projet est annoncé à 135M€, voire plus de 180M€ quand le tramway sera à quai. C’est une coquette somme d’argent public, répartie en majorité entre la SNCF et l’Etat, la région Occitanie (33M€) et la métropole de Montpellier (10M€).
Dans l’espace immense et absolument vide, nous avons tout loisir d’admirer l’ouvrage qui apparaît alors totalement surdimensionné, sans parler de sa localisation au milieu de nulle part. Quand, soudain, arrive le 15h25, en provenance de l’aéroport Charles-de-Gaulle à Paris alors même que se préparent les passagers de l’Intercités de 15h40 pour Bordeaux. La gare s’anime et se remplit en quelques minutes de passagers pressés. Elle semble alors bien vite bondée et apparaît à ce moment-là totalement sous-dimensionnée, avec une longue queue devant les quelques commerces épars. Puis, très vite, comme une inondation rapidement disparue vers la mer, la gare se vide totalement et sombre à nouveau dans la torpeur.
Alors sur ou sous-dimensionnée la gare ? L’architecte en tout cas n’y peut rien.
Marc Mimram rappelle qu’à l’origine du projet, la gare devait être deux fois plus grande et que, même ainsi diminuée, elle s’inscrit dans le cadre de la nouvelle ligne vers Perpignan en contournant Nîmes et Montpellier tout en ayant vocation à accueillir le fret et désengorger le trafic de la gare Saint-Roch.
Surtout, elle s’inscrit dans le plan de développement de Montpellier vers la mer. Certes, aujourd’hui, cette gare semble perdue au milieu des champs et de ses bassins de rétentions d’eau pour pallier aux évènements cévenols mais les chantiers des ZAC alentour indiquent que le paysage actuel est transitoire et sans doute déjà éphémère puisqu’un nouveau quartier – Cambacérès – est en train de sortir de terre.
Le tramway est prévu pour relier la gare en 2021 ou 2022 et permettra de rejoindre facilement le centre et de déposer les voyageurs exactement devant l’entrée de la gare. De plus, l’aéroport, visible de la terrasse extérieure en balcon sur les voies, est tout proche et les premiers contreforts de la ville, dont la ZAC Consul de Mer, sont déjà à portée de tir. Qui plus est, il est question pour l’équipe de foot professionnelle, le MHSC qui évolue parmi l’élite, de construire ici sa nouvelle arène, son stade historique de La Mosson étant menacé par une répétition des inondations. Enfin, l’agence Muoto doit entamer bientôt, tout près, les travaux pour un bâtiment destiné à la French Tech.
Bref, même si cette gare a pour ses usagers le même air navré qu’un nouveau quartier sans encore ni boulangerie ni commerces pour ses premiers habitants, ce n’est pas exactement le désert, du moins ce ne le sera plus longtemps.
Cette gare est l’un des éléments structurant – du moins supposé tel – d’un espace urbain encore en devenir et il est difficile aujourd’hui, et sans doute présomptueux, de tirer un trait définitif sur cette gare du Sud. Sinon pourquoi envisager jusqu’à 1 500 places de parking ? De fait, quand la nouvelle gare TGV Nîmes-Manduel sera ouverte en 2019, la SNCF annonce jusqu’à une trentaine de TGV par jour.
Pour le coup, même s’il est permis d’espérer que ses accès auront demain été améliorés, au vu du taux de remplissage de la gare en ce jour de visite avec seulement deux trains à quai, l’ouvrage, loin d’une gare fantôme et contrairement aux apparences, risque de se révéler en effet largement sous-dimensionné. De huit à trente trains par jour, ce n’est plus la même échelle.
Par ailleurs, alors que la vision de la gare en tant que lieu de vie urbain, et non plus seulement un endroit où partir et arriver, prévaut désormais (cf AREP pour faire court), rien n’indique que, même utilisée à sa juste capacité, cette gare du sud n’apporte en soi une quelconque urbanité. Elle n’est à ce jour, et sans doute pour longtemps, qu’un simple lieu de transit. Peut-être en sera-t-il différemment dans cinquante ans quand la ville se sera densifiée autour d’elle et que les parkings auront disparu. Les exégètes prêteront peut-être alors attention aux subtilités de la lumière mises en œuvre par l’architecte.
Il sera toujours temps à ce moment-là de construire cette extension initialement prévue. «Le pont peut se prolonger pour rejoindre le tramway vers la mer», souligne Marc Mimram. Si un architecte doit se plier au programme qui lui est proposé, Marc Mimram fait mine de croire à celui-là.
En tout cas, la SNCF n’en démord pas et insiste : «Grâce à cette nouvelle ligne, vous allez gagner environ 20 minutes de votre temps sur la ligne Paris-Montpellier en 2018 ! De quoi s’offrir une petite balade dans les rues de Montpellier…» Sans blague !
Christophe Leray