Gaspard Saint Macary a son agence au 12ème étage d’une tour située Quai de la Seine dans le XIXe arrondissement, orientée plein ouest et avec vue plongeante sur Paris. L’endroit, qu’il partage avec quelques autres architectes mais aussi une boîte de traduction, une autre de relation publiques, un designer, etc. est chaleureux. Rencontre avec un architecte de 37 ans dont le métier fait partie de son art de vivre.
Parfois, souvent, l’architecture est un héritage. C’est le cas pour Gaspard Saint Macary. «Enfant, j’adorais le dessin, mettre l’espace en perspective. J’étais fasciné par les plans de mon père architecte et je traçais des lignes noires pour définir des espaces », se souvient-il. L’architecture en patrimoine comme pour d’autres la médecine, le droit ou les courses de chevaux. Ce qui est intéressant est ce qu’en fait l’héritier.
Bien sûr il n’y a aucune fatalité mais, dans le cas qui nous occupe où l’architecture est en effet donnée en legs, Il y a autant de réactions et comportements qu’il y a de légataires. Certains le deviennent, architecte et héritier, par paresse, sans passion, sans souci de création. D’autres entendent porter la pratique plus loin que ne l’a fait le père ou la mère, comme cette agence lilloise rendue à Hong Kong avec la génération suivante. D’autres encore s’inscrivent dans les pas du fondateur de l’agence, deviennent associés et poursuivent l’activité. Des dynasties d’architectes sont ainsi fondées et ils ont tous pour prénom Anthony. Quelques-uns s’émancipent dans de grandes agences internationales avant de créer leur propre agence tant il leur semble nécessaire de se faire un prénom.
Gaspard Saint Macary aurait pu, aurait dû peut-être, prendre n’importe lequel de ces chemins. Quant à lui pourtant, après deux ans d’archi à l’école de Belleville à Paris, il a mis ses économies de caissier le dimanche dans son baluchon et a décidé de tracer sa propre voie, tranquillou, là où l’emmènerait sa curiosité. C’est ainsi qu’il finit par se retrouver au Bangladesh, où il passe six mois, avant de rejoindre un équipage qui achemine des bateaux pour leurs propriétaires. Un voyage et des navigations qui sont la marque d’un homme peu pressé.
Revenu à Belleville, où il passe un an, il rejoint l’école de Marne-la-Vallée. «Je m’intéressais aux territoires», dit-il. Il suit les séminaires de Jacques Lucan et d’Eric Lapierre, s’imprègne «d’une rigueur dans l’appréhension des volumes», cherche «la simplicité comme complexité résolue». Son mémoire traite des magasins commerciaux (Lapeyre, Mondial Moquette, Bricorama, etc.) comparés à l’architecture savante.
Décidément adepte des chemins détournés, il est en cinquième année quand il part en stage chez Balkrishna Doshi. A l’époque, en 2003, l’architecte indien a déjà 76 ans. C’est lui qui a fait venir Le Corbusier et Louis Khan à Ahmedabad, morts et enterrés depuis longtemps ! Ce dernier est d’ailleurs l’auteur de l’Assemblée nationale du Bangaldesh, il n’y a peut-être pas de hasard. «Balkrishna est un gourou au sens indien : on l’écoute», indique Gaspard Saint Macary. «En fait, il donnait à son gendre tous les projets qui l’ennuyaient et je me suis retrouvé à travailler avec lui pour la conception d’un musée», dit-il.
De la complexité résolue au chaos créatif de Balkrishna Doshi, le jeune homme décide de faire son diplôme en Inde, à Bombay, dans le plus grand bidonville d’Asie, des conditions de vie que connaît 60% de la population de la ville. Dans ces taudis, la seule distraction est le cinéma. Son idée : inventer le premier multiplexe du bidonville. «Bombay m’a déconcerté. C’est une ville hyperviolente, tu vacilles et tout t’échappe». Il y fera finalement beaucoup de musique. Il revient en France «par la terre», un autre long voyage en solitaire. Largement le temps de la réflexion. Eloge de la lenteur. La course du rat, ce ne sera pas pour lui.
En 2005, il n’avait toujours pas son diplôme. «Je l’avais mis de côté, il fallait que je bosse», dit-il. A l’époque, avant la réforme LMD, rien ne pressait vraiment. Finalement le sujet de son diplôme portera sur un équipement urbain dédié à une population pauvre menacée par la gentrification. Son goût pour l’aspect social de son métier demeurera et deviendra une forme d’engagement. En attendant, il effectue une réhabilitation dans une maison du Vieux-Lille. «Je l’ai transformée au-delà de toute raison en matière de budget mais c’est là que je suis devenu architecte», dit-il. Le maître d’ouvrage est ravi, l’ouvrage est publié.
«On sort de l’école, on est un King Kong mais la recherche du plaisir est fondamentale. Doshi disait : ‘le projet doit évoluer comme un arbre en milieu hostile qui se tord pour chercher la lumière’», dit-il. Un arbre, ça pousse lentement.
Il a l’opportunité d’emprunter une voie royale. A Paris, il est engagé dans l’agence de Nicolas Michelin. Il y passera neuf mois. Ils n’étaient que 35 à l’époque. Architecture 1.0.1. «J’avais fait du projet en agence pour la dernière fois», dit-il. Sa première commande : la mise en conformité d’une église en béton des années 70, ce qui, dit-il, justifie qu’il se mette à son compte.
D’extensions en réhabilitations et quelques maisons, il fait le choix de se développer seul, une méthode certes plus lente qu’en agence – il est né dans une agence – mais qui vient compléter utilement l’héritage immatériel. D’ailleurs quand l’occasion se présente, alors qu’Arcane, l’agence fondée par son père (notamment), organise une transmission raisonnée, Gaspard a l’opportunité de devenir associé. La voie royale à nouveau. Il préfère retourner à son atelier. Ce n’est pas par manque de respect, c’est un choix raisonné car son ambition est ailleurs. «Ce qui m’intéresse est d’avoir une activité prospective et faire des projets qui me ressemblent», dit-il. En 2010, il est retenu pour les aménagements du 9ème étage de l’Institut du Monde Arabe à Paris.
C’est l’occasion pour lui de constituer une équipe d’artisans avec lesquels il travaille encore. «C’est un plaisir de construire dans une compréhension mutuelle et une confiance absolue envers les entreprises qui nous accompagnent», souligne-t-il. De ce projet naîtra plus tard l’exposition Plongeon Immobile présentée à la Galerie Duboys à Paris en février 2015, en collaboration avec le photographe Cyrille Lallement.
«Le plongeon immobile naît dans un abri en intimité avec le paysage, une structure en forme de canon dirigé vers l’étendue. Ses parois coupent la vue du contexte immédiat et se dématérialisent progressivement pour donner le relais au vide, à l’étendue chargée d’imaginaire», explique-t-il. Un plongeon immobile, on ne peut guère aller moins vite. Ce projet est une oeuvre subtile et profonde pourtant légère dans sa structure qui invite à la réflexion. Sa conception souligne, comme avec l’escalier de la maison de Lille et les sanitaires de l’IMA, sa capacité à se jouer de dispositifs optiques pour transformer des espaces anodins en espaces nobles. Dans un monde où le virtuel a une part croissante, il dit «vouloir tendre des ponts à l’imaginaire, jouer avec l’optique et la perception plutôt qu’avec des formes algorithmiques qui, réalisées, manquent de magie».
S’il demeure seul par caractère, il aime à multiplier les collaborations. Une méthode qui lui permet de rester proche de l’art et du design – il enseigne d’ailleurs le design d’espace – mais ne l’empêche pas, outre ses projets de commerces et de réhabilitations, de réaliser une médiathèque pour la fondation Louis Lépine dans un bâtiment de la Préfecture de Police (sur l’île de la Cité à Paris, livré en septembre 2015), une Unité de vie pour adolescents en réinsertion (avec Angélique Chedemois, livrée en août 2016) pour la Ville de Paris, ou un hôtel à Toulouse, en voie d’achèvement. Ce qui démontre qu’il sait s’organiser pour mener ses projets à bien, en temps et en heure et dans les délais. Selon lui, l’architecte ne devrait pas se développer pour devenir spécialiste d’une réglementation écrasante ou d’une autre mais rester spécialiste de la conception.
Avis aux maîtres d’ouvrage. L’architecte Gaspard Saint Macary aime son métier, il a du talent, il s’est patiemment formé à toutes les facettes de la construction et il a tout son temps à leur consacrer. Et l’artisan en lui se donne tout le temps nécessaire pour devenir orfèvre.
Christophe Leray