
Le Grand Annecy est l’agglomération du bassin annécien (Haute-Savoie). Son PLUi-HMB — Plan Local d’Urbanisme Intercommunal Habitat, Mobilités, Bioclimatique — couvrira 34 communes et remplacera 29 PLU communaux existants. Une bonne idée ? Chronique Altitude 1 160.
Qu’est-ce que le PLUi-HMB ?
Le plan local d’urbanisme définit les règles de construction, d’aménagement et d’usage des sols. À cela s’ajoute une échelle nouvelle : l’intercommunalité. Les communes adoptant un PLUi réfléchissent ensemble au développement du territoire, au-delà de leurs frontières communales.
Ce fonctionnement peut être intéressant pour l’urbanisme : cohérence territoriale, planification des infrastructures, harmonisation des mobilités. Cependant, il peut aussi, entre peur de perdre du pouvoir et arbitrages complexes, effrayer certaines municipalités d’où une frilosité fréquente et compréhensible à franchir le pas.
Le Grand Annecy pousse la logique plus loin en ajoutant trois nouvelles lettres à son PLUi : HMB (Habitat, Mobilité, Bioclimatique). Objectif : répondre à la demande en logement, favoriser les mobilités douces et s’adapter au changement climatique :
– Habitat : répondre à la croissance démographique et promouvoir la mixité sociale.
– Mobilité : développer les transports collectifs et les mobilités douces.
– Bioclimatique : sobriété foncière, limitation de l’artificialisation des sols et préservation des « coupures vertes » entre villages et hameaux.
Prescrit en 2022 et arrêté par le conseil communautaire le 19 décembre 2024, le PLUi-HMB a été soumis à concertation et enquête publique du 19 mai au 27 juin 2025.
Un mois de débat pour repenser tout un territoire : ce temps fut-il suffisant ?

Des ambitions claires… Et des défis
Les ambitions affichées par le Grand Annecy sont nettes : concilier sobriété foncière, logement et mobilité. Mais repenser l’urbanisme à l’échelle d’un bassin de vie aussi complexe implique de trouver un équilibre entre croissance, qualité de vie et urgence climatique.
Sobriété foncière et protection du territoire
L’un des fils rouges du PLUi-HMB est la sobriété foncière. Dans le cadre de l’objectif national de zéro artificialisation nette (ZAN) à horizon 2050, le document vise à réduire la consommation d’espaces agricoles et naturels. Les « coupures vertes » entre villages et hameaux, ainsi que les îlots de fraîcheur autour du lac, sont des zones à préserver.
Concrètement, le projet privilégie la densification des secteurs déjà urbanisés et limite fortement les extensions pavillonnaires en périphérie. Moins de grignotage des terres, plus de compacité : un mot d’ordre qui reconfigure le modèle d’aménagement savoyard.
« Le Grand Annecy mène une politique foncière volontariste axée sur la reconquête et la maîtrise foncière complétée par un volet maîtrisé d’aménagement économique », indique en décembre 2024 le Rapport de présentation, justification du projet d’aménagement et de développement durables (PADD).

Logement : diversité et accessibilité
Le PLUi-HMB entend répondre à la tension croissante du marché local. L’agglomération affiche des objectifs ambitieux : augmenter la part de logements sociaux et à prix maîtrisés, favoriser la mixité sociale et garantir un accès au logement pour les actifs locaux.
Cette orientation peut faire grincer des dents certains promoteurs peu enclins à intégrer des programmes à marge réduite dans un contexte foncier tendu.
« Garantir un logement pour toutes et tous à Annecy est une de mes priorités absolues », soutenait François Astorg, maire d’Annecy, en octobre 2024.
Une ville plus compacte et plus respirable
Les règles de construction évoluent : dans plusieurs secteurs d’Annecy, les hauteurs sont limitées à deux étages — une inflexion notable par rapport au précédent PLU. L’objectif est de répartir la densité intelligemment : encourager les petits collectifs denses, les maisons groupées et une architecture mieux intégrée à l’environnement.
Le Grand Annecy revendique un urbanisme « à taille humaine », loin des barres et des tours et compatible avec la transition écologique.
Mobilités et climat : changer d’échelle
Les volets Mobilité et Bioclimatique s’articulent avec cette vision. Le premier encourage les mobilités douces (vélo, marche) et la concentration des logements autour des pôles urbains et des axes de transport en commun. Le second introduit des règles bioclimatiques : performance énergétique, adaptation climatique, densité maîtrisée pour limiter les îlots de chaleur.
« L’urbanisme de demain sera plus compact, plus vert et plus collectif », indique le document d’orientation et d’objectifs du PLUi-HMB.
Ces principes traduisent une ambition claire : transformer le modèle urbain du bassin annécien, longtemps façonné par la voiture et le pavillonnaire, vers une forme plus résiliente et sobre.

Tensions et interrogations
Le triptyque Habitat, Mobilité et Bioclimatique reflète une aspiration forte pour l’agglomération annécienne : penser la croissance autrement. Pourtant, l’équilibre reste fragile entre écologie, démographie et économie.
Des promoteurs dénoncent des contraintes techniques et économiques trop lourdes. L’obligation d’inclure davantage de logements sociaux, la hausse du coût des matériaux et la limitation des hauteurs réduisent les marges.
« Ce qu’on remet en question, c’est ce qui a été projeté sur le Ville d’Annecy qui ne correspond pas à notre sens aux attentes de la population », souligne Vincent Davy, président de la fédération des promoteurs immobiliers des Alpes (ODS Radio, mai 2025).
Le passage d’un PLU communal à un PLU intercommunal ajoute une dimension politique : redistribution du pouvoir et arbitrages complexes. Des communes craignent de « perdre la main » au profit d’une logique technocratique globale. Ce sont du moins les inquiétudes évoquées pendant la séance communautaire du 17 avril 2025.
Entre ambitions climatiques, flambée du foncier et frilosité politique, le Grand Annecy évolue en terrain mouvant. Les débats sont vifs et la transition, décisive.

Cohabitations des objectifs et pression démographique
La croissance démographique sur le bassin annécien reste soutenue (+ 0,9% par an selon l’INSEE, 2024). D’ici 2035, l’agglomération pourrait accueillir plus de 10 000 nouveaux habitants, alors que le prix du mètre carré a augmenté de près de 25 % en cinq ans. Conséquence : les jeunes actifs et les classes moyennes sont progressivement exclus du centre et doivent s’éloigner pour se loger.
À Annecy, le logement est devenu un marqueur d’inégalités territoriales : « Dans le Grand Annecy, l’accès à la propriété est de plus en plus difficile : les prix élevés du logement bloquent l’aspiration de nombreux ménages à devenir propriétaires », confirme Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes.
Alors même que le PLUi-HMB promeut la mobilité douce et la sobriété énergétique, plus grand est l’éloignement des actifs, plus la dépendance à la voiture augmente. Comment densifier, assurer la mixité sociale et réduire les déplacements carbonés, alors que le marché et les prix du foncier s’envolent ?
Le Grand Annecy doit jongler entre accueillir et préserver : demande croissante de logements et protection des paysages, espaces naturels et agricoles, piliers de l’identité locale.
Quelques initiatives locales apportent des réponses partielles :
– déploiement du Bail Réel Solidaire (BRS) dans le département, lequel permet à certains ménages d’accéder à la propriété à coût modéré ; pas une solution miracle au vu de ses contraintes ;
– des résidences sociales et de mobilités portées par le Grand Annecy (Les Fins, Maryse Bastié), qui ne sont rien d’autre que des solutions transitoires pour travailleurs et étudiants.
Gare toutefois au piège des constructions massives : barres et tours remplies de studios restent souvent des points de passage pour frontaliers, sans véritable ancrage dans la vie du territoire. Il faudra tirer les leçons du passé pour répondre à la demande tout en inscrivant le développement dans une vision durable.

Un territoire en pleine mutation, mais vers quelle direction ?
La démarche intercommunale marque une avancée en termes de cohérence territoriale. Les volets bioclimatique, de mixité sociale et de sobriété foncière sont ambitieux — valorisation des mobilités douces, renforcement des pôles urbains, développement des continuités cyclables et réduction de l’usage de l’automobile.
L’objectif est cohérent dans une période où la sobriété énergétique devient un levier essentiel face au changement climatique. Or, la mise en œuvre de ces promesses reste tributaire du développement des transports collectifs. Sans alternative solide, comment se passer de voiture lorsqu’on vit dans un hameau reculé, dépourvu de commerces ?
Cela illustre la tension récurrente entre ambitions écologiques, moyens techniques et réalités économiques.
La vision à l’échelle territoriale globale du PLUi-HMB est intéressante : elle incite les communes à coopérer, à mutualiser les projets et à imaginer ensemble leur avenir. Cependant, entre cœur urbain, bourgs périurbains et hameaux isolés, le territoire reste profondément hétérogène.
C’est pourquoi l’implication citoyenne doit être continue et non limitée à une courte enquête publique. La concertation réelle des habitants demeure la clé pour saisir la diversité et la complémentarité des enjeux locaux.
Entre lacs et montagnes, villages et centres urbains denses, terroir et gentrification, il faudra apprendre à bâtir sans dévorer, à accueillir sans effacer.
Marine Adam
Architecte D.E.
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