Après la suppression du nom de Patrick Bouchain de la sélection, les nommés pour le Grand Prix National d’Architecture (GPNA) 2018 sont, par ordre alphabétique : Pierre-Louis Faloci ; Dominique Lyon ; Philippe Madec ; Philippe Prost ; Bernard Quirot ; Corinne Vezzoni. Si l’architecture est un sport de combat, voyons si elle se prête au jeu des pronostics, exprimés ici en pourcentages, comme le font avec assurance les collègues des rubriques sportives.
Dominique Lyon
Pas de doute que Dominique Lyon est à la hauteur de l’évènement. Sauf qu’il est impossible de lui décerner seul un tel prix car quasiment l’ensemble de son œuvre est partagé avec Pierre Du Besset, qui a pris sa retraite il y a quelque temps à peine. Même si en théorie rien n’interdit à ce jury de nommer Grand Prix le seul Dominique Lyon, tel que mentionné dans la liste, il serait étonnant à ce titre que le ministère de la Culture prenne le risque d’un potentiel imbroglio juridique, les architectes sont si susceptibles. Or ce dont Françoise Nyssen a le moins besoin en ce moment est d’une polémique autour du Grand Prix National. Même si, sur le fond, Dominique Lyon ferait peut-être le meilleur vainqueur de cette sélection, ses fans du jury qui l’ont retenu dans la liste vont devoir souquer ferme pour rassurer le service juridique du ministère.
Pourcentage de chances : 2%, sur une stratégie retorse de dernier recours.
Bernard Quirot
C’est l’invité surprise. Bernard Quirot a connu son quart d’heure de célébrité en remportant l’Equerre d’argent 2015 avec sa Maison de Santé à Vézelay. Inconnu du grand public, ce n’est rien de l’écrire, il demeure inconnu de nombre de ses confrères. Depuis 1996, l’architecte cultive son jardin de Franche-Comté avec une approche très suisse de l’architecture. Il aime à citer Peter Zumthor et en entretient également la discrétion. Il se révèle cependant beaucoup moins inspiré lorsqu’il s’agit de logements, comme en témoignent ses dernières réalisations. Difficile en tout cas de l’ériger en modèle pour des générations d’étudiants.
Pourcentage de chances : 3%, l’important est de participer.
Corinne Vezzoni
Si la présence de l’architecte marseillaise semble chagriner quelques-uns de ses confrères, ce qui est vraiment chagrin est qu’elle soit la seule femme de la sélection, comme si le jury s’était aperçu trop tard qu’il n’y avait que des hommes dans la liste des nommés. Bonjour l’effet Weinstein ! #Balancetonarchi ! Toujours est-il qu’aucune femme n’a gagné seule ce prix prestigieux depuis sa création en 1975 (Jean Willerval). Anne Lacaton avec Philippe Vassal (2008) et Myrto Vitart avec Jean-Marc Ibos (2016) font encore figure d’exception.
Le jury 2018, composé d’architectes, de maîtres d’ouvrage, d’institutionnels et d’un représentant de la presse, réunit cette année cinq femmes pour dix hommes. Même avec la conjonction de toutes leurs forces, elles ne pourront pas élire l’une des leurs.
Pourcentage de chances : 5%, sur un malentendu.
Pierre-Louis Faloci
Lauréat de l’Equerre d’argent 1996 avec le musée du Mont Beuvray, Pierre-Louis Faloci a depuis développé une œuvre cohérente s’appropriant finement patrimoine, histoire et paysage avec des bâtiments que n’inspirent pas la nostalgie et qui s’inscrivent dans le temps, celui d’aujourd’hui et, pour certains, celui de demain sans doute. Son ‘learning center’ à Dunkerque, livré en 2018, rappelle qu’il n’a rien perdu de sa capacité à inscrire et faire disparaître ses ouvrages dans le paysage, quel que soit le contexte. Cela est-il suffisant pour en faire un Grand Prix ? Dans cette sélection 2018, ce ne serait pas scandaleux.
Pourcentage de chances : 19% seulement, parce que, quand même, son nom renvoi un peu à l’ancien monde honni des pouvoirs en place aujourd’hui.
Philippe Prost
Rien n’empêche d’être singulier, il faut cependant pour espérer emporter le Grand Prix au moins faire preuve d’exemplarité. C’est le cas avec Philippe Prost dont l’actualité récente, qu’il s’agisse de la réhabilitation de la Monnaie de Paris, de la livraison de la Cité des Electriciens dans le Nord ou un concours pour les ports d’Antibes et Juan-les-Pins gagné en février 2018, souligne sa capacité à appréhender l’histoire sous des angles inattendus, toujours généreux, toujours d’une très grande précision avec une infinie attention aux détails. En témoignent encore les acclamations qui ne cessent pour son Anneau de la mémoire. Sauf qu’ayant émergé sur le tard – son projet à Belle-Ile a pris 15 ans – son œuvre subtile, informée et apaisée n’est peut-être pas encore complètement lisible dans sa totalité pour en faire un Grand Prix mais le cœur y est.
Pourcentage de chance : 21%, parce qu’une fois la poussière retombée, il apparaîtra peut-être comme le meilleur architecte du lot.
Philippe Madec
Faut-il encore présenter Philippe Madec ? Tout le monde connaît l’homme, peu d’architectes sont cependant capables de citer précisément l’un de ses projets. Philippe Madec a pour lui de s’être penché avant tout le monde sur les aspects de développement et constructions durables et de n’avoir jamais méprisé la cambrousse. Il a porté longtemps un discours qui, s’il s’est banalisé aujourd’hui, n’en reste pas moins tout à fait dans le cadre des préoccupations du jour, dans l’air du temps dit autrement. Bref, pour cette sélection qui semble en deçà de ce que d’aucuns pourraient espérer pour un tel prix, Philippe Madec est sans doute le plus facile à justifier et le moins à même de susciter de polémique tout en offrant moult éléments de langage pour la communication ministérielle.
Pourcentage de chances : 50%, parce que pour Philippe Madec, c’est le moment ou jamais.
Pour conclure, quelques remarques.
Il y a deux ans, Anne Demians finissait troisième, Marc Mimram quatrième. Où sont-ils cette année ? Une pensée particulière également pour Bernard Desmoulins et Françoise Raynaud dont la présence ne serait pas une insulte sur une telle liste.
Peut-être le manque d’impact de cette liste correspond-il à une année de transition. En effet, à observer les lauréats du grand Prix depuis sa fondation, l’évolution de la commande est très nette. Jusqu’en 2006, avec Rudy Ricciotti, c’est encore la commande publique, les grands musées, les grands équipements et les grands gestes qui font les grands prix. Or depuis 2006, la commande a évolué, ainsi que la perception de l’architecture remarquable. Quand Marc Barani est Grand Prix en 2013, c’est son Pôle multimodal du tramway de Nice qui est mis en exergue, présageant ainsi d’une nouvelle vision de la ville qui annonçait la fin des ‘starchitectes’. Aujourd’hui le contexte est à nouveau transformé avec la commande privée comptant désormais pour 71,8% de l’activité des architectes, un chiffre en hausse, quand la commande publique ne compte plus que pour seulement 28,2% (un chiffre en baisse)*. Peut-être que dans deux ans, il n’y aura pas qu’un seul promoteur dans le jury**. Et dans quatre ans, autant de promoteurs que d’architectes dans le jury ?
En tout cas, le jury se réunira à nouveau le vendredi 19 octobre prochain, pour désigner le GPNA 2018. Françoise Nyssen proclamera dans la foulée le nom du lauréat ou de la lauréate dans les salons du ministère de la Culture, et lui remettra le diplôme conçu par Daniel Buren.
Enfin, pour les atrabilaires, une dernière note et le rappel que les prévisions statistiques présentées ci-dessus n’ont aucune valeur scientifique. Que chacun fasse ses propres calculs.
Christophe Leray
*Chiffres MAF 2018
**Le jury : Marie-Hélène Badia, architecte, architecte-conseil de l’État – Henri Bava, paysagiste, Grand Prix de l’urbanisme 2018, Grand Prix national du paysage 2007 – Frédéric Borel, architecte, Grand Prix national de l’architecture 2010 – Paul Chemetov, architecte, Grand Prix national de l’architecture 1980 – Paul Delduc, directeur général de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), ministères de la Transition écologique et solidaire (MTES), et de la Cohésion des territoires (MCT) – Denis Dessus, président du Conseil national de l’ordre des architectes – Laurent Dumas, président fondateur d’Emerige – Jean-Marc Ibos et Myrto Vitart, architectes, Grands Prix nationaux de l’architecture 2016 – Marie-Christine Labourdette, présidente de la Cité de l’architecture & du patrimoine – Jean-Jacques Larrochelle, journaliste au Monde – Bertrand Lemoine, architecte, ingénieur et historien – Sylvie Robert, sénatrice d’Ille-et-Vilaine, vice-présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication – Adelfo Scaranello, architecte – Ramon Vilalta, architecte, Prix Pritzker 2017 – Agnès Vince, directrice chargée de l’architecture, adjointe au directeur général des patrimoines, ministère de la Culture.