Le blanc renvoie la chaleur. Bon Dieu, mais c’est bien sûr ! Pour lutter contre l’îlot de chaleur urbain, peignons tous les toits en blanc. En plus, cette solution réduit la température des toits, et donc celle des étages en dessous. Bon pour lutter contre le réchauffement climatique, et bon pour les occupants, un double dividende qui fait plaisir !
Ce sont les chercheurs de l’Université de Berkeley qui ont fait les calculs. En plus de la baisse de la température ambiante dehors, passer les toits au blanc permet de réduire significativement la facture de climatisation. Une bonne affaire ! Le concept a été largement développé aux Etats-Unis, notamment à New-York, où plus d’un million de mètres carrés ont été blanchis en dix ans. Un mouvement européen en faveur de ces « cool roof » transpose chez nous la dynamique américaine. Vues du ciel, nos villes ne seront plus que des taches blanches.
Halte là ! On ne va pas peindre tous les toits en blanc ! Paris, Lyon, Marseille, ne sont pas Alger la blanche. Et surtout la ville rose. Nos centres anciens n’offrent pas toujours, il s’en faut, des toits horizontaux faciles à peindre, les villes ont des couleurs qui font leur charme et qui contribuent à leur attractivité. Il faut trouver autre chose.
La voirie, pourquoi doit-elle être sombre ? Des sols clairs, sur les trottoirs, les chaussées, les espaces publics, pourrait apporter leur contribution. Nous pourrions même, Henry Ford se retournerait dans sa tombe, interdire les voitures noires au profit des blanches. Un peu d’imagination, et explorons les jeux de couleur partout où cela est possible, bien au-delà des toits. Il y a d’ailleurs bien d’autres usages des toits plats, pour s’attaquer au changement climatique. La végétalisation, la pose de capteurs solaires par exemple.
Les grandes surfaces seraient les premières visées, et il serait dommage que toutes les surfaces horizontales qui ne se voient pas du sol ne soient pas aménagées en fonction de l’objectif climatique. Même celles qui se voient pourraient être mises à contribution. Les églises ont des toits immenses, bien orientés pour la moitié d’entre eux. Les nefs tournées vers Jérusalem, plein est, offrent des toits plein sud, sans ombre compte tenu de leur hauteur, idéal pour collecter de l’énergie solaire.
Première réalisation en 2008, à Leutenheim, dans le Bas-Rhin, après la constatation de la précarité qui caractérisait à la fois le toit de l’église et les finances communales. Comment faire les travaux et préserver le patrimoine de ce village de 900 habitants, sans mettre en péril son équilibre budgétaire ? Au lieu de refaire le toit en tuiles, la face sud a été couverte de capteurs photovoltaïques, 260 m² exactement. L’électricité vendue a permis de rembourser en quinze ans l’emprunt nécessaire. L’exemple était venu de haut, de très haut même : le toit de la salle Paul VI au Vatican, de 5 000 m², a lui-même été couvert de 2 400 panneaux photovoltaïques, capables de chauffer, rafraîchir, éclairer la salle et ses 6 300 places. Le Dieu Soleil à l’honneur à Rome, un vrai miracle œcuménique. Le climat au secours de la prière, l’intensité est bien en marche !
Il n’y a pas que les toits. Rappelez-vous, lors de l’exposition universelle de Séville, en 1992, nous avions vu des brumisateurs pour refroidir l’atmosphère. De fines gouttelettes pulvérisées dans l’air et qui produisent du froid en s’évaporant. L’évaporation a besoin de chaleur, qu’elle ponctionne sur l’air ambiant. Un phénomène bien connu dans les villages méridionaux, où il est d’usage de jeter de l’eau sur le sol en fin d’après-midi sur les places où l’on se retrouve au frais. Un frais procuré par cette eau bienfaitrice, mais aussi par les platanes ou les arbres quels qu’ils soient, et leur ombre bienveillante.
La végétation rafraîchit doublement : par son ombre et par l’humidité qu’elle dégage. C’est l’évapotranspiration. L’eau encore elle, sous une autre forme, sans que l’on ait besoin d’arroser ou de vaporiser. C’est la nature qui fait le travail. Encore faut-il que les arbres puissent pomper l’eau du sol, et que les sols aient pu en stocker. On retrouve alors un autre aspect du problème : l’imperméabilisation des sols.
Des sols très compacts ou couverts d’asphalte, de goudron ou de béton, ne peuvent plus absorber l’eau du ciel, et encore moins en constituer des réserves pour l’été. Des sols imperméables, en plus sombres le plus souvent. Au lieu d’absorber l’eau, ils absorbent de la chaleur sous l’effet du rayonnement du soleil. Tout faux. Nous savons aujourd’hui rendre les sols plus perméables, y compris avec des trames dures pour permettre la circulation si nécessaire. Les documents d’urbanisme à la disposition des collectivités leur donnent le pouvoir d’imposer des taux de perméabilité selon les situations. Les villes peuvent aussi utiliser les plans d’eau pour récupérer de l’eau pluviale, des réserves bien utiles en cas de sécheresse.
L’eau et la végétation au secours du climat, ce n’est pas un scoop, mais la mise en pratique n’est pas si simple. La proximité de l’eau est une bénédiction, sauf en cas d’orages violents et d’inondations, que le changement climatique nous promet plus fréquents. La densité des centres urbains ne permet guère l’implantation de nouveaux espaces verts, de nouveaux plans d’eau là où il y en aurait le plus besoin. Il est bien sûr possible de trouver des interstices ici ou là, ou de mobiliser des murs verticaux là où la surface horizontale est rare. Les murs végétalisés offrent une source de fraîcheur, notamment sur les parois ouest qui recueillent toute la chaleur du soleil en fin d’après-midi.
Il y a le vent. La vitesse de l’air provoque mécaniquement une baisse de la température ressentie, comme dit la météo. La ventilation des rues produit un « ressenti » de froid l’hiver, et de fraîcheur l’été. La prise en compte des vents dominants l’été peut offrir une solution pour les quartiers nouveaux ou profondément transformés, où il existe encore une marge de manœuvre. Attention cependant à ne pas créer des quartiers glacés et invivables l’hiver pour un bien-être d’été.
L’équation est délicate, et produit en outre des effets dans d’autres domaines : le mouvement d’air est favorable à la dispersion de la pollution, mais les morphologies urbaines trop perméables aux vents le sont aussi aux décibels. Il sera plus facile de préserver des zones de calme dans une ville cloisonnée. Une fois encore, la ventilation représente un élément de réponse à la question du réchauffement des villes, mais il faut y avoir recours avec prudence.
Une autre piste rafraîchissante doit être explorée. Il n’y a pas que le soleil pour donner de la chaleur, les villes en produisent elles-mêmes. Comment réduire cet apport ? Les réponses sont multiples, et touchent à la mobilité (moins de véhicules thermiques notamment), à l’habitat et à certaines activités (pas de climatisation grâce à une conception climatique), et aux activités qui par nature dégagent de la chaleur.
Le rafraîchissement des villes, rendu nécessaire par le réchauffement climatique, peut avoir recours à une panoplie de moyens d’ordre très variés et il est clair qu’aucun de ces moyens ne suffira à lui tout seul. C’est donc un assemblage qu’il faut constituer, en commençant le plus tôt possible pour tout ce qui relève de la structure des villes, de leur morphologie. Eau, végétation, air, sols, couleur, mobilité, habitat, activité, il y en a pour tous les goûts.
Dominique Bidou
Retrouver toutes les chroniques de Dominique Bidou