La Fondation Jacques Rougerie a remis ses prix d’architecture internationaux le 22 janvier 2020 à l’Institut de France à Paris. Ces prix récompensent chaque année l’audace de visionnaires qui s’inspirent du biomimétisme pour répondre aux enjeux de la montée du niveau des océans ou pour créer les habitats du futur sous la mer et dans l’espace.
Pour la 9ème édition de son concours, la fondation Jacques Rougerie a invité les architectes, designers et ingénieurs (étudiants et professionnels) du monde entier à se projeter dans un demi-siècle, un siècle et encore davantage afin d’imaginer des projets en phase avec les grands enjeux de l’humanité, replaçant l’homme en harmonie avec la biodiversité.
Palmarès de cette Promotion Léonard de Vinci
Prix «Innovation et Architecture pour la Mer»
Grand Prix KARST – L’aquarium inversé
Paul Laminie et Isaac Barbet – France
Un observatoire océanographique immergé en milieu extrêmement acide. De sa décomposition naît la possibilité d’un nouvel écosystème.
Dans les profondeurs des eaux napolitaines, de fines bulles s’échappent des fonds marins protégés du Royaume de Neptune. Il s’agit du CO² libéré par l’activité volcanique de l’Île d’lschia. Cette situation exceptionnelle fait de l’île un haut lieu de la recherche océanographique. En effet, la saturation en CO² acidifie drastiquement l’eau et induit une modification des écosystèmes sous-marins.
Parallèlement, les océans tendent à s’acidifier car ils captent le CO² atmosphérique, toujours croissant. Ischia apparaît alors comme une fenêtre sur le futur : le pH des eaux entourant l’île serait celui des océans dans 300 ans.
Le projet Karst est un observatoire océanographique immergé spécialisé dans l’étude de l’extrême acidité. Il place la réflexion sur la temporalité du bâti au coeur de sa conception. Sa structure en acier porte une seconde peau de calcaire. Avec le temps, elle sera altérée, rongée par l’acidité des eaux. De cette décomposition, naît la possibilité d’un nouvel écosystème inspiré des principaux types de milieux méditerranéens préalablement identifiés (fond sableux, grotte semi profonde).
Cet écosystème représentatif sera l’objet de la recherche du laboratoire. Il représente un simulateur grandeur nature de la situation future des océans.
Cent ans ont passés et la couche de calcaire est entièrement rongée, l’activité de l’observatoire prend fin. L’édifice entre alors dans son second cycle de vie, il entame son retour à la nature. Grâce à un courant électrique qui parcourt la structure en acier, à présent découverte, l’électrolyse se produit. Ce procédé chimique favorise l’accrétion de calcaire sur la matière inerte, qui se voit peu à peu recouverte par le jeune corail. L’observatoire des hommes devient ainsi récif. De la trace de leur passage est né un habitat durable. Nous choisissons, ici, non pas de penser un bâtiment à empreinte zéro, mais à empreinte positive.
Prix Focus : Le village sous la mer – GENESIS
Katarzyna Przybyla – Pologne
A ce jour, nous avons exploré moins de 5% des fonds marins de la planète. Nous en savons plus sur la Lune que sur notre propre planète. Comme les océans fournissent une richesse infinie de connaissances, ignorer leur impact limite non seulement le développement possible mais empêche également la protection efficace de la planète. Combien de problèmes demeurent non résolus car nous n’apprenons pas des océans. Comment protéger une planète que nous ne comprenons pas bien ? Par conséquent, il est fondamental d’explorer les océans avant tout pour acquérir une pleine conscience de la vie sur Terre.
Genesis est le nom de la première expérience permettant à des gens de vivre sous l’eau. Lancée dans les années ’50 par G.F. Bond, Genesis a ouvert la voie au développement de l’habitat sous-marin. L’idée principale su projet, construite sur le patrimoine de l’expérience originale de Genesis est de permettre d’exploiter tout le potentiel des océans sans nuire à l’environnement.
La prochaine génération de Genesis est un pont complet entre le monde humain et ce qui se passe sous la surface des océans. En tant qu’habitat totalement indépendant de la surface , il permet l’exploration des fonds marins sans limitation de temps ou d’espace. Genesis comprend deux types d’objets : les bases principales et les unités résidentielles. Les bases principales servent de mégastructures fournissant aux unités résidentielles de l’énergie et de la nourriture.
Pour optimiser l’absorption d’énergie et de matières premières, il a été conçu comme une double spirale mobile qui peut changer de forme ou d’emplacement en fonction de l’emplacement et de la concentration des ressources. L’emplacement principal de la base étant limité aux sources d’énergie et de matières premières, les unités résidentielles peuvent explorer le reste des océans. Les bases et les unités résidentielles sont durables, respectueuses de l’environnement et autosuffisantes.
Prix Coup de coeur : PROJECT C – Inverser une catastrophe
Chrysanthi Vasileli et Chrysi Vrantsi – Grèce
Le design qui répond à l’ère post-anthropocène est dynamique, il interagit, il vit, il donne des solutions aux conditions de crises sociale, économique, environnementale et culturelle.
En raison du récent accident de marée noire dans le golfe de Salonique, où de nombreuses côtes de l’Attique ont été polluées, il a été débattu de la manière dont l’architecture pourrait, avec la contribution d’autres domaines scientifiques, proposer une approche novatrice à un tel problème environnemental majeur, d’une importance majeure par rapport aux éventuels accidents futurs.
Selon notre scénario, des pôles de traction sont situés à des points critiques. La détection d’un pourcentage d’huile dans les zones situées à proximité des pylônes déclenche le processus d’agrégation du pétrole. Les drones identifient et cartographient la nappe d’hydrocarbures. Les pylônes fonctionnent comme des pôles magnétiques et collectent le nouveau matériau de mélange autour d’eux et sécrètent un matériau (bio-solidifiant) qui solidifie le mélange et crée des formes solides à l’aide d’un processus de tissage après évaluation des données. Ce processus crée progressivement des conditions qui peuvent former un espace «viable» à la surface de l’eau.
L’activation de la structure ne se produit qu’après la détection d’une nappe d’huile. L’auto-organisation du matériau solide autour des pôles se forme par le biais du système magnétique, du processus de coagulation et de la formation de pétrole brut (qualité et quantité de pétrole). Ainsi, la construction évolue autour de quelques scénarios possibles conduisant à une série d’événements spatiaux. L’intention est d’exploiter le système flottant en développement pour en faire ue future habitation ou équipement.
Prix «Architecture et problématique de la montée du niveau des Océans»
Grand Prix : ‘Coast breaker community’ – Marcher sur les océans.
Alejandro Moreno – Mexique – et Charles Chiang – Taïwan
St. Louis, situé au nord-ouest du Sénégal, à l’embouchure du fleuve Sénégal, a été le foyer de générations de pêcheurs. Cependant, la communauté des pêcheurs de Saint-Louis souffre de la pêche industrielle des multinationales au large de ses côtes et des affrontements continus avec leur pays voisin, le tout causant une baisse de l’activité de pêche.
En plus de ces difficultés, le plus grand défi reste l’élévation du niveau de la mer, appelée par les habitants «l’Avancée de la mer». Les pêcheurs souffrent de cette situation de plusieurs façons. L’une des plus importantes est que les côtes de Saint-Louis sont menacées par l’érosion des plages, détruisant lentement les maisons des pêcheurs. Selon la Banque mondiale, les terres reculent jusqu’à 10 mètres par an dans les zones à haut risque de l’Afrique de l’Ouest. De plus, les tentes où les femmes avaient l’habitude de sécher et de soigner le poisson qui se trouvaient à l’origine sur la plage sont déplacées dans un espace restreint plus à l’intérieur des terres, compliquant ainsi le processus général de pêche.
La Communauté du brise-lames côtier du projet offre la possibilité de contrer l’érosion causée par l’élévation du niveau de la mer et d’offrir à son tour un meilleur espace de travail pour les opérations de pêche. Le nom du projet est basé sur la technologie des brise-lames en bois. Comment cela fonctionne-t-il ? Des pieux en bois sont installés sur la plage, parallèles ou perpendiculaires à la côte et placés verticalement sur les sédiments afin de dissiper l’attaque des vagues sur la plage. Elle limite le transport des sédiments et renforce la stabilité de la plage. La Communauté côtière du Brise-lames imite les solutions aléatoires possibles d’un urbanisme intérieur dans sa formation pour organiser le placement des modules en fonction de l’utilisation ou des besoins de ses utilisateurs.
Prix Focus « Littoral Africain » : Nosy Lavaka, émergence à partir de la déforestation
Coralie Brival – France – et Martin Garcia Perez – Espagne
L’île de Madagascar est emblématique. Qu’il s’agisse de sa flore, de sa faune, de sa culture, de son histoire ou de sa géographie, Madagascar est connue pour sa biodiversité dans tous les sens du terme. Cependant, malgré la complexité de la nature malgache qui a traversé les années, cette île doit faire face à deux défis environnementaux majeurs : l’élévation du niveau de la mer et la déforestation.
Si l’on considère le scénario d’une augmentation de 4° C d’ici 2100, le niveau de la mer augmentera de 64 cm à 126 cm entre 1995 et 2100 (Hinkel et al., 2011 ). Madagascar est particulièrement vulnérable en raison des tempêtes tropicales et de leur intensification qui provoquent des inondations plus importantes (Nicholls, 2006).
La déforestation n’est pas nouvelle à Madagascar (Alizé Carrère, National Geographic, 2013). Depuis la fin du XXe siècle, la déforestation a accéléré l’érosion naturelle. En effet, sans racines pour retenir le sol et sans sol absorbant, lors des grandes inondations, Madagascar continue à saigner des sédiments. Après de fortes pluies et des ouragans, les sols rouges sont emportés des flancs des collines vers les rivières et la côte. Une grande quantité de sédiments se retrouve alors coincé dans les rivières et les estuaires, particulièrement celui de Betsiboka.
Afin de lutter à la fois contre la montée des eaux et à l’accumulation de sédiment dans les rivières, des îles protectrices formées à partir de sédiments résultant de la déforestation peuvent être installées au large des côtes de Madagascar. Effectivement, ces dernières agiront comme une barrière, limitant l’érosion du littoral provoqué par les vagues, les marées et les courants.
Pour cela, les sédiments sont acheminés naturellement ou mécaniquement de la rivière jusqu’au littoral afin d’être utilisés pour la construction des îles protectrices. Ces dernières sont en faites des poches en matière souple remplies de sédiment. Déposées au fond de l’eau et grâce au mouvement des vagues, le sable s’accumulera devant ces grandes poches. Au fil du temps, l’accumulation de sable se transformera en une nouvelle île. Marine (herbiers marins) et la végétation terrestre (mangrove) renforcera l’île et maintiendra le sable.
Prix Coup de coeur du jury : ‘A living organism’, le monde noyé du delta du Mékong
Nabila Pranoto – Indonésie
À l’aide d’outils tels que la fiction, l’infrastructure et les systèmes hybrides intégrés, ce projet tente d’imaginer de nouvelles réalités socio-écologiques pour l’humanité à la merci du changement climatique. En utilisant le Delta du Mékong comme un banc d’essais, j’ai développé un récit fictif concernant un nouveau système de vie qui responsabilise les communautés marginalisées vivant au seuil du changement climatique.
Autrefois l’un des principaux exportateurs de riz en Asie du Sud-Est, le delta du Mékong est confronté à des problèmes d’intrusion de salinité et d’élévation du niveau de la mer, menaçant leur productivité. Occupant leur nouvelle réalité, la communauté du delta du Mékong construirait un monde alternatif sur les fondements de l’aquaculture, de l’aquaponie et du dessalement de l’eau.
Prix «Innovation et Architecture pour l’Espace»
Grand Prix : Lavatopia, habitat en boucle fermée capitalisant l’eau
Haerim Park – République de Corée – et Ruohan Zou – Chine
Lavatopia est un habitat en boucle fermée capitalisant l’eau – l’élément clé pour maintenir toute vie. Lavatopia envisage un véritable monde utopique intégré dans la lucarne du tube de lave du cratère Philolaus situé près du pôle Nord. Le projet mondial «Village lunaire» a été lancé pour établir une civilisation humaine permanente dans l’espace. Lavatopia aborde la troisième phase de ce projet ambitieux et établit un habitat en boucle fermée utilisant un puits de lumière de tube de lave et de la glace d’eau trouvée dans les tubes de lave.
Après la mise en place du premier, plusieurs structures seront placées dans d’autres puits de lumière de tubes de lave et créeront une ville utopique à travers les tubes de lave interconnectés situés en dessous. Lavatopia sera la base fondamentale pour la construction de l’habitat permanent dans l’espace pouvant être implémenté à l’avenir sur Mars et d’autres planètes.
L’eau est l’élément clé pour maintenir une vie, n’importe où. Lavatopia crée un système de filtration d’eau cyclique pour préserver l’une des ressources les plus précieuses de la lune. La structure, un dôme poreux construit en béton régolithique, renferme et soutient l’habitat situé au-dessous. Le «tronc principal», un élément vertical partant du dôme et traversant le centre du centre de recherche, extraira d’abord la glace d’eau des profondeurs des tubes de lave.
Une fois extraite, la glace d’eau est transportée et circule à travers l’enveloppe extérieure afin de protéger l’habitat et d’assurer la stabilité thermique. L’eau chauffée est amenée par des « branches » pour alimenter l’aquaponique et les cosses vivantes domestiques. Les eaux grises résultantes seront purifiées et recongelées dans les enceintes de stockage situées au bas de la structure – et le cycle se répète.
À la surface de la lune, la lucarne du tube de lave abrite le système agricole aquaponique qui abrite des expériences de production alimentaire dans l’espace. Des gouttelettes d’eau scintillantes ruissellent à travers les branches pour créer une expérience surréaliste disponible uniquement dans Lavatopia.
Prix Focus : « Le Village Lunaire » – Space Exemplar, habitation lunaire prototype
Monisha Arnold – Inde
Space Exemplar est une proposition visant à réaliser le rêve d’habiter sur la lune. Basée sur les ailes d’Artemis de la NASA, cette passerelle ouvrira la voie à la fabrication d’abris-prototypes d’impression 3D sur la lune. Inspiré de l’humble coquillage et de la grotte antique, cet habitat utilisera uniquement les ressources de la Lune pour créer un environnement protecteur, autonome, agréable à vivre et joyeux.
Le Lunar Regolith est particulièrement adapté à son environnement d’origine et composé des matériaux les plus polyvalents : métaux tels que le fer, l’aluminium, le titane ; des minéraux comme la silice et, plus important encore, l’oxygène nécessaire au maintien de la vie. On peut en tirer du béton Regolith, du verre aluminium, des alliages métalliques et des fibres de carbone pour la construction.
Le projet propose d’utiliser la lumière solaire vive et constante grâce à un mécanisme de génération de chaleur simple et éprouvé de la lentille Convex afin de dériver ces différents éléments du Regolith. Une autre ressource clé est la glace lunaire trouvée à la surface de la lune sous forme de brouillard mince à certains endroits et enfouie sous terre à d’autres ; il formera une source soutenue d’eau, d’oxygène et de carburant (hydrogène). Par conséquent, le projet est stratégiquement situé près du cratère Shackleton au pôle sud lunaire, où de nombreuses sources de lumière solaire et de glace lunaire sont disponibles.
Pour la radioprotection, outre la masse solide de la structure elle-même, le mécanisme «dynamo» est proposé pour imiter le champ électromagnétique terrestre, qui protège avec tant de succès la terre des SPE et des GCR.
La technologie de la lentille concave est proposée pour la production de chaleur focalisée, des panneaux solaires pour l’électricité, des rayons laser pour la fusion des météorites et un mécanisme de puits de lumière convexes épais permettant d’apporter beaucoup de lumière diffuse.