Yihhaaaaa…. Jusqu’à la gare, la rue de Rennes!! Et au-delà… pourquoi pas ? La Ville de Paris n’est plus à quelques années de chantier près, et ici, autour de la tour Montparnasse, ce ne serait pas du luxe. «Il ne s’agit pas de toilettage des espaces publics, mais d’une grande ambition», a déclaré Anne Hidalgo, maire de Paris, en annonçant, le 9 mars 2018, l’appel à projets pour la transformation du quartier Maine-Montparnasse à cheval sur les VIe, XIVe et XVe arrondissements.
Pour baisser la ville d’un cran et retrouver le plancher des vaches sous l’empilement d’infrastructures qui caractérise le quartier construit entre 1958 et 1973, est prévue rien moins que la démolition du centre commercial de 30 000 m² et de la dalle qui brise la perspective et rend l’entrée de la tour peu visible.
Un quartier traumatisé. La tour a été bâtie sur l’emplacement de l’ancienne gare reculée de 350 mètres, ce qui a éloigné d’autant l’accès aux trains depuis le métro. La nouvelle gare est flanquée de barre d’immeubles, son parvis est inhospitalier et si enclavé qu’on pourrait rater l’entrée avant de rater son train ; le jardin Atlantique, planté sur son toit, tellement caché qu’il est presque toujours vide… Le carrefour du 18 juin 40 n’a de place que le nom, les différences de niveau rendent le cheminement piéton désagréable voire dangereux.
Usant de mots très durs pour fustiger, justement, la brutalité de cet urbanisme de dalle, plus généreux pour les voitures que pour les habitants, la maire promet cette fois «douceur et délicatesse».
Jean-Louis Missika, son adjoint à l’urbanisme et – la suite de l’intitulé de sa fonction a son importance ici – au développement économique, a précisé les grands principes de cette mutation : «le remplacement des commerces autrement et ailleurs, bien sûr ; des droits à construire supplémentaires, pourquoi pas ? En dehors des règles du plan local d’urbanisme, si besoin…».
De là à imaginer, dans le prolongement de la grande artère commerçante qui mène au boulevard Saint-Germain, une rue parisienne, bordée de nouveaux immeubles de 50 mètres de hauteur, de logements ou autres… Personne ne trouve l’idée choquante dans l’entourage de la maire, puisque l’environnement est déjà dense et haut…
Reste à financer le projet : l’ensemble Immobilier Maine Montparnasse (EIMM), soit les 290 copropriétaires de la tour et du centre, paiera la moitié du concours et des études (2 M€ en tout) des quatre équipes d’architectes, d’urbanistes, de spécialistes des réseaux et des usages retenues avant l’été. Leurs propositions seront jugées au début de l’année prochaine. Ensuite, les négociations commenceront. Début des travaux ? Assez tôt pour qu’une partie puisse être terminée avant 2024. Pas question que ce quartier touristique et populaire, l’une des portes d’entrée de Paris, en tout cas par le train, soit encombrés de grues pendant les Jeux.
Y avait-il urgence à lancer ce projet dans les cartons depuis des lustres ? Autant profiter des travaux de la tour et bloquer le quartier, une fois pour toutes, pendant trois ans, en faisant tout en même temps. C’est peut-être le raisonnement de la ville et il se tient. Sauf qu’il faudra cacher les gravats pendant six mois en 2024…
Toujours est-il que cette annonce, dont la presse n’a été prévenue que la veille et pour laquelle aucun document écrit n’a été communiqué, ressemble à une ficelle, un peu grosse, alors que la maison brûle. Attaquée sur les berges, la saleté, le fiasco du remplacement des Vélibs et du stationnement privatisé, Anne Hidalgo a plus d’une tour dans son sac de grands travaux. Et tant que les marteaux-piqueurs ne sont pas à l’œuvre, l’assaut contre Montparnasse, contre le «désastre» du Paris-bagnoles si honni, pour «réparer les erreurs du passé» pourrait, qui sait, générer de nouveaux soutiens. Il est de bon ton, à Paris, de détester la tour et ses environs meurtris.
Cela pourrait marcher. Ou aurait pu… A condition de faire les choses à l’endroit, avec «douceur et délicatesse» ET cohérence. Car, justement pour ne pas reproduire de grossières et durables erreurs, mieux vaut respecter l’ordre, important dans le processus de fabrication de la ville : le projet d’urbanisme précède l’aménagement qui lui-même rend possible les opérations immobilières. C’est ce que l’on apprend à l’école en tout cas…
Or sur le périmètre retenu, soit neuf hectares qui s’étendent du haut de la rue de Rennes jusqu’à la gare, plusieurs programmes sont déjà en chantier. Et pas qu’un peu… Chacun a suivi son calendrier et ses priorités : à côté de la Tour qui subira une cure de jouvence par les architectes de la Nouvelle AOM, (la réglementation sur l’amiante rendait les travaux urgents), un concours sera bientôt jugé pour le CIT, le bâtiment de 12 étages sur le parvis.
Qui plus est la gare, dont le trafic de 55 millions de passagers devrait augmenter de 50 % d’ici à 2026, sera rénovée et le promoteur Altarea-Cogedim prévoit d’y développer 19 000 m² de commerces. Rue du Commandant-Mouchotte, le centre Gaieté ouvrira en 2020. Son propriétaire, la foncière Unibail-Rodamco, y a logé… 30 000 m² commerciaux, encore des boutiques. Jean-Louis Missika promet, «études à l’appui», que ce ne sera pas trop… Les commerçants du centre, sommés de baisser définitivement le rideau, avant de retrouver, peut-être, d’autres boutiques, seront peut-être d’un autre avis.
Ni la Ville ni l’EIMM ne donnent d’indication sur le mode de financement ou le coût de ces travaux colossaux. La Ville pourra vendre des terrains et des droits à construire et disposera de l’arme atomique : la déclaration d’utilité publique qui lui permettra d’exproprier les éventuels récalcitrants d’une copropriété très éclatée. Pour ensuite remembrer la propriété commerciale dans le giron d’une seule entité ? «Les investisseurs ne sont pas le problème le plus immédiat dans ce projet», explique un proche de la mairie. Suivez son regard… Les assureurs AXA, MGEN et Covea et le fond LFPI possèdent la plus grande partie de l’EIMM.
Catherine Sabbah