A l’occasion des Journées Nationales de l’Architecture en santé, dont la deuxième édition s’est tenue du 26 au 28 octobre 2020 au Palais de l’Europe à Menton (Alpes-Maritimes), Marie-Caroline Piot, architecte associée à l’agence Architecturestudio, interroge la notion d’architecture hospitalière. Tribune.
La capacité de résilience, une donnée clé dans la conception de l’hôpital de demain
La crise sanitaire a mis en exergue les besoins de résilience des hôpitaux, auprès de l’ensemble de la population. Ce terme de résilience, appliqué à un hôpital, adresse deux sujets distincts : d’une part, la capacité d’un hôpital à faire face aux enjeux climatiques à venir, notamment aux risques majeurs – tremblement de terre, ouragan, inondation, canicule, pandémie – qui nécessitent une adaptation dans un délai très court, et, d’autre part, la capacité de transformation de l’hôpital sur lui-même pour s’adapter aux évolutions des services médicaux, sur une échelle de temps plus longue.
Situé sur un territoire aux risques climatiques forts, le CHU de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe a été conçu pour être exemplaire sur ces deux aspects. La tolérance aux aléas climatiques des différents services, des plus fortement médicalisés aux plus conventionnels, a guidé leur répartition au sein des différents bâtiments de l’hôpital.
L’hôpital du futur amène une homogénéisation des unités de soins, et des locaux, pour s’adapter à chaque situation à court terme et à long terme. On arrive à quelques exceptions près à identifier trois catégories de chambres, personnalisables ou adaptables aux besoins spécifiques de chaque service dans un temps court : les chambres très médicalisées dont la proportion augmente fortement, les chambres conventionnelles, et les chambres faiblement médicalisées, avec l’apparition des hôtels hospitaliers adjacents aux hôpitaux.
Enfin, les hôpitaux de jour, dont la proportion augmente également, intègrent des locaux qui ne sont pas nécessairement aménagés comme des chambres.
Chacune de ces catégories de chambre est adaptable au fil des évolutions des services médicaux, tout en restant dans un même niveau de « médicalisation », offrant une meilleure résilience.
Améliorer le potentiel d’attractivité d’un hôpital
Le lieu – les qualités extérieures et intérieures des lieux de travail – représente l’entreprise ou l’institution, son éthique, ses engagements, et contribue nécessairement à son attractivité auprès de talents.
Au-delà de l’image architecturale de l’hôpital, il s’agit de créer un lieu d’appartenance, qui contribue à attirer les professionnels et à leur offrir une meilleure qualité de vie au travail.
Au contraire d’un bâtiment proliférant aux configurations répétitives non hiérarchisées, le genius loci d’un hôpital est catalysé par la présence d’un espace majeur structurant, à la manière du foyer d’un hôtel, ou d’un espace public (rue, place). Un tel espace autorise de multiples usages et facilite l’orientation vers les différents services. Il permet de distinguer très clairement les espaces médicalisés, où l’on travaille toute la journée, pour offrir une vraie place à des espaces d’hospitalité clairement différenciés architecturalement : espaces d’accueil, d’attente, de détente, de convivialité.
La présence abondante de lumière naturelle et les vues sur l’extérieur, sur le paysage ou la ville environnante contribuent fortement à créer un tel lieu d’hospitalité ancré dans son territoire.
Au CHU de Tanger, ce lieu d’hospitalité prend la forme d’une grande « canopée » filtrant la lumière, qui accueille l’usager dès son entrée dans l’hôpital, regroupant toutes les fonctions non médicalisées : hall, espaces d’attente en extérieur et en intérieur, espaces de convivialité, et facilitant la distribution directe de tous les services. Au CHU de Pointe-à-Pitre, c’est un mail paysagé, bordé de palmiers, abrité des intempéries, qui crée le « lieu » et distribue efficacement les différents bâtiments de l’hôpital.
Le concept d’hôpital ouvert sur la ville se heurte aujourd’hui aux contraintes sécuritaires qui s’appliquent à tout équipement public. Il s’agit donc non pas de « faire entrer la ville dans l’hôpital », mais plutôt de reconstituer les qualités d’une ville à l’intérieur de l’hôpital, dans la continuité de l’espace urbain, à l’échelle des usagers et des fonctions programmatiques préétablies.
Enfin, l’hôpital du futur se caractérise par une évolution des pratiques entre le parcours du patient et celui des soignants : c’est le soignant qui va vers le patient, et non plus l’inverse, dans des espaces dédiés aux patients. Face à cette demande, il apparaît nécessaire d’apporter une vraie réponse concernant le parcours du soignant, la compacité des circulations et la création d’espaces réservés aux soignants, permettant l’échange entre professionnels, la concentration, la détente, qui contribueront à l’attractivité de l’hôpital.
Penser une architecture de l’hybridation
Le terme d’hybridation est souvent utilisé lorsqu’on évoque les mutations et la diversification des modes de travail : en présentiel et à distance, en solo et en équipe, dans un cadre silencieux et dans des espaces de détente et d’échange informel (café, salle de sport, terrasse, salon…), avec des services de type hôteliers (conciergerie, pressing, repos…) qui facilitent le quotidien des professionnels. Ce terme s’applique aussi aux hôpitaux, dans lesquels les modes de travail et les lieux dédiés aux soignants évoluent.
Sur le futur hôpital de Pointe-à-Pitre, un travail de concertation avec les médecins, l’Agence Nationale d’Appui à la Performance (ANAP) et la Commission médicale d’établissement (CME) a conduit à réaliser un espace tertiaire regroupé en position centrale. Ce plateau réservé au personnel soignant favorise les échanges entre professionnels de différentes spécialités, afin de favoriser « l’hybridation des savoirs ».
Cette configuration accompagne également l’évolution des modes de travail, permettant d’offrir un mode de travail « hybride », avec une variété d’espaces : salles de réunion, bulles de concentration, espaces dédiés à la télémédecine, lieux de sérendipité, détente ou échange informel, afin d’offrir une qualité de vie au travail semblable à des espaces tertiaires innovants sur un plateau non médicalisé, pour souffler, se ressourcer, se concentrer.
Marie-Caroline Piot
Architecte
Octobre 2020