Eté 2016, l’opération de 23 logements domiciliée rue de l’Ourcq dans le XIXe arrondissement parisien, OGIF maître d’ouvrage, accueille enfin ses premiers locataires. Tentation de l’habitat participatif au bord du canal ? Pas moins de sept ans après le concours remporté par l’agence Karawitz, l’aventure fut longue et pleine de péripéties. Récit.
Lors de l’inauguration, le jeudi 30 juin dernier, tous les officiels semblaient soulagés, d’Antoine Pinel, directeur de l’Ogif, à, entre autres, François Dagnaud, maire du XIXe arrondissement et Président de la Semavip, en passant par Milena Karasheva et Mischa Witzmann, les architectes associés de l’agence Karawitz. En effet, le projet revient de loin.
Au départ, l’histoire était un conte appelé à devenir réalité. Tout démarre en 2009 avec l’appel à projets lancé par un collectif de quinze familles réunies en une association, Diapason, pour un projet en autopromotion. L’association est alors soutenue par la Semavip, l’aménageur de la ville de Paris et de la ZAC Ourcq-Jaurès.
Le programme du concours, déjà abouti, proposait un jardin accessible, une salle commune, des parkings en sous-sol et un commerce. L’opération visait en outre une future labellisation PassivHaus, ce qui démontre l’ambition initiale de cette épopée en habitat collaboratif. Via la Semavip, la Ville de Paris avait mis un terrain vacant à disposition du projet, avec un compromis de vente assorti de quelques conditions suspensives.
Le concours, auquel cinq groupements d’architectes avaient répondu, fut finalement remporté par l’agence parisienne Karawitz, «en raison de la qualité des logements traversants que nous proposions, lesquels ménageaient à la fois des vues sur le canal et sur le jardin. Par ailleurs, un système de gaines centrales laissait de la flexibilité au projet à ce moment des études, les logements restant modulables, ce qui a été bien utile par la suite», se souvient Mischa Witzmann.
Le dessin accepté, le permis fut déposé mais, bientôt, les mésententes de plus en plus profondes entre les différents commanditaires eurent finalement raison du projet. En 2011, les délais d’achat de la parcelle dépassés, la Ville de Paris récupère le terrain et le projet pour les céder ensuite au Groupe Ogif, alors en quête de foncier pour ses opérations de logements intermédiaires.*
Sauf que, pour financer son opération, l’Ogif avait besoin d’insérer huit logements supplémentaires alors même que, du fait de l’acceptation du permis de construire, toute modification extérieure du projet architectural était difficilement envisageable. «Il nous a alors fallu abandonner le parti pris des logements à doubles vues. La liberté de plan trouva alors tout son sens, les appartements furent tournés à 90 degrés», explique l’architecte. Entre la vue sur la Géode ou sur le jardin, il fallait désormais choisir ! En cours de route, l’ouvrage avait aussi perdu de vue ses objectifs de bâtiment passif et son bardage bois en façade, notamment pour des raisons techniques de résistance au feu. La réglementation avait choisi son camp.
«Le changement de maîtrise d’ouvrage a clairement changé l’esprit originel du projet», relève Mischa Witzmann. «Mais l’Ogif reste un maître d’ouvrage professionnel avec lequel il est malgré tout plus facile de travailler», admet-il en souriant. Implanté sur une parcelle triangulaire, le projet continue cependant d’offrir un jardin de 120m². «Il y a une forme de finesse à ne pas utiliser le maximum de foncier afin de ménager des respirations urbaines et d’alléger l’impact du projet dans le tissu déjà très dense du quartier», souligne François Dagnaud, le maire du XIXe.
De fait, les aléas auxquels les architectes ont dû faire face sont révélateurs des difficultés qu’impliquent les projets d’habitats collaboratifs, pourtant à la mode actuellement, notamment parce que ces maîtres d’ouvrage ne sont pas, et de loin, des professionnels. «Globalement, il y a quand même une grande incompréhension technique de la part des commanditaires. En Allemagne, il y a des assistants à la maîtrise d’ouvrage spécialisés en habitat groupé pour faire le lien entre les clients et les sachants, afin par exemple d’expliquer certains choix et de cadrer le groupement dans ses demandes. Un AMO expérimenté en habitat groupé en l’affaire est finalement ce qui a manqué à Ourcq», analyse l’architecte. Et quand des désaccords chroniques s’ajoutent aux incompréhensions, un projet collaboratif peut facilement partir en vrille.
«Cela dit, je persiste à trouver intéressant le principe de l’autopromotion, dans la mesure où le propriétaire ne dépend plus du promoteur, ce qui permet aux maîtres d’ouvrage comme à l’architecte de sortir de l’ordinaire», poursuit-il. L’agence a d’ailleurs une autre opération de ce type en cours en banlieue parisienne.
L’habitat collaboratif est un sujet auquel Karawitz s’intéresse déjà depuis quelques années, peut-être en raison des racines bulgares et allemandes des deux associés de l’agence bien que Mischa Witzmann travaille en France depuis 16 ans. En Allemagne, ces initiatives sont largement plébiscitées, notamment à Berlin ou à Tubingen, A l’inverse, si le succès avait été au rendez-vous, Karawitz aurait livré au bord du canal de l’Ourcq la première opération participative à Paris depuis… 25 ans !
«Il s’agit probablement d’une question de mentalité et de volonté de prendre en main l’élaboration d’un projet de A à Z», propose l’homme de l’art comme explication à ces différences d’approche. Malgré tout, la France n’est pas (plus) en reste. A Strasbourg par exemple, la ville vient poser la première pierre d’une opération collaborative dans la ZAC Danube. «A Paris, il y a peut-être aussi moins de volonté politique, couplée à un foncier cher et rare qui complexifie le montage d’opération», conclut l’architecte.
Dans son allocution inaugurale de jeudi, Ian Brossat, adjoint au logement et à l’hébergement pour la Ville de Paris, rappelait «la priorité du logement pour Anne Hidalgo, et sa volonté de créer de l’habitat pour les classes moyennes dans les quartiers fortement dotés en logements sociaux. Nous souhaitons agir dans une logique d’équilibre social». De fait, avec cette opération et sa brasserie artisanale sur le canal, les hauts fonctionnaires courtisent les cadres dynamiques «dans un quartier qui, il n’y a pas si longtemps, constituait un des derniers îlots d’insalubrité parisiens» rappelle François Dagnaud, le maire du XIXe.
Comme Barbès désormais pourvu d’une brasserie branchée, le quartier de l’Ourcq, à défaut de familles accédant à la propriété via l’habitat collaboratif, s’en remet au final à une promotion et des méthodes de gentrification classiques.
Léa Muller
*Par ‘logement intermédiaire, il faut entendre ici sa définition légale, «des logements destinés aux personnes qui ne peuvent pas prétendre à un logement social mais pour qui se loger dans le privé à Paris reste trop coûteux» et non sa définition architecturale «une alternative au logement collectif et au lotissement ».