Cette année au MIPIM, la Métropole du Grand Paris (MGP) avait vu les choses en grand pour présenter 44 nouveaux sites à l’imagination métropolitaine du concours Inventer la Métropole du Grand Paris (IMGP).
Parmi les 44 sites, après avoir noté une étonnante proposition à Epernay, dans la Marne !, découvrir ainsi 13 sites dans le 92 (Hauts-de-Seine), 18 sites dans le 93 (Seine-Saint-Denis), 7 dans le 94 (Val-de-Marne), tandis que les trois autres départements de la métropole – le 77 (Seine-et-Marne), 91 (Essonne) et 95 (Val-d’Oise) ne se sont vus attribués chacun qu’un seul site. Pourquoi de telles disparités ? Et, dans la suite de celles de la première mouture, que révèlent-elles des considérations de la MGP sur son grand territoire ?
Les lauréats de la première édition viennent à peine de recevoir la lettre officielle et l’encre des premiers chèques est à peine sèche que, le jeudi 14 mars, c’est à Cannes qu’étaient conviés les lauréats franciliens pour l’annonce des sites élus du deuxième opus.
Pour le lancement de la saison 2 d’IMGP*, la MGP avait vu clinquant. Un ex-présentateur vedette (PPDA), des promoteurs aux ambitions démesurées tant en qualité qu’en quantité (la Compagnie de Phalsbourg et Linkcity), des agences d’architecture stars (Ricciotti, Snohetta, …). Ne manquait que Steven Spielberg à la réalisation.
Toujours est-il que 18 sites dans le 93, 13 dans le 92 et 7 pour le 94, c’est beaucoup pour la seule petite couronne. Surtout que les champs et villes à innerver des 77, 78, 91 et 95 n’auront su imposer au mieux qu’un seul site. Le score est même nul dans les Yvelines (78) ! Le plus curieux est sans doute le site Integral à Epernay dans la Marne, dans la région Grand Est. Les organisateurs auraient-ils eu une errance géographique ? Les petits malins d’Epernay ont fait de l’entrisme sans se faire remarquer ? En tout cas, à l’échelle du territoire, le déséquilibre de ce casting est étrange.
A l’heure où les expressions «désenclaver le territoire», «ouvrir les perspectives», «faciliter les déplacements interdépartementaux»… font légion, il est curieux de constater que la grande majorité des sites présentés ne sont pas les plus reculés. En revanche, pour celui qui devra aller de Melun à Saclay, il lui faudra toujours poser une RTT. «Désenclavement», un énième tic de langage politico-urbain ?
Au menu de la MGP cette année : anciennes industries et nouvelles friches, plages nostalgiques, lieux de stockage trop bien placés, écoles désaffectées dont les mairies ne savent plus quoi faire, parkings et autres parcelles plus ou moins pleines seront soumis aux appétits et portefeuilles des promoteurs.
Encore que… chat échaudé craint l’eau froide. Qu’ils soient plutôt Main Coon ou chat de gouttière, les promoteurs qui s’étaient lancés tête baissée droit devant dans l’épisode pilote de Réinventer Paris et d’IMGP1 y ont laissé quelques plumes. De l’aveu de plusieurs d’entre eux, IMGP1 a été un gros investissement et les retours sont pour le moment au mieux incertains.
«Aujourd’hui, nous sommes plus prudents, nous ne rendons des offres que sur des sites sur lesquels nous avons de grosses chances. Nous venons pour gagner !» glisse l’un d’eux, visiblement épuisé du marathon qu’a été la dernière partie du concours. Un autre de préciser, «sur IMGP1, nous avions rendu une petite dizaine de dossiers pour au final remporter un seul projet, dont nous ne sommes pas encore sûrs qu’il puisse voir le jour». Après le blues du businessman, le burn-out du promoteur ?
Des architectes sidérés, des promoteurs lessivés, des investisseurs impatients… Derrière la communication magistrale, qui persiste sans complexe visiblement, la réalité des chiffres semble plus proche de la frugalité que de la gourmandise.
A qui profite le crime ? Aux maires qui voulaient s’improviser bâtisseurs entre deux tours de législatives ? A une Métropole qui tente de surfer allègrement sur les vagues belles mais dangereuses que la Ville de Paris a soulevées ? A l’Etat pour qui ces concours d’image peuvent aussi apparaître comme de magnifiques vitrines d’une reprise économique qui serait opportunément au rendez-vous ?
Si la première saison avait élevé le cynisme vert au rang d’industrie, alors la seconde persiste et signe dans une perfidie (à moins que ce ne soit que de l’incompétence) bien plus crasse encore. En effet, avec cette nouvelle fournée, la Métropole semble se préoccuper plus de remplir ses caisses que de s’attacher à résoudre les problématiques inhérentes à la gestion d’un territoire aussi vaste et varié que celui du Grand Paris. Entre deux sites, où est-il question d’aménagement du territoire à grande échelle ?
Voyons. A eux deux, les concours IMPG présentent 83 sites (sur 95) répartis en seulement trois départements. Gennevilliers, Clichy, Asnières-sur-Seine, Bois-Colombes,… Les communes du 92 laissent donc aux mains de la promotion les lots de ZAC prestigieuses déjà en route et gérées par des aménageurs, des quartiers de gares du nouveau métro dans des villes bourgeoises aux portes de Paris. Les tirelires remplies par les impôts des sièges sociaux situés à Suresnes et Nanterre seraient-elles vides à ne pas pouvoir financer la restructuration de l’école de plein air construite par Baudoin et Lods ou celle de la très polémique ancienne école d’architecture de Nanterre ? Il n’y a pas que le foncier qui est bradé, visiblement le patrimoine est aussi soldé.
Annoncer 18 sites dans le bon vieux 9-cube, le jour où NTM fêtait ses 20 ans de carrière tout en fièvre à l’Accord-Hôtel Arena ne manquait pas d’à-propos. «Tout droit, de toute façon y a plus de boulot / La boucle est bouclée, le système a la tête sous l’eau / Faut tenir le terrain pour le lendemain / S’assurer que les siens aillent bien / Éviter les coups de surin /Afin de garder son bien intact», susurrait doucement Joey Starr* à l’oreille des administrés du 9.3. en 1998.
En 20 ans, rien n’a vraiment changé, de Saint-Denis à Aubervilliers. Et Clichy-sous-Bois, depuis les émeutes de 2004 a encore beaucoup à envier, même aux autres quartiers craignos de banlieue. Le chômage titille les 20% de la population, autant dire que 20% des habitants ont un peu de mal à garder leur bien intact.
Comment dans ces conditions «imaginer» la pertinence d’investir des millions en logements en accessions privées (même avec 30% de logements sociaux), quand bien même la population moyenne n’a ni les moyens de les acheter et de les entretenir ? Les villes et départements comptent-ils sérieusement sur l’investissement privé pour soigner un département malade socialement ?
Le premier opus de la saga se targue de 7,2 Md€ de fonds débloqués, 65 500 emplois créés pour la construction des projets qui verront le jour, pour concevoir, par ailleurs presque 54 000 emplois tertiaires. Sauf que les mètres-carrés tertiaires ne seront pas développés à Villemomble, Bondy ou Montfermeil, au mieux dans les nouvelles ZAC gentrifiées de Pantin, Montreuil ou à Romainville, suite logique de l’éparpillement de la capitale sur ses communes limitrophes.
Quoi de plus malin qu’un appel à projets pour se désengager un peu vite du trou noir que représentent ces nouveaux quartiers ? Une fois que le promoteur aura construit et vendu son bâtiment, il s’en ira, la bourse sonnante. La suite ne le concerne plus vraiment, et plus du tout passé dix ans.
Après justement ? En termes d’urbanisme et de fabrique de la ville, seul le politique doit être le garant de l’évolution puisqu’il est le seul (du moins est-il censé) penser sur la durée, à court, moyen et long terme.
En laissant les clés au privé, pendant trois ou quatre ans, que faut-il espérer dans des localités déjà sinistrées dont la place dans ces appels à projets est sans cesse reléguée un peu plus aux oubliettes des intérêts et des ambitions politiques et publiques de la pourtant riche Métropole du Grand-Paris ? Même le maire de Sevran, Stéphane Gatignon, a fini par jeter l’éponge*.
Au sortir de la guerre, les grands ensembles ont vu le jour. Financés par l’Etat, ils devaient pallier à la crise du logement. En ces temps de la reconstruction immédiate après-guerre, l’argent ne coulait pas encore à flots, et on savait construire «vite et pas cher», le credo de la Loi ELAN en discussion au parlement au printemps 2018. Chacun est juge du résultat !
Alice Delaleu
* Laisse pas traîner ton fils, Suprême NTM, 1998.
** Stéphane Gatignon a démissionné de sa fonction de maire le 27 mars 2018, dénonçant la «déconnexion du personnel politique avec la banlieue».