Tout photographe d’architecture devrait être a priori d’accord sur ce point avec Baudelaire. Cela interdit-il au même photographe de s’intéresser aux spectacles vivants offerts par la nature ? Réponse, peut-être, avec Guillaume Satre.*
Les représentations iconographiques respectant scrupuleusement les règles sombrent parfois dans la banalité, alors que, créées avec des exceptions, elles touchent souvent à l’art… Ne dit-on pas d’un chef-d’œuvre qu’il est exceptionnel ?
Si la vidéo ralentit parfois le mouvement de la vie pour que l’œil en saisisse les moindres détails, la photographie, désireuse de combiner être à exister, étire une fraction de seconde dans l’immuabilité.
Peu importe le temps qui passe : les photos anciennes, contemporaines ou futures de la Tour Eiffel montrent ou montreront le même monument. Peu importe qu’au pied de ce monument roulent des voitures à cheval ou des véhicules électriques.
Peu importe le temps de pose : la photo fige dans son éternité la fulguration polychrome de la lave incandescente avant que, tombée sur le sol, elle ne refroidisse et ne donne plus à voir qu’une masse grise sans intérêt.
Reste que pour une éruption volcanique, les turbulences de la tempête océane, voire la simple apparition de la lune derrière la montagne, la fugacité de l’instant, l’imprévisibilité de la forme, la versatilité de la couleur rendent l’esthétisation problématique.
Heureusement, le photographe d’architecture, contrairement à une opinion hâtive et erronée, sait attendre et choisir. Attendre que la pluie cesse, que le soleil ait l’inclinaison idoine, que le ciel soit ou ne soit pas couvert de nuages. Choisir le bon emplacement, le bon angle, la bonne focale.
En trois dimensions… la troisième n’est pas holographique : la pensée tourne autour du miroir transparent de la vague… de la vague onctueuse qui meurtrit le rocher passif… qui le ruine en lambeaux de dentelle sombre… de l’avant et de l’après de la vague si polymorphe qu’elle permet à peine à l’objectif d’en figer la mobilité… «Je hais le mouvement qui déplace les lignes…»
La Beauté
Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.
Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études ;
Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
Charles Baudelaire
Guillaume Satre
*Lire aussi : Toute la réalité selon Guillaume Satre mais pas que la réalité…
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