Un jeudi soir à Saint-Maurice (Val-de-Marne), une réunion un peu spéciale se déroule dans un rez-de-chaussée de l’avenue de Verdun. Pecha kutcha… un mot barbare pour décrire un exercice qui l’est tout autant et auquel se prêtent pourtant plusieurs jeunes agences d’architecture : résumer sa pratique en 20 slides de 20 secondes, tout cela devant Christophe Leray de Chroniques d’architecture.
Les agences en question font partie du programme Echelle-Un, un « incubateur » pour jeunes agences d’architecture, lancé par l’École d’architecture de la ville & des territoires Paris-Est. Cette formation comprend des cours, des entretiens et, une à deux fois par mois, des rencontres du soir comme celle racontée aujourd’hui.
Ambiance chaleureuse, c’est Constellations Studio qui reçoit, chacun apporte son panier et de quoi se désaltérer : du cidre, de la bière et du vin, bio et local et avec modération évidemment, de quoi détendre les collègues qui vont se prêter au jeu. Nous nous connaissons déjà presque tous mais ces réunions sont ouvertes à qui veut venir, des voisins, des amis. Je trouve passionnant de découvrir la pratique d’autres jeunes agences et de tenter par nos remarques de les aider à structurer leurs projets professionnels, ce qui sans se mentir nous renvoie le plus souvent à nous-mêmes.
Christophe Leray comme invité, c’est une jolie chance de se confronter à quelqu’un qui ne garde pas sa langue dans sa poche et qui a l’habitude d’en voir passer des projets et des jeunes comme nous. La soirée en fut que plus tumultueuse, palpitante et riche en débats de fond.
J’ai pensé qu’il serait intéressant de dédier ce chapitre du Journal d’une jeune architecte aux jeunes architectes présents ce soir-là. Qu’en ont-ils pensé ? Les critiques sont-elles trop dures à entendre ? Parvient-on à faire le distinguo entre soi-même et le projet professionnel si intimement liés ?
Voici donc quelques retours à vif, avec leurs mots, leur ton, leurs questionnements.
Soraya Haffaf, Constellations studio
Pendant des années, j’ai cru que mon identité était claire et définie, je ne l’ai pas choisie, c’est celle que je porte sur mon passeport : Soraya Haffaf, Femme, française, née à Paris, 29 ans, châtain, yeux marron…
Mais ce jeudi soir au studio, celle-ci n’a plus aucune importance !
Merci Échelle Un et Christophe, moi qui pensais faire déjà suffisamment de travail en thérapie, nous voilà embarqués avec Constellations dans l’introspection de notre « autre identité »… !
Ce soir-là, la question est apparue, plus forte que jamais : « Qui suis-je ? »
C’est bien beau d’avoir créé une identité, maintenant il va falloir l’assumer et l’expliquer ! Quelle folle idée ! C’est bien là que ça se corse et que Christophe entre en scène (ou en guerre ?) : « Quel est le discours ? Qu’est-ce qui fait que tu es différent de l’autre ? Qu’est-ce qui te rend unique ? Comment tu le fais ? Pour aller où ? “Blablabla”, arrête, tu dis comme tout le monde ! “
Comment alors distinguer notre singularité et comment l’exprimer à l’autre ?
Un langage architectural qu’on pourrait nous attribuer au premier coup d’œil ? Une méthode que l’on développe ? Une démarche qui nous est propre ? Une typologie de programme que nous maîtrisons ? Une localité ou une maîtrise d’ouvrage que nous visons ? Une envie, une passion, une utopie ? Une communication en béton ?
Alors promis Christophe, on essaye ! On écrit tous les jours un peu plus ce discours, on définit un peu plus ce ‘nous’, celui qu’on peut modeler à notre image, cette identité qu’on a la chance d’avoir choisie, celle qu’on va faire évoluer au fil des années.
Finalement, c’est peut-être ça qui est si compliqué ?
Ne rien figer, mais savoir qui on est à un instant T.
Soraya et moi n’étions pas sur le pont ce soir-là, pour de bonnes raisons : nous ne parvenons pas encore à construire un discours assez clair pour résumer une pratique hyper multiple. À l’image d’un grand sac ou sont rangées toutes nos casquettes, laquelle devons-nous sortir dans ce contexte ? D’autant plus quand les associées ont deux identités multiples ?
Retour à chaud de Raphaël Zéphir, agence Dumont-Zéphir
Acteur de cet exercice, notre passage au cœur du cyclone Christophe Leray aura créé quelques turbulences dont les prémices se seront fait sentir avant même notre présentation. Attente interminable (quinze minutes pour une clope. J’en ai connu des plus rapides). Attaque sur la posture de présentation (mais bon Dieu, je ne savais même pas quoi en faire de mes mains moi). Référence d’une autre époque (il y a quand même eu autre chose depuis la Grande Vadrouille dans le cinéma français). Contradiction de nos paroles (mais on a jamais dit ‘essayer de’)…
Mais bon, tout cela n’est-ce pas finalement juste une bonne discussion (sans rancune) qui décoiffe, agace, énerve, mais finit par mettre les choses à plat et permet de reconstruire avec plus d’attention et de profondeur un discours très jeune (le nôtre). Il y a sûrement autant de bons à prendre dans l’ancien que dans le nouveau. Il ne reste donc plus qu’à nous écouter !
Raphaël dit juste : les retours étaient parfois sacrément décoiffant et pourtant pourquoi Christophe était-il la ? Il le répètera et répètera, il était là pour nous…
Se confronter à une critique dure, franche et acide mais dans un contexte bienveillant ou finalement l’interlocuteur ne vous veut aucun mal à part vous confronter à vos failles n’est-ce pas un riche apprentissage ? Demain face à un méchant de notre profession qui cherchera à dévorer un jeune architecte, nous serons légèrement plus sûrs de nous et mieux préparés à une joute verbale !
Léa Gariglio, Architecte DE
Je démarre à peine la vie active, j’étais curieuse d’assister à cet exercice pour découvrir et avoir un aperçu diversifié d’agences qui se lancent.
Quelles architectures ? Pour qui ? Avec qui ? Comment ? Autant de possibilités qui s’offrent à cette nouvelle génération d’architectes et bientôt à moi peut-être.
Avec la participation de M. Leray, il y a eu divergence. Des divergences qui naissent de deux prismes différents car deux groupes d’individus qui n’ont pas le même vécu, le même apprentissage, le même âge, parfois le même genre, et donc pas la même façon de voir le métier d’architecte.
Pendant la soirée je me suis posée une question : c’est quoi communiquer une identité architecturale ?
Le métier d’architecte demande de savoir convaincre une multitude d’acteurs différents (privés, publics, jeunes, âgés, hommes, femmes, etc.), nous ne pouvons pas nous adresser à tout le monde de la même manière. Il faut savoir se mettre à la place de son interlocuteur, utiliser le vocabulaire qu’il a envie d’entendre, pour qu’il adhère mieux à nos idées. Parfois même quitte à les lisser/adapter ?
Et paradoxalement, le métier d’architecte nous demande de nous distinguer, en affirmant une position forte, qui n’a pas peur de s’exposer à la critique, mais qui reste intègre à ses principes.
Je dirai que c’est peut-être une question de forme et de fond. Sur le fond qu’il faut être préparé à ce que notre discours ne soit pas toujours entendu et ce n’est pas une fin en soi ! Car affirmer une identité c’est affirmer une posture qui ne peut pas convenir à tout le monde, mais c’est ce qui fera qu’on vous choisira vous et pas quelqu’un d’autre.
Sur la forme, il faut savoir convaincre, communiquer ses idées de façon claire, qu’elles parlent précisément à nos interlocuteurs et leur montrer que le débat n’est pas fermé, mais qu’il peut être au contraire fructueux et ouvrir de nombreuses possibilités.
Et bien voilà nous y sommes ! Léa résume plutôt bien la situation, pour bien communiquer, on peut créer un discours dissocié de qui nous sommes et de ce que l’on fait ou s’appuyer entièrement sur notre propre soi, tirer nos propres traits et faire de notre singularité notre façade.
Sa conclusion se rapproche de la mienne, il faut faire d’abord, construire, penser, écrire, être en phase avec ses envies et se préparer à ce que tout le monde ne vous comprenne pas.
Après tout nous essayons de créer des discours d’agence d’après nos productions et désirs actuels à 30-35 ans… La vie ne va pas manquer de nous faire évoluer, muter, mûrir et le contexte changera également. Un discours trop construit peut alors se révéler réducteur s’il n’est pas au service d’une capacité d’adaptation et d’une forme de curiosité.
Je crois qu’aujourd’hui, jeunes architectes, nous avons surtout envie de faire de l’architecture, construire. Mais il est vrai sans doute que notre discours ne peut pas être basé sur l’unique besoin de convaincre pour accéder à la commande.
Estelle Poisson
Architecte — Constellations Studio
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