
Cette semaine une question m’est venue à l’esprit : nos origines nous rendraient-elles plus intéressants ? Dans un monde où, de conférence en conférence, écoutant souvent les mêmes références, les mêmes citations, la surprise est élusive, ne sommes-nous pas à la recherche du projet ou de l’architecte qui va nous faire voyager, nous surprendre par sa différence ?
Être plus intéressant dû à un exotisme inné : notre contexte culturel
Il y a quelques années, plus précisément à peine un an après être sorties de nos études, mon associée et moi avons été invitées par un ami architecte à donner une conférence au Costa Rica.
Ni une ni deux et nous voilà dans l’avion et bientôt à faire une présentation PowerPoint de notre « œuvre » (composée à l’époque d’un PFE et de deux concours à idées). Aujourd’hui je n’en reviens toujours pas : nous avons saisi cette opportunité (presque) sans peur, nous avons construit un discours, planté les contextes de nos parcours, présenté les projets, le tout dans l’auditorium de l’Ordre des architectes de San José devant 400 personnes et en espagnol…
Notre présentation ce jour-là a été très bien reçue et fut suivie de débats passionnants. Je ne peux cependant m’empêcher aujourd’hui de me demander si le seul fait de venir d’un autre pays ne nous a pas aidés à captiver cet auditoire. Si nous avions fait la même présentation à la Maison de l’architecture aux Récollets à Paris, aurions-nous été reçues à l’époque de la même façon ?
À y réfléchir, j’ai pu assister dans plusieurs pays aux conférences de deux amis, Marcos Coronel, architecte vénézuélien, et Alejandro Vallejo, architecte costaricain. Le premier commence toujours son propos par de longues explications sur le contexte sociopolitique si particulier et fascinant de son pays, à tel point que les auditeurs ne peuvent qu’être emportés par la curiosité de la découverte. Il couronne le tout avec des projets qui entrent en résonance totale avec ce contexte politique.
Le second débute avec des photos vues du ciel, il embarque le spectateur dans son univers par la géographie de son pays, une forêt tropicale luxuriante, des longues plages de sable. Il nous plante le décor d’un pays à préserver et passe agilement à ses projets « responsables » en bois s’intégrant dans ladite nature.
Nous sortons de ces conférences toujours fascinées par le voyage architectural offert depuis notre siège si loin de ce contexte : il m’est encore arrivé il y a peu de sentir le même enjeu lors de la conférence de Yalin Architectural Design, Okan Bal et Ömer Selçuk Baz lors du Global Award for Sustainable Architecture ; je ne peux oublier ces images jamais vues de carrières de pierre et de sites archéologiques turcs.
Attention, il ne s’agit pas ici de la qualité de l’œuvre architecturale mais de l’effet de renforcement du discours que peut représenter un contexte bien exprimé vis-à-vis d’un auditoire qui le découvre ?
Ce qui pose la question : sommes-nous capables de prendre le recul nécessaire pour exprimer notre propre contexte, à l’étranger ou non ? À quoi cela sert-il vraiment ? Simple exposition aux regards curieux ou un accès à la commande est-il possible ?
Jeunes architectes, peut-on exploiter cet exotisme ?
Finalement, jeunes architectes, ne devons-nous pas nous servir de toutes les armes en notre possession pour faire connaître notre travail et in fine faire plus d’architecture ?
En ancrant son travail localement et en présentant bien ses particularités inhérentes à son territoire, un projet peut certainement plus facilement sortir du lot lorsqu’il est entouré de projets lui ressemblant très peu.
Alors les biennales internationales, les prix locaux étrangers, les rencontres architecturales, les postes de chercheurs internationaux, etc. semblent être une façon de maximiser ses chances pour faire briller ses travaux et ses recherches. C’est en tout cas se donner l’opportunité d’exposer son travail à ses premières critiques.
Être reconnu ailleurs peut permettre d’accéder à des commandes à l’étranger et, surtout, de rentrer chez soi avec un discours renforcé et enrichi par le regard de l’autre.
Suite à nos rencontres costaricaines, il nous fut proposé plusieurs fois de faire des projets en collaboration pour des clients privés sur place (majoritairement américains et européens). Le discours vulgarisé retient la pertinence d’une équipe multiculturelle : les architectes locaux sont garants de la connaissance du territoire et de ses matériaux et offrent un suivi régulier tandis que l’équipe française apporte aux clients l’assurance d’une vision « internationale » de l’architecture, le tout permettant à l’équipe et son projet de se démarquer sur le marché local.
Nous ne nous sommes jamais lancées dans l’aventure, pas tout à fait certaines que cela corresponde à la direction que nous souhaitons pour l’agence mais le principe est solide, cela pourrait permettre d’accumuler des références et du savoir-faire !
De belles rencontres à l’étranger peuvent aussi permettre d’aller chercher un autre grand classique de l’accès à la commande pour les jeunes architectes : faire des candidatures communes en France avec des architectes plus expérimentés et porteurs de références en tant que support local. Quand l’agence n’a pas encore de références pour candidater seule, qu’a-t-elle à offrir sinon son temps de travail, son investissement et, surtout, sa connaissance du territoire !
Finalement la question d’introduction n’en était pas vraiment une : oui nous sommes plus intéressants à l’export car l’on brille alors par nos particularités. Comment profiter de cet avantage sans se faire piéger dans un cliché culturel ? À travailler ailleurs, parvient-on faire sa place sur son propre territoire quand on rentre ? Les références étrangères ne sont pas toujours valorisées. Dans un monde en retour vers le local, cela fait-il sens de s’ouvrir vers le lointain ?
Estelle Poisson
Architecte — Constellations Studio
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