La Commune de Paris fut un des premiers épisodes de l’histoire largement relayé par la photographie. Et, déjà, le photoreportage n’était pas neutre. Analyse des nombreux témoignages, Communards et Versaillais, à travers le prisme de la représentation de l’espace urbain restant.
Du 21 au 28 mai 2021, les commémorations de la « semaine sanglante », point d’orgue de la Commune de Paris, ont ravivé le souvenir révolutionnaire d’il y a 150 ans. Pour rappel, rapide et schématique, cet épisode parfois qualifié de guerre civile opposa pendant 72 jours, du 18 mars au 28 mai 1871, les partisans du gouvernement nouvellement élu par l’Assemblée nationale, de majorité monarchiste, à une opposition républicaine favorable à la démocratie directe.
Surtout, la Commune de Paris débuta quelques semaines après la défaite française lors de la guerre contre la Prusse en 1870. Epuisé par une extrême misère, le peuple prend les armes et envahit la rue.
L’insurrection donna lieu à une incommensurable violence, de la part des deux parties, comme il n’en avait pas été vue depuis la Révolution.
Mouvement politique majeur duquel se revendiquent encore aujourd’hui bon nombre de mouvements sinon libertaires, au moins de gauche, la bataille entre les deux camps fut aussi largement couverte par des photoreporters naissants, à la faveur du développement d’appareils photographiques plus mobiles. C’est en partie grâce à eux que la légende de la Commune pût se mettre en place.
L’épisode est de plus en plus repris dans les médias comme point d’ancrage à un discours révolutionnaire, ou de volonté révolutionnaire, depuis les gilets jaunes. L’effet de réel de la photographie s’est donc invité dans la perception des événements historiques en contribuant à l’écriture d’une légende politique. Aussi, comment les stratégies visuelles délibérément déployées à l’époque par les deux camps éclairent-elles encore notre présent ?
En 1871, lorsque la Commune est proclamée sur le parvis de l’Hôtel de ville de Paris, la photographie est encore un phénomène nouveau et peu théorisé. Face à ces nouvelles technologies et images, les inégalités sociales sont de plus en plus fortes : alors que la bourgeoisie l’a déjà intégré à son discours et à sa représentation sociale, les classes populaires éprouvent de la méfiance. Ce qui n’a pas empêché les deux camps de se saisir de la puissance représentative de la photo pour la mettre au service de leur stratégie politique respective.
De cette période, 50 % des dépôts photographiques, soit environ 1 800 clichés, traitaient de la Commune de Paris. Les deux tiers, issus du camp Versaillais, portaient sur des représentations de ruines. Depuis la guerre de Crimée, le public pensait que la photographie resituerait la réalité de façon plus dépassionnée que la peinture. C’est le rapport immédiat à l’événement, dépouillé de tout artifice qui était alors recherché. Pourtant, la photographie ne saurait dire que ce que souhaite son auteur !
Du côté des Communards, les photographes partisans insistent sur la barricade, et la photographie de groupe avec des barricades. Si un aspect pratique préside à ce choix, cette iconographie est bien sûr éminemment politique. Elle présente les Communards comme de nouveaux héros et atteste de leur prise de possession des rues de Paris. Une particularité que l’on retrouve pour les images prises lors de la destruction de la colonne Vendôme le 16 avril 1871 par exemple. C’est l’individu qui prime, le héros.
Les Versaillais choisirent donc l’inventaire systématique des catastrophes pour invoquer une certaine « vérité » des faits. Lorsqu’ils représentent la ville, les Versaillais effacent la figure humaine pour lui conférer une aura de désolation. Les bâtiments détruits ou incendiés, photographiés eux en majesté et qui s’inscrivent dans la continuité du goût romantique pour la ruine, accuseront les Communards aux yeux de la postérité.
Grâce à des truquages a posteriori et à la technique du couper-coller, le photographe officiel de l’armée, Appert, reconstitue les fusillades. Peut-on pour autant crier au truquage et au mensonge ? Le photographe s’efforce seulement à ce que les faits ne puissent être remis en doute.
Ernest Lacan, éditorialiste du Moniteur de la photographie, était résolument convaincu du lien étroit entre ruines et photographies. Il fait du photographe la figure inverse du démolisseur : si le second détruit, le premier conserve, constituant ainsi les premières archives photographiques. Dès le 1er juin, Ernest Lacan se chargera du reportage en fixant le Paris détruit pour les services d’architectures. D’où le caractère exhaustif des clichés.
Pourtant, en isolant les ruines des restes, les photographes ont créé une image altérée de la réalité qui exagère l’ampleur des destructions. C’est le Paris ruiné qui restera dans les mémoires. Les photographes, loin d’être des témoins dépassionnés, participent pleinement au discours, tout en convainquant un nouveau public du potentiel de ce nouveau média.
Paris, hiver 2018, mobilisation des Gilets Jaunes. Deux types de vidéos s’affrontent alors, sur des canaux très différents. D’un côté, des images faisant la part belle à la violence de manifestants « casseurs » diffusées par des médias traditionnels. De l’autre, des vidéos témoignant de la violence de la répression policière, propagées sur les réseaux sociaux par des manifestants. Deux iconographies, pour deux points de vue pour une même bataille d’image.
Le phénomène n’est pas récent donc. Cependant, si jusqu’alors les images et les récits rapportés par les médias traditionnels faisaient l’objet d’un relatif consensus, tout à coup, d’autres images, d’autres thèmes, produits et diffusés par d’autres acteurs, étaient considérées comme plus proches du réel.
Si l’on y regarde de plus près, ce débat repose en définitive sur la croyance que les vidéos sont des documents véridiques et neutres, dont le contenu serait à même de remettre en cause un récit, parfois mieux que la parole des concernés, animant les débats et ancrant les destructions dans l’histoire.
Le Gai Rossignol aura posé les bases de la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat, de l’enseignement laïque, de l’égalité femmes/hommes, et de la communication de crise comme outils de manipulation !
Alice Delaleu