Pour Laurent Coulon, architecte de 60 ans, la HQE est un « élément porteur de l’avenir qui naît dans la confusion » et qui promet, faute de partenaires, de rendre plus difficile le travail de l’architecte isolé. Explications au travers de son expérience, qu’il estime représentative. Entretien.
Quelles sont vos interrogations vis-à-vis de la HQE (Haute Qualité environnementale) ?
Laurent Coulon : Les architectes ont le même problème que les autres intervenants de l’acte de construire ; ils ont une intention de faire de la HQE, de bâtir des bâtiments durables et économes en énergie mais cette intention est relativement floue et diverses dans ses méthodes et objectifs. Or la commande dépend en partie aujourd’hui de la réponse à cette question informulée. La première question que l’on se pose quand on entend parler de HQE est : de quoi parle-t-on et quel est l’objectif puisque ces notions varient selon les personnes et la commande ?
Les éléments de réponse et de clarification sont encore plus flous puisqu’il s’agit au fond d’une réflexion philosophique, d’une demande de fond de la société au même titre que l’écologie qui parcourt la politique depuis plusieurs décades désormais. Les inquiétudes, qu’il s’agisse par exemple des changements climatiques ou de la récente crise du gaz entre l’Ukraine et la Russie, sont manifestes et ces problèmes ont une résonance profonde dans l’esprit des gens. Sauf qu’il y a flou peu artistique sur les moyens d’y répondre.
Tous les acteurs de la construction, y compris les architectes, communiquent pourtant allègrement sur les aspects HQE de leur travail. Vous semblez dire pourtant que ce n’est pas si simple de passer de l’intention à l’acte…
Je pense être un architecte modestement représentatif. Je construis essentiellement des bâtiments publics de petite échelle, je suis à mi distance de la Province et de Paris, j’ai une petite agence avec un seul salarié. Même mon chiffre d’affaires correspond à la moyenne des C.A. (150.000 euros. NdR) telle que déterminée par une récente enquête du Conseil national de l’Ordre (rires). Ce que je constate en ce domaine est que non seulement les architectes comme moi-même doivent faire face à une demande floue mais nous manquons de partenaires établis pour y répondre.
Concrètement, que se passe-t-il pour les petites agences quand le concours impose la présence d’un spécialiste HQE dans l’équipe, sachant que bientôt les maîtres d’ouvrage le feront tous ? (D’ailleurs, les procédures adaptées du nouveau code des marchés publics y concourent et ont pour conséquence pour les architectes que l’on passe d’un rapport de personne à personne à un rapport de dossier à dossier, la HQE faisant partie des lignes à remplir dans le formulaire). Les grandes agences ont des bureaux d’études et les moyens de s’entourer de spécialistes mais les petites agences sont à la recherche de partenaires et il me semble qu’une adaptation des bureaux d’études à ce sujet est souhaitable afin qu’ils puissent nous offrir des solutions de bon sens, simples et efficaces dans la démarche.
Sans ce partenaire, il existe un risque de ne pas répondre à la demande non formulée du maître d’ouvrage. Je me souviens d’un centre technique pour une commune de 10.000 habitants. Il y avait en fait un double objectif à la HQE. D’une part faire des économies au niveau du coût des consommables (énergies), de l’entretien, de la solidité des matériaux, etc. et d’autre part un objectif d’affichage, de communication « nous nous préoccupons de l’environnement« . De plus, une partie des services techniques avait envie de performances techniques – ce qui est normal puisque là réside leur expertise – et souhaitait un chauffage géothermique, des capteurs solaires. Or après une réunion avec l’ARENE (Agence régionale de l’environnement et des nouvelles énergies), il est apparu que ces solutions coûtaient trop cher pour le budget prévu. Ce que les experts de l’ARENE ont alors préconisé ? Une bonne isolation ! Cela a refroidi (rires) les ambitions et dépité mes interlocuteurs car l’isolation ne se voit pas. Le message de l’ARENE était limpide, « il y a eu suffisamment d’échecs, ne cherchez pas l’exploit« . Les informations sur le sujet se révèlent soudain incertaines quand c’est l’ARENE qui vous dit de ne pas s’emballer. Les élus sont concrets : ils tiennent serré leur budget mais doivent tenir compte de l’aspect ‘romantique’ du développement durable que demandent les particuliers, leurs administrés. Le bois dans les écoles par exemple est très bien pour… les parents d’élève. L’architecte dans ce domaine se retrouve donc à devoir équilibrer ces contraintes, exprimées ou non, et, en l’occurrence, j’aurais aimé pouvoir m’appuyer sur un bureau d’études pour des solutions miracles (rires). Au final, on se détermine à la prudence, faute de bureau d’études partenaire.
Nombre de bureaux d’études sont pourtant largement sensibilisés au développement durable…
Bien sûr qu’il en existe. Je pourrais citer par exemple Cardonnel Ingénierie, fondé par Christian Cardonnel, un thermicien, qui est porteur d’une vraie réflexion et d’innovation. J’avais travaillé avec lui sur le concours 5.000 maisons solaires, initié par Valéry Giscard d’Estaing, ce n’est donc pas un néophyte. Et que dit-il ? Il parle notamment de bâtiments compacts. C’est la base de tout, du bon sens, mais force est de constater que vendre la compacité, ce n’est pas sexy (rires). Ce que je veux dire est que nous manquons d’interlocuteurs sachant allier expérience et connaissance technique avec une culture d’innovation et une vraie curiosité pour ces problématiques. C’est, selon moi, d’autant plus important qu’un tel partenaire apporte sa capacité à défendre le développement durable devant le client car l’architecte a perdu de sa capacité à défendre les projets techniques devant le maître d’ouvrage ; ce dosage de compétences permettrait à mon sens d’améliorer les projets. Or je constate que pour l’ordinaire de l’architecture, les bureaux d’études se contentent de faire tourner le logiciel comme il existe.
Vous pensez donc que l’architecte travaillant seul ne pourra relever ce défi ?
Le fait est que les clients veulent de la HQE et de la technologie et qu’en même temps, ils en sont un peu effrayés. Du coup, j’ai le sentiment que, dans un souci de crédibilité, le métier d’architecte travaillant seul, comme on le fait encore tous ou presque, touche à sa fin. Pour schématiser, le maire ne parle plus de son « bon » architecte auprès de ses consorts un peu comme il le faisait de sa femme de ménage (rires) – je le sais puisque je suis aussi un élu de ma commune. Ce qui signifie à mes yeux que le rapport humain disparaît à toute allure, accéléré qui plus est par le nouveau code des marchés publics. Le maire regarde désormais l’étiquette plus que le bonhomme et recherche de plus en plus des structures plus étoffées qui présentent mieux et offrent à ses yeux plus de garanties ; à ce titre, c’est d’ailleurs la vie locale elle-même est en train de changer. La HQE est l’un des accélérateurs de ce processus, le savoir-faire de l’architecte ne pouvant satisfaire seul la demande de plus en plus formelle, en termes de communication, de technique, de prévisions à 10 ou 20 ans, etc., du maître d’ouvrage qui s’appuie désormais sur une façon plus administrative de fonctionner. Il me semble que nombre d’architectes isolés ne pourront pas se permettre un spécialiste et ne rentreront plus dans les cases.
L’architecte isolé ne pourrait-il pas compenser ses manques éventuels avec les nouveaux outils informatiques disponibles ?
Les doutes ne manquent pas sur la valeur opérationnelle des logiciels ; dans une évaluation de chauffage par exemple, le bureau de contrôle ne donne pas d’avis, personne ne reprend les calculs d’une façon critique et les méthodes de travail ne sont plus transparentes. Comment faire la part du baratin de ce qui vaut le coup d’être réfléchi ? Les logiciels ne sont pas loin de faire des projets sans architectes, ce qui je crois va arriver très vite, de façon plus ou moins délocalisée d’ailleurs. A tout le moins, le projet sera plus ou moins validé par des logiciels d’analyse des projets et la demande de HQE ne trouvera à se chiffrer que de cette façon-là ; à mon avis, on bidouille en attendant. Ce qui ne m’empêche pas de passer mes projets au crible des 14 cibles de la HQE ; c’est ainsi que je découvre parfois des bourdes (rires).
N’êtes-vous pas trop pessimiste quant à la capacité des architectes de s’adapter à ces nouvelles règles du jeu ?
Il ne s’agit pas de pessimisme puisque en parallèle l’importance de l’architecte sur le terrain me paraît être de plus en plus importante, non seulement pour une question d’implantation dans le site ou de lumière mais pour l’aspect psychologique. Ainsi, une grande partie du travail en temps de chantier consiste désormais à écouter les différents intervenants, à gérer les problèmes d’ego et les préoccupations diverses. Nous sommes devenus des assistants psychologue de la construction et cela restera (rires).
Pourquoi ? Parce que nous apprenons un langage, issue d’une culture générale assez vague mais qui permet, à peu près, de détecter le sens des choses, d’inclure des éléments dans un ensemble. Dans un contexte où les bureaux d’études proposent souvent, plus ou moins intentionnellement, des excès techniques, alors que les réunions de chantier comptent de plus en plus de monde et qu’à ce titre les responsabilités sont démultipliées et diluées, l’architecte chef d’orchestre restera la seule personne apte à faire la synthèse, la seule personne avec une appréciation d’ensemble de l’objet, la seule personne capable d’influer pour que la réponse réponde au besoin.
Propos recueillis par Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 11 janvier 2006