La mixité est désormais utilisée à toutes les sauces par tout un chacun parlant de tout et n’importe quoi n’importe comment. Du politique au promoteur en passant par les urbanistes, chacun y va de sa berceuse. Décryptage.
En réponse à notre article « A Noisy-le-Grand, la ZAC Maille-Horizon, un outil de dé-mixité ?* », une lectrice, habitante du quartier, nous a écrit, pas franchement ravie. Cependant, dans sa vive réaction, une réflexion donnait à réfléchir : « qu’est-ce que la mixité sociale ? », demandait-elle. Bonne question.
Qu’est-ce que la mixité sociale et urbaine ? Plus généralement, qu’est-ce que la mixité dont chaque nouvelle fiche de lot d’une ZAC Tartempion dans n’importe quelle ville de France enjoint les architectes à mettre en œuvre ? Un outil de planification urbaine ? Un slogan politique ? L’utopie sociale du XXIe siècle ?
Ces dix dernières années en effet, avec la multiplication de nouveaux quartiers, ont également fleuri des concepts à l’eau de rose, poussant à dépeindre la ville du futur comme la cité des Barbapapa, une cité radieuse, naïve et dense. Bien loin de l’organisation sociale anticipée par Metropolis, les riches au sommet, les pauvres dans les bas-fonds, un peu comme à la Défense, cette ville nouvelle sera, du moins en apparence, accueillante, bienveillante, verte, et depuis 2020, comme l’école, apprenante, et surtout, mixte. Qui pourrait honnêtement faire la fine bouche devant tant de bonnes intentions et de fétichisme moral ?
Qu’est-ce que la mixité sociale, cette notion floue mais omniprésente qui n’a été définie par aucun texte, ni non plus par un sociologue ou un philosophe ? Elle serait censée produire une justice sociale et combattre la ségrégation. Dans les faits, il s’agit surtout d’une cohabitation dans un même espace de groupes sociaux aux caractéristiques (sociales, ethniques, géographique, professionnelle…) différentes.
Ainsi, expliquait Louis Besson, ministre du Logement du gouvernement de Lionel Jospin le 15/11/2000 : « en matière de logement social, notre postulat est simple mais précis : il faut réagir à la ségrégation spatiale et aux stigmates de la discrimination et de la dégradation de certains quartiers et créer les conditions d’une meilleure mixité sociale sur le territoire communal afin de créer, par la production de logements diversifiés, les conditions d’une plus grande diversité sociale ».
En urbanisme, la mixité sociale se traduit essentiellement en des termes moins sociologiques que juridiques : logements sociaux, intermédiaires, libres, etc. Grâce à une politique financière engageante pour les bas revenus, des taux de prêts historiquement bas, les aides d’Action Logement et la complicité de promoteurs capables de faire sauter, en apparence, les frais de notaires, une personne gagnant le SMIC peut espérer devenir propriétaire.
Dans les faits, cela fonctionne dans des nouveaux quartiers situés dans des communes de banlieues des métropoles, dans lesquelles la mixité sociale est par essence constitutive de la ville. Noisy-le-Grand en était un bon exemple, plus loin, Bondy aux abords du Canal en sera un autre, comme ailleurs à Strasbourg ou Montpelliers. A Maille-Horizon ou Rives de L’Ourcq, le besoin de loger des populations paupérisées est aussi nécessaire. Ainsi, la mixité obéit aux besoins d’une ville et correspond aussi aux évolutions souhaitées par les politiques publiques, qui ne datent pas d’hier.
Dès 1973, la circulaire Guichard eut pour ambition de mettre un terme à la « ségrégation sociale par l’habitat ». Déjà au XVIe siècle, François Miron, responsable de la sécurité à Paris, évoquait, dans une lettre à Henri IV, la nécessité de « mélanger » « les petits », artisans et ouvriers et « les gros et dodus » pour éviter la « rébellion des quartiers pauvres » contre les « quartiers riches et le pouvoir ».
Plus tard, c’est surtout avec le développement des politiques de la ville, à partir du rapport Dudebout, « Ensemble, refaire la ville » (1982), que la mixité sociale apparût de manière récurrente dans les planifications urbaines. Mais c’est la loi Besson, loi d’orientation pour la ville (LOV), pour la solidarité et le renouvellement urbain (SRU 1991) qui illustre le plus l’injonction à la « mixité sociale » et préfigure le quota de 20 % de logements sociaux fixés désormais.
« La mixité fait pleinement partie des principes qui fondent le Pacte républicain. D’ailleurs la mixité sociale est un des grands objectifs visés par mon programme de rénovation urbaine instauré par la loi du 1er août 2003, complétée par la loi de Cohésion sociale du 18 janvier 2005 », explique en 2007 Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Écologie et du Développement durable du gouvernement de François Fillon.
Aujourd’hui et malgré les palanquées de lois, si le logement est mixte, peut-on en dire autant des différentes classes sociales qui s’y côtoient ? Pour ces communes ayant la mixité dans leur ADN, parce que les populations qui les composent sont venues de toutes l’Europe, d’Afrique et d’Asie depuis des générations, il est ainsi logique que cette mixité culturelle se retrouve dans les nouveaux quartiers conçus aussi pour loger ceux qui y ont grandi.
En revanche, parler ici de mixité sociale serait alors impropre car les différentes classes sociales, au mieux, se frôlent. Ainsi, il y a fort à parier que le médecin du coin préférera toujours habiter son pavillon des bords de Marne ou le long du Canal. Quelle nouvelle mixité apporte alors ces nouveaux quartiers ?
L’observation démontre que le terme « mixité » est employé quelle que soit la ville. De Bègles à Villeurbanne, de Roubaix à Marseille en passant par Paris, Clermont-Ferrand et Nantes. Avec autant de situations aussi diverses, comment réussir à déterminer ce qu’est la mixité en terme urbain ? Dans de petites agglomérations, le rêve de la classe moyenne demeure le pavillon avec jardin, et ce malgré les ravages annoncés de l’étalement urbain. Seules les populations les plus paupérisées sont demandeuses de logements sociaux.
Il est difficile de s’intéresser à la mixité sociale sans évoquer les dynamiques à l’œuvre qui entraînent la ségrégation sociale et territoriale : l’histoire du peuplement des quartiers populaires, un marché foncier concurrentiel, l’absence de mobilité, des disparités socio-économiques aggravées par la situation économique de plus en plus disparate. Ainsi le niveau de vie d’un locataire du parc social d’Est Métropole Habitat, ou de Lille Métropole Habitat sera bien plus bas que celui d’un locataire de la RIVP (plus de 70% des Parisiens seraient éligibles au parc social). Dans ces conditions, de nouveau, les cartes sont biaisées.
Le mot « mixité » désigne donc une notion floue, naviguant entre le pseudo-concept, le slogan politique, l’idéal social, le principe régulateur, l’utopie voire le mythe et le simple argument. Il s’insère dans des discours aussi différents que l’injonction morale, la prise de position idéologique, la description statistique, la prescription législative. En clair, cette notion participe à des argumentaires peu rigoureux.
La réflexion autour de l’objectif de mixité sociale a néanmoins inspiré de nombreuses pistes de travail : mixité de logements, en diversifiant l’offre pour favoriser les parcours résidentiels des ménages, maîtrise du peuplement, pour attirer de nouvelles populations afin de diversifier les populations locales, avec le risque de création d’une source indirecte de discriminations, le principe se retournant alors contre l’objectif initial par un phénomène de gentrification ; ou encore mixité fonctionnelle, en favorisant l’implantation des commerces et des équipements dans les quartiers populaires et en renforçant l’accessibilité des lieux publics à tous les habitants.
Là où la sensibilité de gauche des grandes métropoles, spontanément choquée par la séparation spatiale et le cumul des handicaps sociaux inscrit dans son langage politique progressiste ce rejet des injustices, le libéralisme conçoit le marché foncier comme un simple révélateur de la structure de la société. Le conservateur, pour sa part estime qu’un milieu de vie doit correspondre à l’identité de ses habitants et conforter leur appartenance sociale. Comment dans ce cas se satisfaire à l’idée de villes plutôt de gauche fabriquées par des majors capitalistes ?
Comment aussi ne pas se souvenir que les lois LOV de 1991 et SRU de 2000 avaient la même motivation originelle : les échéances électorales qui ont poussé les gouvernements à afficher un flegme gauchiste à gauche aisément identifiable par leurs militants et leurs électeurs. Les termes « ségrégation » et « mixité » ont été à peine plus que des slogans de campagne électorale.
Sous l’influence de la part émotionnelle et sous la pression médiatique, l’argument de la mixité sert à tout : à défendre des positions restrictives (l’Agence nationale pour la rénovation urbaine fait usage de l’argument de la mixité pour justifier la raréfaction du parc de logement accessible aux moins favorisés) et à formuler les surenchères de mouvements revendicatifs. Dès lors, la mixité se trouve abusivement placée sur le même plan que le droit au logement (une valeur constitutionnelle) Le discours habituel sur la ville affirme l’équivalence et la continuité du « droit au logement » (avoir un toit) et du « droit à la ville » occultant les contraintes foncières qui pèsent sur la construction de logements à vocation sociale.
De manière plus pratique et du point de vue urbanistique, les problèmes urbains sont, via des mots devenus quasi institutionnels, capturés par des enjeux qui dépassent considérablement la dimension proprement spatiale. La morale se mêle au politique et problématise de façon erronée la question de l’habitat. Cela conduit à investir des ressources publiques sur des projets urbains et des objectifs territoriaux dont les effets sociaux attendus ne se réaliseront probablement jamais.
Peut-être que ce qu’il manque à la mixité, c’est une réelle définition qui permettrait de mettre en place une stratégie politique et urbaine. Pour le moment, la mixité ne reste qu’un slogan politique et, comme nous l’avons vu, vide de sens.
Alice Delaleu *
Lire : A Noisy-le-Grand, la ZAC Maille-Horizon, un outil de dé-mixité ?