La transformation de la ville n’est jamais qu’une promesse enfermée de palissades. Que reste-il d’un quartier quand tous ses habitants sont partis ? Récit du photographe Alexis Paoli.
Dans l’album de mes souvenirs d’enfant, les paysages urbains le long des quais de Seine, entre Saint-Cloud, Sèvres, Meudon, Issy-les-Moulineaux et Paris figurent en bonne place. Ce trajet était pour moi une aventure mystérieuse, des quartiers mêlant vieilles demeures, ateliers de guingois, entrepôts décrépis et péniches amarrées à l’ombre des usines rouillées de l’Ile Seguin. J’étais fasciné par ce qui m’apparaissait être comme une jungle urbaine, juste avant de plonger dans le Paris clinquant des grandes avenues et des immeubles haussmanniens.
Plus tard, jeune cadre dans le monde de l’immobilier d’entreprise, j’ai exploré la banlieue. Déjà la ville changeait et je participais activement à ce mouvement, avide de nouveaux m² à louer, à vendre, à construire.
Puis Paris a gagné la bataille olympique pour 2024. Le projet du Grand Paris avec son immense réseau de transports urbain a posé les fondations des transformations à venir de la région Île-de-France. Depuis le béton coule à flots. Les anciens quartiers délaissés sont peu à peu grignotés par les pelleteuses des promoteurs.
Dans nos banlieues, le paysage urbain de la seconde moitié du XXe siècle est graduellement mais inexorablement remplacé par des écoquartiers flambants neufs.
Les palissades de chantier séparent le nouveau de l’ancien et masquent en partie les transformations en cours. Cette séparation physique matérialise un point de bascule, comme un rideau tombé sur la scène entre deux changements de décors.
Le visage de nombreuses communes a déjà totalement changé. Partant de la 1ère couronne, le phénomène se diffuse au-delà sous la demande foncière des constructeurs. Peu à peu, ces paysages qui ont façonné mon imaginaire disparaissent.
Comment reconnaître la ville quand tous les points de repères s’évanouissent en même temps ?
Que reste-il d’un quartier quand tous ses habitants sont relogés ailleurs ?
Qui gardera la mémoire des lieux, de ces petits riens qui font la vie locale, de ces anecdotes que chacun possède sur son immeuble, ses petits commerces, ses voisins ?
En faisant table rase du passé, la ville perd une partie de son âme, de son histoire, de ses racines. Nous sommes dépossédés de la mémoire de nos cités.
Alexis Paoli
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