L’habitat est un point sensible des politiques publiques, pour ne pas dire un échec. Le logement est un poids de plus en plus lourd du pouvoir d’achat et, semble-t-il, non contrôlé malgré un « pognon de dingue ». Un esprit sain dans un habitat sain ? Chronique de l’intensité.
Secteur du bâtiment champion des émissions de gaz à effet de serre, fortes tensions dans les métropoles et zones touristiques, rigidités face aux besoins de relocalisation des activités et de l’habitat, difficultés d’adaptation de l’habitat ancien confronté aux besoins d’aujourd’hui…
Ajoutons à cette liste les questions d’ordre sociétal, la surpopulation dans certains logements et le mal logement, la précarité énergétique, la relégation de populations dans des zones mal desservies et la ghettoïsation, etc. Beaucoup d’enjeux à gérer simultanément, auxquels il faudrait en ajouter un : la santé.
Notre santé est largement conditionnée par des facteurs environnementaux. Plus des deux-tiers des maladies non transmissibles en dépendent, qu’il s’agisse de maladies cardiovasculaires ou métaboliques, de cancers ou encore de problèmes respiratoires chroniques.
L’habitat y tient une place considérable. Logement, lieux de travail et de loisirs, espaces publics de proximité contribuent pour une bonne part à l’ensemble des expositions auxquelles nos organismes, nos corps, sont soumis. Le terme d’exposome recouvre ce champ de recherche médicale, apparu il y a une quinzaine d’années pour comprendre les effets de l’ensemble des facteurs environnementaux qui se cumulent en nous tout au long de notre vie : ce que nous respirons, ce que nous ingérons, les radiations, le bruit, le paysage, les influences multiples auxquelles nous sommes exposés, a des effets, bons ou mauvais, sur notre santé physique et mentale, ils se combinent entre eux et produisent des cocktails qui laissent souvent la science démunie.
L’habitat est au cœur du sujet, qu’il s’agisse des emplacements, de la conception et l’organisation des locaux, des modes de vie auquel il invite, des matériaux utilisés, des modalités et des pratiques d’entretien et de maintenance. « Le logement reste donc un déterminant majeur de la santé », indique le Haut Comité de la santé publique. Voilà de quoi ajouter de l’intensité aux politiques de l’habitat !
Diverses organisations et de nombreux travaux sont consacrés aux logements et institutions adaptés à différentes pathologies, comme les « appartements de coordination thérapeutique ». La loi fixe des exigences pour l’accessibilité des personnes à mobilité réduite. Une attention récente se porte sur les effets du vieillissement. Il s’agit alors de faire face à des problèmes, dans une position à dominante défensive, pour réduire ou éviter les problèmes de santé (au sens de l’OMS) de populations fragiles.
Pourquoi ne pas aller plus loin, et concevoir un habitat qui, en plus de sa fonction première d’accueil et de lieu de vie, devienne un auxiliaire de santé publique ? Le mouvement hygiéniste du siècle dernier apporte une première réponse mais il s’agit essentiellement de lutter contre les maladies infectieuses. C’est une première étape, toujours principalement défensive.
Comment être « offensif » pour favoriser une bonne santé et non seulement éviter les maladies ? Comment enrichir le volet hygiéniste, d’inspiration technicienne, d’une dimension sensible, affective, qui permettrait d’obtenir une large adhésion des habitants ?
Sur le plan mental, la lutte contre la solitude demande un aménagement favorable aux rencontres, magasins de proximité, espaces publics, bancs, etc. La qualité du paysage urbain, le calme ou l’animation selon les cas, le traitement de cheminements piétons, illustrent les marges de manœuvre côté aménagement extérieur. Celui-ci pourra susciter des mobilités actives. Faire du vélo fait faire des économies substantielles à la sécurité sociale.
La réhabilitation de l’escalier dans les bureaux, où la tendance spontanée serait plutôt à l’ascenseur même pour un étage, est un exemple de mesure simple dans le tertiaire. C’est une ergonomie des cheminements externes et intérieurs qui nous pousse à « bouger », comme les publicités officielles nous y incitent.
Un urbanisme « climatique » est une autre piste pour favoriser la santé. Des rues orientées en fonction des vents dominants, tant pour évacuer et disperser la pollution que pour offrir des microclimats agréables. Un plan d’ensemble permettant le plus possible l’accès au soleil, prévoyant une présence de l’eau, fontaine, berge d’une rivière, étang, etc. et d’une végétation source d’apaisement, pourvoyeuse d’ombre, favorable à la qualité de l’air, à l’accueil d’oiseaux (mais attention aux allergies et à ne pas freiner la dispersion des polluants).
Dans les bâtiments, les réglementations donnent des indications pour le volet santé. Il est évidemment souhaitable d’en faire plus, notamment pour l’accès à la lumière du jour, indispensable pour le moral, et le renouvellement d’air, la ventilation, incontournable pour bien se porter, mais aussi pour éviter la climatisation, qui n’est bonne ni pour la santé des humains ni pour la planète.
La précarité énergétique est un problème social et sanitaire. Elle coûte cher en matière de santé, mais aussi d’absentéisme, de scolarisation, de situations familiales et sociales. Un coût qui a été estimé au Royaume-Uni plus lourd que celui des travaux de rénovation thermique. C’est aussi du côté des usages et des comportements que l’effort doit se porter, sur la manière d’habiter, liée essentiellement à des habitudes et des cultures. Un habitat sain en adéquation avec les modes de vie des occupants, et une sensibilisation de ces derniers, du hard et du soft.
La recherche de co-bénéfices est consubstantielle au développement durable. Le double dividende. Le logement et plus largement l’habitat ont une grande responsabilité sur la santé. Une approche transversale est nécessaire, au-delà des cloisonnements qu’il a bien fallu poser pour faciliter l’action mais qui ont fini par se révéler étanches.
Notre environnement quotidien, pour une grande part dans des locaux, détermine notre santé, et nos modes de vie, eux-mêmes en relation directe avec notre santé. La séparation des compétences a conduit les politiques de l’habitat à répondre à des exigences minimums, à ne pas nuire. La reconnaissance d’un objectif « santé » ambitieux intégré aux politiques de logement et d’urbanisme serait un grand pas sur la voie du développement durable.
Dominique Bidou
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