Vous l’avez sans doute remarqué, chaque bâtiment est désormais livré avec tout un tas d’étiquettes garantes d’une parfaite innocuité environnementale. Lesquelles sont souvent scotchées après des phrases, voire tout un paragraphe, de ce genre : « Une attention particulière a également été portée à la consommation énergétique du bâtiment et à ses émissions de gaz à effet de serre, en phase construction ». À lire l’étiquette : Bâtiment certifié NF HQE niveau « très bon ».
Parce que, sinon, l’architecte ne porte pas d’attention particulière à la consommation énergétique de ses bâtiments ? Et, en phase exploitation, c’est le mystère ? Mais bon, chacun est libre de dire ou écrire n’importe quoi.
Ou bien cette phrase, en substance : « une empreinte carbone réduite par l’utilisation de matériaux d’origine renouvelable et biosourcés ». Sur l’étiquette certifiée : Niveau d’excellence Carbone 2 (C2).
Excellence carbone ?!? Seulement au XXIe siècle ! Sinon bonjour la conversation au XIIIe siècle du châtelain maître d’ouvrage avec son maître d’œuvre : « Alors mon cher, où en êtes-vous de cette excellence carbone ? ».
Ou encore, cette assertion, en substance : « L’architecture a été pensée pour être économe en énergie, en matériaux, en temps de chantier, etc. (rayez la mention inutile) », le tout avec l’étiquette : Performances NF HQE & RT 2012.
Certes mais qu’est-ce que ce serait si ce bâtiment n’avait pas été « pensé » par l’architecte ? Un bâtiment construit sans y penser ?
Encore que HQE, haute qualité environnementale, NF, normes françaises, sont des sigles faciles à comprendre pour la plupart des gens. RT 2012, je pense que cela devient tout de suite plus compliqué sur radio-trottoir. D’ailleurs, quel architecte va aujourd’hui expliquer tranquillou que son bâtiment n’est pas HQE ? « Ou alors c’est vraiment sans le faire exprès ! », dit-il.
HQE, normalement, les bâtiments d’aujourd’hui ne le sont-ils pas déjà tous, par définition ? D’ailleurs, dans leur fiche technique, de temps en temps, en toute frugalité d’adjectifs, des agences précisent seulement : « Profil env. : HQE ». Ce qui a le mérite, sinon de la clarté, au moins du raccourci facile à comprendre. Plus radical encore, parfois, des agences ne précisent AUCUN label, AUCUNE certification, PAS UN MOT !
Qu’en penser ?
Gouffre énergétique ou sobriété d’expression ? Il est vrai que nul n’a envie de passer pour un âne en débitant solennellement des évidences. Ou alors, pour les usagers et habitants de ces immeubles, demain sera un autre jour…
Faut-il pour autant en dire plus ? Dès la fin du siècle dernier, il était déjà question de développement durable et de bioclimatisme, les enjeux du dérèglement climatique étant déjà connus des gens attentifs. Est alors arrivée cette fameuse HQE, censée, forte de ses 14 cibles, organiser la réflexion de haut en bas. Jacobine la réflexion ! Qui se souvient encore des 14 cibles ? Dès 1999 pourtant, Architecture Studio se lançait dans « la construction Bois et HQE », ce qui donnera en 2004 le collège de Mirecourt, un OVNI à l’époque.*
Une idée nouvelle, vingt ou trente ans plus tard, est-elle encore nouvelle ? Bref, les architectes, spécialisés ou non, n’ont pas prêché dans le désert puisque leurs concepts furent bientôt récupérés par tous les autres acteurs du bâtiment qui s’offraient ainsi une bonne conscience à bon compte. Au point d’en développer un business tellement florissant qu’il est devenu un nom propre : le « green washing », en anglais dans le texte, ce qui fait plus chic que « lavage vert »… Ou « nettoiement chlorophylle » comme ils disent au Québec !
Lequel rinçage anti bactérique se traduit aujourd’hui par un catalogue à la Prévert des avantages d’un bâtiment, tels que décrits dans les communiqués que reçoit ordinairement la rédaction (et tels que n’en ont jamais rédigé les Grand prix de Rome et membres de l’Académie). Par exemple ès qualités, et j’en oublie certainement (on prend son souffle) : BDO Niveau Argent (phase Conception) ; Engagement énergétique E3C1 ; Béton bas-carbone ; Isolants biosourcés ; BIM Niveau 2, BREEAM Very Good… (entre nous, forcément « very good » le label ; qui va se vanter de son bâtiment BREEAM « Not Good » du tout ?).
L’anglais est d’ailleurs un gage de sérieux quand son bâtiment est labellisé : « HQE Bâtiment Durable Excellent level » ; « Breeam Very Good level » ; « Well Core and Shell Gold level » ou encore « HQE Bream (sic) Leed » ou « écoengagement oxygen ». C’est clair non ? En allemand peut-être : « Equivalent Passiv Haus » ??? Une équivalence non encore traduite en français ? Un Bbio projekt ?
Je ne doute pas de la bonne volonté de quiconque mais quand même…
C’est sûr que les quidams, qui pratiquent pourtant toutes sortes d’architectures dans lesquelles ils passent la majeure partie de leur temps et de leur vie, sont certains de comprendre ce dont il est question dès que l’avenir de la planète est concerné.
D’ailleurs, pour leur expliquer bien mieux encore, nous assistons à une inflation de labels environnementaux, tous évidemment d’une grande pertinence, qui s’invitent dans le dictionnaire de la construction et de l’architecture ; en voici quelques-uns : Acermi, BBCA, BiodiverCity, Biosourcé, Breeam (only Breeam ???), CSTBat, Eco Artisan, Effinergie, Habitat et environnement (H&E), Leed, Minergie, Passivhaus, Qualitel, Well, WiredScore, BBC… Et donc, désormais, E+C+, une formule magique.** Qui a dit qu’Einstein n’était pas français ?
Parce que, il faut bien l’admettre, le label E/C a gagné le pompon de la clarté. Tenez, comme ça dans le fil d’infos : « Bâtiment Est : atteinte du niveau E3C2 » ; « niveau E2C1 atteint » ; « le projet vise le label E4C2 », etc. Qui est capable d’expliquer intuitivement à quoi correspondent ces messages codés ?
Laissez-moi deviner : 0,0000852% de la population française ?
Il est vrai que ce label E+C- a remplacé l’acronyme BEPOS qui avait lui le mérite de la simplicité : « bâtiment à énergie positive », ouvrage qui produit donc plus d’énergie qu’il en consomme. Là, sur radio-trottoir, n’importe qui comprenait du premier coup mais c’était trop simple. Tandis que E3C2, à qui cela fait-il une belle jambe ?
La question est posée : à qui s’adresse donc cette communication absconse dont les rédactions sont inondées ? Aux architectes entre eux dans une sorte de compétition : qui a la plus grosse HQE et à chacun son manifeste ? Aux maîtres d’ouvrage qu’il faut séduire comme le font des marchands de tapis verts ? Aux élus pour qu’ils puissent eux-mêmes rajouter de la confiture aux épinards lors de l’inauguration ? Aux journalistes généralistes qui seront (peut-être) impressionnés ? Aux journalistes spécialisés qui n’iront jamais vérifier les données ?
Ces bonnes œuvres aux multiples intitulés originaux ne sont en tout cas pas destinées au quidam dans la rue, lequel n’y comprenant déjà pas grand-chose, pour le coup n’y comprend plus rien du tout. La raison sans doute pour laquelle le gouvernement pédagogue a fini par imaginer pour le bon peuple un code couleur comme à la maternelle : vert c’est bien, rouge ce n’est pas bien. Et, pour ceux qui savent lire : A, bien ; G, pas bien !
Si nous en sommes-là de l’intelligence non artificielle, alors à quoi, ou à qui, peuvent bien servir tous ces labels pourtant vigoureusement mis en exergue et soutenus dans un bel ensemble assez inattendu par les architectes, les maîtres d’ouvrage, les promoteurs, les aménageurs, les bureaux d’études, les agences de com, les élus, etc. ?
D’autant que, quand on y pense, qui à la fin pour se cogner la synthèse de toutes ces nouvelles contraintes subtilement rebaptisées « attentes contemporaines » ?
Christophe Leray
*Lire notre article Dans les Vosges, l’OVNI de Mirecourt
** Lire notre article Avec le label E+C-, quand le politique fait l’âne, les architectes tenus de bêler ?