Quand Architecture-Studio se lance, en 1999, dans la construction Bois et HQE, un petit évènement en soi au sein de l’agence, ce n’est pas pour faire les choses à moitié. En témoigne cet étonnant collège qui ne souffre d’aucun compromis, ou presque, tant en ce qui concerne l’aspect environnemental que le parti architectural contemporain.
«On a l’impression que ce collège nous arrive d’un autre univers». Jean-Pierre Deloy, professeur de français au collège Guy Dolmaire, à Mirecourt dans les Vosges, résume parfaitement le sentiment des 620 élèves et leurs familles qui ont pris possession du bâtiment conçu par Architecture Studio et livré en 2004. «C’est un choc pour le visiteur non averti», assure pour sa part Marie Ronyer, maire de Mirecourt.
Une réaction peu étonnante si l’on considère que l’un des enjeux de ce bâtiment était, selon Laurent-Marc Fisher, l’un des associés de Architecture-Studio, de «trouver des expressions contemporaines». Une volonté qui a donc bouleversé la vision des habitants de cette commune, par ailleurs indistincte architecturalement. Des habitants de fait peu habitués à ce type d’audace, eux qui ont attendu leur nouveau collège plus de trente ans, se contentant pendant plus d’un siècle d’une école construite à la fin du XIXe. Ils seront heureux d’apprendre qu’un bouleversement similaire s’est produit au sein de l’agence. Laurent-Marc Fisher l’avoue sans détour. «Nous ne sommes pas spécialistes du bois, c’est d’ailleurs le plus grand bâtiment que l’on ait fait en utilisant cette ‘matière’», dit-il. Il y en aura d’autres.
Au départ, Olivier Paré, architecte à Mirecourt et associé au projet, prévient Laurent-Marc Fisher, un ami de longue date, de l’appel d’offres pour un nouveau collège sur la commune. Pas n’importe quel collège cependant car le Conseil général des Vosges s’est engagé dans une politique appuyée de valorisation du bois et tient à faire de cet établissement l’étendard de cette politique. En réponse à ce risque politique conséquent, Architecture-Studio a donc non seulement décidé de brusquer sa nature en utilisant du bois et en se plongeant dans la problématique HQE et ses 14 cibles mais, surtout, d’aller «au-delà des normes». Un seul exemple : même le «confort olfactif» des usagers a été pris en compte puisque «tout a été passé à l’huile de lin». De fait, si l’odeur n’est pas forcément partout perceptible, elle offre à elle seule un accueil généreux dans la bibliothèque.
Si la préoccupation environnementale est d’actualité, les architectes du collège en ont vite découvert la complexité. Ainsi, le bois s’il est écologique en lui-même l’est beaucoup moins quand il est lamellé-collé, d’où le choix du bois massif par exemple. Par ailleurs, explique Laurent-Marc Fischer, «le choix de l’essence (douglas à l’extérieur, sapin à l’intérieur) a une incidence sur l’architecture, la géométrie et le dessin du bâtiment». Enfin, le soutien déterminé du Conseil général n’a pas été de trop pour mener à bien un projet qui a rencontré moult résistances, tant des entreprises que des ingénieurs que des parents d’élèves. Il a fallu d’ailleurs la visite des pompiers en grande tenue pour que les parents soient convaincus que leurs enfants ne risquaient pas plus de brûler dans ce collège, plutôt moins d’ailleurs, que dans l’ancien. «Il a fallu convaincre», soupire l’architecte.
D’autant plus que le parti pris architectural, résolument contemporain, avait de quoi dérouter le ‘visiteur non averti’. «Nous avons créé un immense volume tampon, qui n’était pas demandé dans le programme, dans lequel nous avons inséré cinq bâtiments et cinq ‘fûts’ en béton qui permettent de traiter tous les aspects ‘humides’, dont les sanitaires par exemple», explique Laurent-Marc Fischer. L’ensemble de la structure, et, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, est donc «scandé» par des poutres en bois massif de cinq mètres de long, aussi bien horizontalement que verticalement, jusqu’à 20 mètres pour la partie la plus élevée. Ce qui lui donne un aspect jeu de construction qui devrait initier ces élèves à l’architecture et surtout transforme l’espace en une image complexe puisque en quelques pas, l’horizon offert par le volume est totalement transformé. Nous sommes donc loin du faux-plafond habituel dans ce genre d’endroit et, sur 10.000 m², les élèves ne sont pas les uns sur les autres.
Un modèle de gestion thermique
Les cinq bâtiments eux-mêmes sont insérés dans ce volume et traités spécifiquement en fonction de leur usage, lequel est également décliné en codes couleurs. Là encore, cette réussite visuelle n’est que le résultat de contraintes HQE. Les fûts de béton en aile d’avion sont par exemple légèrement désaxés pour offrir l’angle le plus efficace au vent dominant (Sud/Sud-Ouest onze mois de l’année).
La façade principale, orientée plein sud, permet de chauffer l’espace tampon pendant l’hiver. «Sans aucun chauffage dynamique, nous obtenons d’après nos études une température de 14° à l’intérieur par une journée ensoleillée malgré une température de -5° à l’extérieur», explique l’architecte, tandis que les 2.000 ventelles de cette façade assurent la ventilation l’été. De fait, les quatre façades de l’édifice sont dotées de ventelles ce qui doit permettre à terme une gestion efficace de cette ventilation ; les températures tant de la zone tampon que des cinq bâtiments pouvant également être ajustées avec une chaufferie à bois (pour les 2/3) et une chaudière à gaz pour l’appoint, quand ce sera nécessaire. Cette zone tampon offre ainsi aux cinq bâtiments intérieurs une moindre consommation d’énergie.
«C’est une Formule 1 qu’on leur a donné, il a fallu un an pour pouvoir la maîtriser», explique l’architecte. De fait, apprendre à ouvrir les ventelles la nuit ou le jour, lesquelles, en quel nombre, selon quel orientation, sont autant d’éléments que les gestionnaires du bâtiment ont du apprendre à manier. De ce point de vue, le pari est en partie gagné. «Il y a la clim», explique un collégien pour exprimer sa satisfaction d’avoir aménagé dans ces nouveaux locaux. «Nous ne souffrons pas souffert de la chaleur, même lorsque la température extérieure a atteint 30°», assure pour sa part Jean-Pierre Deloy. Ces paramètres maîtrisés, l’architecte estime que le coût de fonctionnement énergétique du bâtiment est divisé par deux par rapport à un équipement similaire.
La toiture, sur sa partie la moins exposée, et les façades en verre (la façade ouest est protégée de pare-soleil tandis que la façade principale est protégée par un grand débord du toit en zinc), offrent une abondance de lumière naturelle. Un effort particulier a également été porté pour réduire le niveau acoustique grâce à des récepteurs, en grand nombre dans toutes les salles, qui auraient heurté le regard dans un bâtiment moins contemporain. Les déplacements, via des escaliers en béton brut et des passerelles métalliques, rompent avec la monotonie ordinaire des collèges et les élèves devraient pouvoir y trouver leur bonheur. «Nous avons consciemment prévus des endroits où les élèves peuvent s’isoler», assure Laurent-Marc Fischer d’un air potache.
L’impact du collège dans le département
Quelques défauts méritent pourtant d’être signalés. Les seuls à ne pas disposer de lumière naturelle sont les ATOS (employés du collège) qui, s’ils se félicitent des nouvelles commodités de leur cuisine, ont néanmoins le sentiment de travailler en sous-sol. Dans le restaurant scolaire, puisqu’il n’est plus question de ‘cantine’, les élèves de sixième auront bien du mal à remettre comme prévu leurs plateaux tant la hauteur du tablier est élevée. Quant à ranger eux-mêmes verres et couverts, c’est hors de portée de la plupart des enfants. De plus, si la plupart des élèves interrogés apprécient leur nouveau collège «parce qu’il est neuf», et quand on a vu l’ancien leurs remarques n’étonnent personne, ils sont plusieurs à se plaindre du nouveau mode de vie induit par sa localisation, à la frontière entre ville et campagne, petites maisons de lotissement d’un côté, la forêt de l’autre.
En effet, auparavant les élèves pouvaient sortir en ville en attendant leur bus – le collège est destiné au final à 800 élèves de toutes les communes environnantes -, ils doivent dorénavant attendre dans l’enceinte du collège. C’est donc une habitude aussi vieille que l’ancien collège, situé en plein centre ville, qui disparaît, au grand bonheur des parents d’ailleurs ; à ce titre, ce bâtiment contemporain traduit bien les nouvelles tendances sécuritaires de son époque.
Sa situation en limite de bourg accentue également l’aspect OVNI de l’ensemble. Enfin, si les élus du Conseil général conviennent qu’un grand terrain fut imperméabilisé car ils n’ont pas trouvé dans ce contexte de procédé convaincant, ce sont les services de l’Etat qui leur ont refusé les dispositifs de récupération d’eau prévus au départ.
En revanche, il ne pourra pas être fait reproche à ce collège du surcoût, estimé généralement à 10%, d’un bâtiment HQE. Au moins l’argument devra-t-il à l’avenir être sérieusement reconsidéré. Car, dans le cas du collège de Mirecourt, des astuces et des choix esthétiques ont permis de limiter les coûts. Les fûts et escalier en béton brut ont permis par exemple des économies de peinture ; de même les faux-plafonds n’ont été utilisés que quand c’était absolument nécessaire. Un surcoût réduit à environ 5% selon l’architecte qui devrait être largement compensé à terme par les économies de fonctionnement. Preuve s’il en est de la modération de la facture finale, 1.100 euros au m², est le fait que les architectes ont doté le collège d’un petit amphithéâtre extérieur qui n’était pas dans le programme. Aucune étude de coût global n’a encore été réalisée, ce sera le rôle de la GTC (Gestion technique centralisée). Pour mémoire, l’une des cibles de la démarche HQE est l’éco-gestion du bâtiment.
En tout état de cause, ce collège a fait date dans les Vosges. Avant la première rentrée, le concierge a reçu jusqu’à 50 demandes de visites par jour de la part de particuliers. D’un point de vue institutionnel, deux délégations d’élus défilent dans le bâtiment toutes les semaines. Plus important, le premier «choc» passé, ses usagers se montrent très fiers de leur OVNI.
Cette réussite a également permis à Architecture-Studio de définitivement virer sa cuti HQE tout en lui permettant d’acquérir un cursus de connaissances et des usages du bois. Le centre Danone réalisé par l’agence a d’ores et déjà bénéficié des «recherches» de Mirecourt en termes de développement durable. «Nous utilisons plus de bois aujourd’hui dans nos constructions», assure Laurent-Marc Fischer, lui-même faisant désormais partie des convaincus. Il n’est pas le seul puisqu’une cellule dédiée à la HQE a depuis été créée au sein de l’agence.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 21 septembre 2004