
Le cas judiciarisé Chartier/Dalix vs Mathias Rollot semble déchaîner les passions et, comme pour un divorce, chacun se doit de prendre position : censure ou pas censure ? Critique ou pas critique ? etc. pour résumer l’émoi sur les réseaux sociaux et dans les cénacles. Puisqu’avec insistance on me demande ce que j’en pense…
J’ai découvert l’affaire comme tout le monde avec l’article daté du 26 août 2025 du Monde intitulé L’agence d’architecture ChartierDalix assigne en justice un chercheur pour diffamation*. Au-delà de l’aspect sensationnel du titre, la première chose qui m’a intrigué est qu’un journal en fasse état, que ce soit en l’occurrence Le Monde n’en étant que plus étonnant. Comment cette info est-elle tombée du ciel ? En effet, dans ce genre d’affaire, la règle est habituellement à la discrétion et aux règlements en bonne intelligence, le recours à la justice impliquant par définition de s’exposer aux médisances et il vaut mieux en ce cas sortir couvert.
L’article nous apprend qu’un chercheur, Mathias Rollot, architecte (toutes proportions gardées, il est diplômé d’État**) et docteur en architecture, maître de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture (ENSA) de Grenoble est mis en examen pour « diffamation publique » suite à la plainte de l’agence parisienne Chartier/Dalix. Comme le premier a reçu une lettre recommandée provenant d’un juge d’instruction au tribunal de Paris, c’est que l’affaire est sérieuse, cela signifiant que le juge en question a été saisi d’un réquisitoire introductif émanant du procureur de la République auquel sont jointes les pièces et procès-verbaux servant de base à la poursuite. Autrement dit, ce n’est pas tout à fait votre tribunal de proximité pour loyer impayé ou droit d’auteur mal interprété.
Pour la diffamation – soit « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » (Légifrance) – il faut se reporter à l’article original (qui ne l’est plus tout à fait car modifié depuis selon Chartier/Dalix, les plaignants). Intitulé Architecture et greenwashing ou comment biodiversifier le béton, par Mathias Rollot, il est paru dans lundimatin #388, le 19 juin 2023***. De fait, l’article semble au départ aborder une ou deux questions intéressantes – le greewashing, évoqué dans le titre, et l’usage du crédit d’impôt recherche (CIR) – qui auraient mérité un travail autrement plus précis et subtil plutôt que, au prétexte d’ « exemple paradigmatique », une canonnade en règle sur l’agence ChartierDalix, et rien qu’elle. Alors quoi, un exorcisme ? Quant à l’aspect capitalistique, le fait du prince semble échapper à l’auteur de l’article ; pourtant chacun sait depuis Fernand Pouillon que les architectes, comme les vaches, sont bien gardé(e)s…
Mauvais sang ? Alors que personne en deux ans n’avait jamais lu la diatribe pleine de fiel du chercheur, voilà soudain que l’inimitié éclabousse le Landernau.
Le travail de Mathias Rollot, habité par une rancœur ad hominem qui lui appartient, n’est guère plus judicieux du point de vue de l’éthique du chercheur que de celle du journaliste. Pour une publication dans Nature, il faudra repasser. Pour autant, si parmi les chercheurs et docteurs en architecture il n’y avait que des Mozart, nous le saurions. Et s’ils devaient à chaque fois passer sous les fourches caudines de la censure, fut-elle bien fondée, qui pour s’occuper avec génie de couper les cheveux en quatre ? En réalité, il s’agit ici apparemment de la croisade d’un seul homme qui n’apporte rien au débat et qui encourt le courroux d’une seule agence qui apporte peu au débat. Le tout est à la limite de l’indiscrétion et sent un peu le linge sale. C’est d’autant plus dommage que l’article ne répond en rien aux sujets de fond qu’il évoque sinon pour nous expliquer que Chartier/Dalix sont des cyniques qui abusent du système en se remplissant les poches du crédit d’impôts recherche et en nous repeignant la vie en vert. Quelle nouvelle !
Voyons aussi le greenwashing des élus et des agences et des promoteurs – tous dans un non-dit bien compris – ainsi que les chiffres des bureaux d’études que personne ne vérifie et dont nous n’avons aucune idée de comment ils se vérifieront à +2°, +4° ou +5°. Il y a là pourtant matière à recherches pour un chercheur qui connaît le goût du sel. À condition cependant de ne pas s’enchâsser sur le doigt, comme dirait le sage, car se bagarrer sur les chiffres avec les bureaux d’études, c’est un autre combat, autrement plus ardu !
Tous les journalistes d’architecture parisiens connaissent Chartier/Dalix, pour le meilleur et pour le pire comme Pascale et Frédéric se le sont juré il y a longtemps sans jamais depuis briser leur promesse, et je ne vois pas pourquoi cette agence se voit gratifiée de tant d’indignité et singularisée comme parangon des mauvaises manières. Un « exemple paradigmatique » ? C’est leur faire trop d’honneur et une proposition scientifique malhonnête.
Le greenwashing ? Mais aucune agence et aucun promoteur et aucun élu ne peut espérer gagner un concours s’il n’est pas peint en vert du sol au plafond. « Ouais, vous allez voir les gars, notre EHPAD il est noir de fond en comble comme un palais de justice de Jean Nouvel » ! Les chiffres et longues équations des bureaux d’études ? Nous aurons la réponse dans cinq, dix ou cinquante ans dans un monde que les ingénieurs font semblant de pouvoir imaginer. Les politiques sont preneurs du greenwashing et bonne chance à l’agence qui veut convaincre d’un bâtiment écologique sans bois autre que celui du parquet. Pourtant cela existe ! Dans la propagande industrielle, et donc politique, chacun prend ce qui lui convient au mieux de ses intérêts particuliers. Quelle nouvelle !
Quant au crédit recherche dont l’utilisation par Chartier/Dalix offusque Mathias Rollot, qu’il sache que de nombreuses agences, non des moindres, se sont emparées de l’opportunité, avec plus ou moins de bonheur, de sincérité et d’efficacité, et à ce titre l’agence Chartier/Dalix n’a rien fait d’illégal sinon peut-être, comme beaucoup d’autres, tirer parti de l’impéritie de l’État. Que leur production de « recherche » laissât à désirer, en architecture la science n’est pas exacte. Et sans doute la somme totale réunie par toutes les agences d’architecture ayant tenté et réussi leur chance avec le CIR ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan de gabegie – qu’il s’agisse de l’État ou des multinationales ou des boutiques de la Start-up Nation – que le CIR a suscité depuis 1983, quand il fut adopté « dans le but de stimuler les dépenses de recherche et développement (R&D) des entreprises en réduisant les coûts de ces activités ». Amen !
Il est vrai pour autant, comme en témoigne le travail rémunéré par l’Etat de Mathias Rollot, que le rapport coût/efficacité de la recherche n’est jamais acquis. C’est le fondement de la recherche académique. Cependant, pour un docteur en architecture, reprocher à Chartier/Dalix l’habileté et l’entregent de ses associés, en l’occurrence aussi doués que roués, c’est faire injure à toutes les agences livrées à elles-mêmes. L’exégèse de leur parcours, fait sans doute de détours, de raccourcis, de coins coupé et d’inimitiés, mérite au moins un minimum d’intelligence non artificielle. Quant au discours et calculs super vert des associés, eux-mêmes sans doute n’en sont pas dupes et la tour Montparnasse attend encore sa première fougère. Pendant ce temps-là, l’architecte grenoblois auteur d’un EHPAD ou d’une école à la Tour du Pin (Isère) aura vendu dans le concours un bâtiment « vert » et rien n’interdit que, dans ce contexte, il n’y ait mis de la bonne foi et tout son art singulier.
Nous en revenons donc au point de départ : comment une telle histoire, pathétique pour tous les acteurs concernés, en arrive à déchaîner les passions ? Judiciarisation de la critique ? Incident monstrueux ? Symbole de l’époque ? Contacté par Le Moniteur pour s’expliquer, Chartier/Dalix a préféré répondre via une tribune,**** avec, inclus, un coup de pied de l’âne pour l’article du Monde. Pour l’élégance, ce n’est pas top et cette tribune ne résout rien, les deux éléments factuels mis en exergue par les architectes ne semblant pas suffisants pour activer l’arme nucléaire. Chacun alors de se retrouver spectateur du vaudeville.
Je ne suis pas psychologue. En attendant Fahrenheit 451, la question de la censure va bien au-delà du travail à moitié cuit de qui n’a jamais construit une niche sinon la sienne ou des vapeurs d’une agence parisienne susceptible en diable. Je constate cependant que, comme le disent les Américains, en matière de communication, « que l’on parle de moi en bien, que l’on parle de moi en mal mais que l’on parle de moi » et Chartier/Dalix, à son corps peu défendant apparemment, a occupé l’actualité d’une fin d’été indolente. Cela vaut également pour Mathias Rollot, nouveau martyre victime de la censure.
Nous sommes bien placés à Chroniques pour savoir, tous les mercredis matin, que la critique fait grincer des dents. Depuis longtemps – Mathias Rollot n’était peut-être pas né – nous raillons le greenwashing et les élus et leurs architectes compères virant leur cuti au mieux de leurs intérêts : demandez à Anne Hidalgo ce que j’en pense. Si le magazine Lundi matin veut faire le buzz – et c’est son droit le plus strict – qu’il s’en prenne aux vrais puissants, pas aux seconds couteaux.
En effet, Mathias Rollot, dès le début de son article note « qu’avec ses 7 millions de chiffre d’affaire, l’agence ChartierDalix fait partie des 50 plus grosses agences françaises ». Parce qu’avec, « 7 millions de chiffre d’affaires », dans son bureau, il est impressionné le jeune homme au salaire de fonctionnaire ? Et les 49 autres agences du Top 50, le greenwashing, elles n’en ont jamais entendu parler ?
Et puis, d‘office, entre l’architecture et l’écologie, il y a forcément un gap, par nature. Là où vit chacun d‘entre nous, il y a deux mille ans, il y avait des grenouilles (pas encore de bénitier).
Finalement, voilà une nouvelle affaire qui ne sert pas la cause de l’architecture et qui renforce, une fois de plus, l’image corporatiste d’une pratique assiégée de toutes parts, y compris par des docteurs issus de ses rangs qui loin de les soigner enflamment les lésions. Une vaine polémique qui laisse une image terrifiante de l’état d’une profession perdue entre non-dits, trop-dits et volonté d’être universellement admirée, sinon aimée.
Alors voilà, puisqu’on me le demande.
Christophe Leray
*Lire L’agence d’architecture ChartierDalix assigne en justice un chercheur pour diffamation (Le Monde, 26 août 2025)
** Mathias Rollot est maître de conférences Habilité à diriger des recherches (HDR) en Théories et pratiques de la conception architecturale et urbaine (TPCAU) à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Grenoble, chercheur au CRESSON (UMR CNRS AAU) et chercheur associé au Laboratoire d’histoire de l’architecture contemporaine (LHAC) de l’ENSA de Nancy. Un expert donc !
*** Lire Architecture et greenwashing ou comment biodiversifier le béton (Lundi Matin, 19 juin 2023)
****Tribune : face aux allégations de «censure», les architectes associés de Chartier-Dalix veulent «rétablir les faits et défendre leur agence» (Le Moniteur, 1er septembre 2025)