Les architectes ont bien de la chance. Les maîtrises d’ouvrage étant désormais dotées d’un Assistant à Maîtrise d’ouvrage (AMO) biosourcé, et plus récemment d’un AMO réemploi, ils ne peuvent plus se gourer. Ça tombe bien, ils n’y connaissent rien !
Les hommes et femmes de l’art ont même tellement de la chance que, les crises climatiques s’enchaînant aux crises économiques et sociales, les maîtrises d’ouvrage seront bientôt dotées d’AMO pour faire tomber la pluie, d’AMO spécial sécheresse, d’AMO moustique tigre, d’AMO vie sauvage en ville, d’AMO ville du quart d’heure, d’AMO du dernier kilomètre, d’AMO concertation (ha non, celui-là existe déjà), d’AMO insertion. J’en oublie sans doute tant l’urgence est grande pour la maîtrise d’ouvrage de n’être pas prise en défaut d’anticipation.
Ces AMO, nom pudique donné aux consultants d’un projet de construction, font penser à ces consultants du gouvernement incapables d’anticiper que leurs honoraires astronomiques, payés par le contribuable, vont finir par faire tousser. Parlez d’une agence de consultants : non seulement ses solutions sont datées comme un grille-pain au gaz, non seulement elle coûte cher, mais si en plus elle vous amène le scandale… Des sanctions peut-être, un remboursement, un bon d’achat ? Non, zéro responsabilité pour leurs élucubrations mais la facture en due diligence.
Dit autrement, c’est une évidence, on fait appel à un consultant quand on ne sait pas ce qu’on fait et qu’on craint vraiment de faire n’importe quoi. Sinon, à quoi cela sert-il d’être élu sur un programme si on n’a aucune idée de la façon de le mettre en œuvre ?
Le triptyque initial n’est pourtant pas compliqué : la maîtrise d’ouvrage est non sachante dans l’art de construire un bâtiment, le maître d’œuvre est le sachant, l’entreprise maître de l’art. Plus précisément, la maîtrise d’ouvrage est non sachante pour la conception architecturale mais elle est en théorie sachante de son métier et donc en théorie possède la connaissance et la maîtrise de ses besoins. Et si c’était tout ce dont le maître d’œuvre avait besoin ?
Le problème est qu’aujourd’hui les maîtres d’ouvrage sont devenus non sachants également dans leur domaine de compétences. La maîtrise d’ouvrage n’ayant pas, ou plus, cette capacité à définir ses propres besoins, elle doit désormais avancer à l’aveugle et s’appuyer sur un programmiste, les AMO venant ensuite se greffer pour faire bonne mesure, chaque couche d’AMO apportant sa propre couche de complexité.
Au départ, il y avait un AMO, générique disons, dont le rôle, noble, était de suivre la procédure d’exécution du projet et de rassurer la maîtrise d’ouvrage quant à sa parfaite conformité au code des marchés publics, à tous les codes en fait. Une sorte d’assurance psychologique en somme. Légitime sans aucun doute, surtout pour le maître d’ouvrage occasionnel.
Puis, pour contrôler la production d’un bâtiment sans assumer aucune responsabilité, l’Etat a imposé un bureau de contrôle ! Passage obligé pour tout projet de construction, il s’impose à tous les acteurs de la construction avec la charge de viser tout ce que produit la maîtrise d’œuvre et les plans d’exécution des entreprises pour garantir la conformité à tous les codes en vigueur. Pour autant lorsqu’il y a plantage, une non-conformité ou une structure qui s’effondre, le bureau de contrôle n’est pour ainsi dire jamais mis en cause ! Alors pensez donc un AMO qui n’est même pas obligatoire…
Des AMO, il y en a donc désormais une myriade : AMO Environnement, AMO HQE, AMO Construction Bois, AMO BIM, AMO Ergonomie et, plus récemment, l’AMO biosourcé, et plus récemment encore, l’AMO réemploi donc, etc. Et, pour paraphraser Coluche, plus il y a d’AMO, plus le maître d’ouvrage a peur ! Maintenant, faut-il vraiment un AMO Sport et toute la bande pour édifier un gymnase ? Ou les hauteurs réglementaires pour le volley-ball sont-elles un secret d’Etat ?
Garder à l’esprit que cette bardée d’AMO n’est rien d’autre qu’une volée de consultants qui ne rendent de comptes à personne, qui prêchent pour leur paroisse et se créent leur propre métier. Le bon plan connu, comme ils sont bientôt en concurrence – et tous d’expliquer se préoccuper des vertus du biosourcé depuis vingt ans au moins ! – à défaut de consolidation des compétences, voici venue le temps de la surenchère. Et chaque AMO nouvellement indispensable – bientôt un AMO pour l’esthétique à Paris selon les vœux de ses élus de bonne volonté – de prendre son billet qu’il justifie au travers d’un cahier de charges pléthoriques.
Sait-il seulement le donneur de conseil mais pas le payeur que dans ce cahier des charges pléthoriques, à chaque couche de complexité – sa complexité dont il est si fier – correspond une couche de prix ? C’est que les cabinets de consultants coûtent « un pognon de dingue » comme on dit au sommet de l’Etat, lequel montre l’exemple aux élus des 36 000 communes de France et Navarre. Et l’architecte, en bout de course, de se rendre compte plus souvent qu’à son tour que ces consultants ne sont le plus souvent guère utiles à la maîtrise d’ouvrage. Quand ils ne sont pas nuisibles.
Voyons par exemple les AMO BIM, qui sont les seuls à maîtriser, pour un salaire ou une prestation, … le BIM. Cette technologie, que la grande majorité des maîtrises d’ouvrage n’a pas la capacité d’exploiter, se retrouve dans une maquette qui finalement ne sert à rien. Voilà une mission non valorisée et qui ne rémunère que l’AMO, d’autant plus qu’il aura bien pris soin d’expliquer que sa présence ne saurait justifier une quelconque augmentation des honoraires de maîtrise d’œuvre. Ce qui ne l’empêche pas de poser ses exigences, de contrôler le travail de l’agence d’architecture et de laisser sa patte dans le coût final du bâtiment puisque ces consultants sans responsabilité sont payés rubis sur l’ongle.
De plus, chaque couche d’AMO a son propre effet boule de neige. Poursuivons avec le BIM, dont une maquette est exigée dès le concours. Du coup, il est également demandé six ou huit perspectives : « Grâce à la maquette BIM, ce n’est pas difficile, il suffit de poser la caméra », susurre doctement l’AMO BIM aux oreilles du maître d’ouvrage. Or le BIM n’a jamais fait une perspective ! Une perspective est un travail d’artiste qui coûte de 1 500 à 2 000 € pièce. S’il en faut dix pour un gymnase ou un groupe scolaire, le calcul est vite fait. Une vidéo ? 10 000 € la minute ! Quelques perspectives et une vidéo et la prime du concours est déjà engloutie. Et l’équipe de maîtrise d’œuvre dans tout ça… elle travaille pour la gloire ?
Un programmiste, pourquoi pas, mais une fois qu’il a délivré son programme à la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre a-t-elle vraiment besoin de quelqu’un d’autre qui ne soit pas déjà intégré dans son équipe ?
Ces AMO qui pullulent désormais avalent une part de plus en plus importante du budget de la maîtrise d’œuvre ; il n’y avait pourtant pas d’AMO dans l’œuvre de Viollet-Le-Duc, auteur de la flèche de Notre-Dame livrée à Paris circa 2030.
Plus largement, cette boulimie de consultants n’est que le reflet pour la maîtrise d’ouvrage d’une trouille de plus en plus panique d’assumer ses responsabilités. Ils et elles sont nombreux et nombreuses qui veulent bien être élus et élues mais qui tremblent devant un projet de 15 logements : est-ce que l’architecte ne va pas leur faire un enfant dans le dos ? Pour se rassurer de cette défiance irrationnelle, ils vont faire appel à une armée de consultants. D’aucuns savent que la France est le plus gros consommateur en Europe de tranquillisants. Les AMO sont les tranquillisants du maître d’ouvrage et plus il en a, mieux il espère dormir. CQFD !
Pas étonnant qu’à la fin, c’est tout juste si pour un projet de gymnase les AMO ne sont pas presque plus nombreux que les membres de l’équipe de maîtrise d’œuvre. De fait, pour la construction du moindre groupe scolaire ou médiathèque municipale, il y a aujourd’hui autour de la table autant de monde que sur un terrain de rugby, à la différence près que dans le sport il y a deux coachs pour 30 joueurs tandis que sur un projet, nous en serons bientôt à 30 coachs pour deux joueurs ! Si chaque projet doit inclure dans son budget des inactifs qui coûtent plus cher que les actifs, il ne faut pas s’étonner de l’augmentation inéluctable des coûts de construction !
D’autant que l’inflation d’AMO ajoute aussi de la temporalité, chacun ayant besoin de « temps », seule justification de ses honoraires. En conséquence, la constitution des dossiers de consultation prend bientôt plus de temps à établir qu’il n’en faut pour construire le bâtiment et, le temps politique n’étant pas extensible au-delà d’un mandat, le temps des études est devenu la variable d’ajustement de tout un processus où ceux qui produisent sont sous une pression de plus en plus pressante de gens qui ne produisent que du conseil.
Pour finir, sait-on combien d’opérations sont plantées à cause de l’AMO ? Le CHU de Nantes par exemple puisqu’il est acté que les architectes ne sont pour rien dans les déboires de ce projet prestigieux ? Et pourquoi, bouc émissaire facile, l’architecte lauréat d’un concours au budget illusoirement bas vendu par l’AMO à sa maîtrise d’ouvrage serait-il responsable du désastre ?
Christophe Leray