En dépit des vœux aussi durables que pieux des édiles, l’architecture de la seconde moitié du XXe siècle se trouve de plus en plus en péril. Florilège d’ouvrages dont les jours sont comptés.*
la Cité-Jardin de la Butte Rouge à Châtenay-Malabry (1931 et 1965 – Bassompierre, de Rutté, Arfvidson, Sirvin et Riousse).
Etat : en sursis
Chroniques s’est régulièrement fait l’écho de ce qui se joue actuellement dans cette banlieue du sud francilien. Depuis leur édification en différentes phases de 1931 à 1965, derrière les façades roses de ces petits immeubles, 3 700 logements très sociaux occupent les 70 hectares de jardins. Malgré sa labellisation « architecture contemporaine remarquable », le site est menacé par une opération privée de logements pas du tout sociaux ! Pour l’ANRU, il s’agit plutôt d’atomiser les regroupements de pauvres et pour la ville de réaliser une belle opération foncière sous couvert de mixité sociale. Devant ce flop annoncé, l’Etat, qui a son mot à dire, reste frileux. Pour la Butte-rouge tout n’est pas perdu.
Le Tripode de l’Insee à Malakoff (1974 – Denis Honegger et Serge Lana).
Etat : en sursis
Le Tripode situé porte de Malakoff, le long du périph’ parisien, se voyait bien fêter sa cinquième décennie avec un petit lifting. Hélas l’ouvrage signal est menacé par le plus féroce des prédateurs : l’Etat. Après avoir délocalisé en 2016 les statisticiens de l’Insee dans un immeuble flambant neuf de Montrouge conçu par ECDM (Emmanuel Combarel et Dominique Marrec) pour Les Nouveaux Constructeurs + AG Real Estate, c’est bien un super ministère de treize étages signé Jean-Paul Viguier qui devrait y voir le jour après la démolition des lieux.
La maire de Malakoff, Jacqueline Belhomme, d’abord favorable à la destruction-reconstruction, y voit désormais une aberration, la ville ayant engagé une procédure de modification de PLU pour permettre la bonne tenue du futur projet, également porté par Eiffage. Rien n’est encore joué puisqu’une nouvelle concertation citoyenne est à l’œuvre.
Le Mirail à Toulouse (années ’60 – Candilis, Josic et Woods).
Etat : en sursis.
Selon la notice de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, « en rupture totale avec l’esprit de la ville rose, cette grande opération prévoyait la construction de près de 25 000 logements. Le plan d’ensemble comprend cinq quartiers regroupant trois types d’habitations : des maisons individuelles, des immeubles bas et surtout de grands immeubles collectifs dont la continuité et les embranchements successifs déterminent les axes de croissance d’une ville proliférante. Ces immeubles sont dotés de coursives extérieures qui se voulaient de véritables rues suspendues, créant des lieux de rencontre et d’échange entre les habitants. Les appartements bénéficient d’au moins une loggia et de parois coulissantes pour se protéger du soleil ».
Depuis 2021, le site est menacé. Un collectif, dont Anne Lacaton, a demandé à la ministre de la Culture Rima Abdul Malak, dans la tribune Au Mirail, à Toulouse : le gâchis !, un moratoire sur les destructions actées par le projet de renouvellement urbain qui prévoit la démolition de 961 logements des immeubles Gluck, Grand d’Indy, Messager, Poulenc, et Cambert, et la reconstruction de 971 logements neufs, ainsi que 1 500 m² de nouveaux commerces, 3 000 m² de locaux d’activités et 3 500 m² d’équipements publics.
La synagogue de la rue Copernic à Paris XVIe (1924 – Marcel Lemarié).
Etat : en sursis.
Depuis la rue, rien n’indique que derrière la façade de la rue Copernic à Paris (XVIe arrondissement) se trouve un des seuls témoignages français de synagogue art déco, avec son vitrail jaune et bleu au plafond. L’édifice fut également la cible à deux reprises (en 1941 et 1980) de deux attentats, lui conférant également le statut de lieu de mémoire. Enfin, la synagogue est aussi l’un des rares lieux de cultes de la mouvance libérale juive, appartenant à l’Union libérale israélite de France (Ulif).
Pourtant, cette dernière cherche depuis sept ans à la démolir et l’agrandir pour lui donner plus de visibilité. Un projet est d’ailleurs en cours, avec l’agence Valode & Pistre, mais en arrêt depuis qu’une demande de permis de construire n’a pas abouti en 2021.
La Préfecture des Hauts-de-Seine de Nanterre (1973 – André Wogenscky).
Etat : à surveiller.
Elle a fêté ses 50 ans le 30 janvier 2023. En 1965, André Malraux alors ministre des Affaires culturelles, confie le projet de construction de la préfecture du nouveau département des Hauts-de-Seine à André Wogenscky, un fidèle de Le Corbusier. La nouvelle Cité administrative fut inaugurée le 30 janvier 1973.
Fidèle aux grands principes de l’architecture moderne, l’architecte développe à Nanterre une palette restreinte de couleurs et des rythmes puissants. L’édifice a été le lieu de nombreux tournages de films et de séries. Une œuvre architecturale signal aujourd’hui tremblante devant la consultation en cours visant la rénovation complète de l’ouvrage de 25 étages, l’objectif étant de diviser par quatre sa consommation énergétique.
Tour de Bretagne à Nantes (1976 – Devorsine).
Etat : à surveiller.
L’IGH nantais n’est plus que l’ombre de lui-même depuis qu’il a été vidé de ses occupants en 2020 après la découverte de poussière d’amiante dans le bâtiment de 144 mètres de haut. Devenu un des éléments forts du patrimoine local, il doit être dépecé, désamianté et rhabillé. Pour cela, huit agences presque labellisées ‘IGH Made in France’ (Ateliers 2/3/4/, Architecturestudio, Christian de Portzamparc, Dominique Perrault Architecture, Hubert & Roy Architectes, JBA et Urbanmaker, Nouvelle AOM et PCA-Stream) planchent actuellement sur un projet de réhabilitation très lourde visant à en changer jusqu’à la destination, puisqu’elle ne devrait plus accueillir de bureaux. Le projet ne devrait pas voir le jour avant 2027.
PSA Peugeot Citroën avenue de la Grande Armée à Paris XVIe (1966 – Louis, Luc et Thierry Sainsaulieu).
Etat : achevé.
Edifié en 1973, le bâtiment du 75 avenue de la Grande-Armée a abrité le siège historique de PSA Peugeot Citroën jusqu’en 2017. Avec sa façade de 110 mètres de long en module préfabriqués typique de l’époque, l’édifice de 33 500 m² possède également une vaste galerie vestige de l’ancien showroom. L’immeuble a été racheté en 2015 par Gecina, qui a commandé une restructuration lourde mais relativement respectueuse de l’icône, confiée à l’agence Baumschlager Erbele, qui touche à sa fin.
Selon la foncière, « le projet consiste à préserver les volumes existants. Le rez-de-chaussée devient une vaste nef de 1 500 m2 en triple hauteur qui crée des transparences entre la rue et les jardins. Constituée du béton poli préfabriqué d’origine, l’enveloppe extérieure est animée de nouvelles boîtes extrudées en métal de couleur bronze qui créent un motif dynamique grâce à leurs différentes profondeurs ».
Haus der Statistik, Alexanderplatz, Berlin-Mitte (fin des années ‘60). Etat : rescapé. En soins intensifs
La Haus der Statistik a été construite à la fin des années 1960 dans le centre-ville de Berlin. Elle a accueilli l’agence de statistiques de l’ancienne RDA. Le bâtiment, moderne et imposant, ne ressemble en rien aux constructions qui lui sont contemporaines. C’est après la chute du Mur que des rénovations ont eu lieu, afin que les gens puissent avoir accès à leurs dossiers de la Stasi. Les 45 000 m² restèrent en fonction jusqu’en 2008.
Le bâtiment vide depuis plus de dix ans, un projet porté par le gouvernement a entériné sa destruction. Grâce à la mobilisation du collectif ZusammenKUNFT, l’ouvrage sera finalement réhabilité pour accueillir des logements sociaux et des espaces de travail pour les arts, la culture et l’éducation, mais aussi la nouvelle mairie du quartier Mitte.
Léa Muller
*Lire notre article Du wokisme en architecture ?