L’agence parisienne Hérault-Arnod (Isabel Hérault et Yves Arnod) a livré à Laval (Mayenne) en juin 2021 pour le Conseil départemental de la Mayenne maître d’ouvrage, l’Espace Mayenne Arena sports et spectacles. Avec une surface de 15 100m² SDP (coût des travaux : 36 M€HT), l’ouvrage marie élégamment équipements scénographiques et sportifs, dont un vélodrome. Communiqué sous forme d’entretien.
Entretien avec Isabel Hérault et Yves Arnod. Propos recueillis par Françoise-Claire Prodhon, historienne de l’art
En quoi consistait le programme de l’espace Mayenne ?
Isabel Hérault : Il s’agissait de concevoir et réaliser un équipement multifonctionnel de type Arena comprenant trois salles : une salle de sport de 3.860 places assises convertible en salle de spectacle de 4450 places assises/debout ; un gymnase doté d’un mur d’escalade de niveau international de 16 mètres de haut par 44 mètres d’ouverture ; enfin, une salle de congrès de 500 places, ces trois salles pouvant fonctionner ensemble dans le cadre de foires, d’expositions, de congrès, etc.
S’ajoutent à ces salles des espaces annexes, notamment des salons partenaires conçus comme des salles modulables permettant de recevoir les invités pendant les matchs ou les spectacles, ainsi que des bureaux et des vestiaires. À l’extérieur du bâtiment un parking de 670 places, un espace paysager et un anneau cycliste de 250 mètres de long avec au centre une piste d’entraînement.
Quelle est la situation géographique de ce nouvel équipement par rapport à la ville ?
I.H. : L’espace Mayenne se trouve en lisière de Laval le long d’une rocade urbaine, le site était initialement en partie occupé par un terrain militaire et conservait des vestiges d’un patrimoine paysager que nous voulions préserver. Le bâtiment a été implanté en tenant compte des restes de l’ancienne structure bocagère, de grands chênes et d’une zone humide qui sert au tamponnage des eaux pluviales.
Comment avez-vous travaillé sur la conception du bâtiment, son plan ?
I.H. : Le plan du bâtiment est très compact, nous avons articulé les trois salles de la façon la plus efficace possible. Dans les interstices sont placés les vestiaires, les bureaux, les différents halls, les circulations. L’ensemble est enveloppé dans une façade courbe qui tient le bâtiment au plus proche des volumes utiles dans l’optique d’une économie du sol.
Ce bâtiment dont la façade s’enroule autour du volume évoque une forme assez organique…
Yves Arnod : Cette forme organique résulte de la conception du bâtiment, ce n’est pas un geste mais la conséquence d’un processus qui articule les trois salles sur un terrain qui a sa singularité. Le hall d’accueil vient se glisser sous le bâtiment, c’est un espace souple qui distribue les salles et offre une lisibilité immédiate des espaces. Deux niveaux de rez-de-chaussée permettent la gestion des différents flux, c’est une disposition que nous utilisons souvent dans nos projets de bâtiments sportif ou de spectacle. Le rez-de-chaussée haut est celui du public : on entre dans les salles par le haut, c’est une solution accueillante qui offre une perception globale de l’espace dès que l’on pénètre dans la salle, on est en surplomb, c’est un peu théâtral… Le rez-de-chaussée bas est celui des utilisateurs, des sportifs, il donne de l’autre côté sur la cour technique et sur tout ce qui est lié au fonctionnement. Les trois salles communiquent aussi bien par le niveau de l’entrée du public que par le bas, au niveau du parterre, et l’on peut passer de l’une à l’autre en permanence. Cela permet des utilisations simultanées dans le cadre de certaines manifestations ou évènements.
Nous ne sommes donc pas partis d’une forme a priori, mais de choix en termes d’organisation en plan et en coupe, et de relations avec le site et ses caractéristiques. Il y a notamment cette haie bocagère de chênes contre laquelle le bâtiment vient se lover. Lorsqu’on arrive du parking le bâtiment se découvre progressivement à travers ce cadre naturel, tandis que côté rocade il s’affirme plus imposant, à l’échelle du paysage et du territoire.
I.H. : C’est un bâtiment que l’on aborde en se déplaçant et dont la perception change constamment selon le point de vue.
Cette question du mouvement caractérise souvent vos projets, la plupart de vos réalisations ne se donnent pas à voir immédiatement, on les découvre en se déplaçant et en parcourant les espaces.
Y.A. : C’est une constante dans notre réflexion, je crois que nous n’aimons pas les approches frontales à travers lesquelles le bâtiment s’impose, nous pensons au contraire qu’un bâtiment doit s’appréhender dans le mouvement, que ce n’est pas une image statique. Cela vient peut-être du fait que nous avons réalisé un certain nombre de projets liés au sport et au spectacle, des lieux de vie, d’énergie, de mouvement. Le système à double rez-de-chaussée est également une récurrence dans nos projets.
I.H. : La question du mouvement et du rapport au corps définit l’extérieur, mais aussi l’intérieur du bâtiment.
À Laval, la perception du volume change constamment, elle est complètement différente selon le côté depuis lequel on regarde le bâtiment, bien que les matériaux soient constants et la palette réduite. À l’intérieur la composition génère le mouvement, les déplacements sont organisés en circuits et boucles, on se déplace de manière très fluide. La perception de l’espace varie selon le niveau auquel on se trouve, ou selon l’endroit où l’on se place dans les salles.
Revenons à la forme du bâtiment, à sa façade…
Y.A. : Nous voulions qu’il n’y ait pas vraiment de façade, pas de verticalité, c’est un volume avant d’être une façade. Et ce qui fait la caractéristique de ce volume, c’est qu’à certains points ce qui peut se considérer comme une façade devient couverture, ce qui induit des processus techniques particuliers. La peau qui sertit le bâtiment est constituée de trois bandes superposées qui partent du mur d’escalade en frontalité verticale et se déforment pour envelopper le volume au plus près. Ces trois rubans se superposent et tournent autour du bâtiment, générant fluidité, unité et mouvement.
I.H. : Nous avons travaillé ce projet selon le même processus en plan et en coupe. Chaque fois nous cherchons à dessiner l’ensemble en restant au plus près des volumes utiles nécessaires. La forme du bâtiment est le fruit d’un processus extrêmement rationnel. On a tendance à penser que le rectangle constitue la forme la plus rationnelle, mais si nous avions dû inclure toutes les fonctionnalités du projet dans un rectangle nous aurions perdu énormément de place !
Y.A. : Le bâtiment est constitué de trois organes majeurs qui sont les trois salles, chacune possédant ses contraintes propres. Nous travaillons selon un processus itératif, en déterminant des morphologies qui s’articulent les unes avec les autres. Dans la salle principale nous voulions, avec le scénographe, placer la scène sur le grand côté, ce qui présente l’avantage majeur de réduire la distance entre la scène et les spectateurs.
Concevoir une salle multifonctionnelle est très complexe notamment parce que les exigences acoustiques sont très fortes : il faut concilier les contraintes acoustiques d’une salle de spectacle, dans laquelle le son doit se répartir de façon homogène, avec les caractéristiques d’une salle de sport où le son est plus réverbérant.
Le sport implique un système d’arène avec des spectateurs installés tout autour, alors que le spectacle impose un système frontal. La salle principale articule ces deux configurations : le système en arène avec un balcon sur un des grands côtés introduit une dissymétrie, lors des spectacles la scène est montée en face, sur l’autre grand côté. Ainsi, en configuration « spectacle » la distance des spectateurs à la scène est réduite. Des rideaux en diagonale sont mis en place, transformant l’arène de la salle en trapèze qui s’évase à partir du cadre de scène. Un vaste gril technique est caché par le premier-plan de plafond, il permet une grande souplesse d’équipement et d’aménagements scéniques.
Le bâtiment s’articule autour d’un jeu entre le plein et le vide, l’intérieur et l’extérieur…
I.H. : On peut dire que c’est une position sur l’architecture qui nous caractérise, les formes que nous produisons sont en général le résultat d’un process qui passe sans arrêt de l’intérieur à l’extérieur dans une recherche d’efficacité, d’économie du volume et de la forme. Cela peut sembler paradoxal au regard les volumes que nous produisons, ils sont souvent particuliers mais résultent chaque fois de cette recherche d’optimisation.
Les volumes intérieurs sont toujours cohérents avec ce qui se perçoit de l’extérieur. Nous développons ce processus depuis le début de notre activité, en partant de l’usage, de l’articulation des espaces pour être le plus efficace possible, et d’une enveloppe qui tient tous ces « organes » au plus près. Si au début cette démarche était plus ou moins consciente, elle s’est imposée comme une constante que nous poussons à chaque fois un peu plus loin. Au-delà des modes et des modes de faire nous restons sur cette ligne que nous continuons à développer.
J’aimerais que nous abordions la question des matériaux avec lesquels vous aimez travailler, la manière dont vous jouez sur des contrastes subtils qui participent au ressenti ou à l’expérience du bâtiment, à l’intérieur comme à l’extérieur…
I.H. : Nous avons choisi de travailler avec un registre limité de matériaux. A l’extérieur la partie basse des façades, liée au sol, est en béton blanc brut, mat et rugueux, banché dans des coffrages en planches irrégulières ; en partie haute la peau métallique en aluminium de la coque, blanche également, vient en contraste avec le béton par sa légèreté et sa matière. Nous avons cherché à diviser cette forme irrégulière en éléments constants afin de rationaliser sa réalisation : la coque est découpée en trois bandes qui s’enroulent autour du bâtiment, elles-mêmes divisées en lanières en diagonale séparées par des T en aluminium extrudé équidistants. Entre ces profils sont posés des clins en aluminium avec un pli pour la rigidité mais aussi pour créer une texture changeante qui joue avec la lumière. Les clins sont laqués après pliage, perforés ou non selon leur position, et tous de la même dimension. Cette optimisation a été rendue possible par un travail très poussé sur la géométrie, en 3D.
Même principe à l’intérieur où nous avons réussi à travailler avec des matériaux bruts. Dans la grande salle, la conception des parois, qui alternent béton blanc brut et feutre de laine, découle d’un travail avec les acousticiens. Des zones d’absorption, de réverbération ou de mixité entre les deux ont été définies : béton brut ondulé pour répartir le son dans l’espace, bandes de béton alternant avec des bandes de feutre de laine (matériau que nous utilisons très souvent) pour les zones mixtes, feutre de laine tendu avec matelas acoustique à l’arrière pour les zones absorbantes, derrière les gradins. Pour le plafond nous avons conçu des panneaux de feutre de laine suspendus, ils forment une nappe au motif géométrique. Il y a deux couleurs de feutre : un blanc de la couleur du béton, et un gris brun naturel.
Les sols sont en béton surfacé teinté, noir dans les salles, gris clair dans le hall et les bureaux.
Y.A. : L’autre matière présente à l’intérieur est le bois, décliné de différentes manières. Les plafonds du hall, réalisés en tasseaux de bois ajourés pour l’acoustique, ont été entièrement modélisés en 3D et préfabriqués, posés par éléments pré-montés en atelier (on peut remercier l’entreprise qui a fait un énorme travail). Dans les salles les sièges sont en bois, le bois habille également des parties du mur d’escalade, les portes d’accès aux salles, les plafonds des parties publiques au niveau bas, etc.
I.H. : Ce registre volontairement réduit de matériaux et de couleurs assure une cohérence plastique globale et évite de surajouter des éléments qui pourraient brouiller les pistes, laissant ainsi toute leur force aux espaces.
Le programme en chiffres de l’Espace Mayenne
– Salle Mayenne : grande salle de sport et spectacle
– 3 860 places en configuration sport basket/tennis/volley ;
– 3 246 places en configuration sport handball ;
– 4 468 places en configuration sport boxe ;
– 4 450 places assis/debout en configuration spectacle
– Salle Pégase : gymnase polyvalent avec Structure Artificielle d’Escalade (SAE) pour compétitions internationales : 2 217 places en configuration escalade ; 700 à 1 000 places en configuration sport ;
– Salle de congrès 500 places ;
– Salons partenaires ;
– Bureaux : administration, loges artistes et salon-catering ;
– Espaces extérieurs, aires de jeux, parvis et parking 670 places ;
– Vélodrome : anneau cycliste de 250 m et piste d’entraînement.