À cause du Covid, nous avons pris l’habitude d’écouter de faux prophètes et des Cassandre à la petite semaine. En témoignent tous ces titres d’articles, au conditionnel, tous plus alarmistes les uns que les autres et rédigés de la sorte : « Si la courbe continue sur sa lancée, le pays pourrait compter plus de dix millions de contaminés dès la semaine prochaine » ou encore « À ce rythme-là, la France pourrait déplorer plus de 5 000 morts par jour dès après-demain ».
Vous croyez que j’exagère ? Ce titre, cité par Le Monde (4/01/22) : Omicron pourrait générer des variants plus dangereux, selon l’OMS. Brrr brrrrr…. Cette info, dans Le Monde encore (13/01/22) : « Des scénarios actualisés de l’Institut Pasteur précisent l’ampleur possible du pic à l’hôpital. Jusqu’à 5 200 personnes par jour pourraient être hospitalisées si la trajectoire actuelle ne s’infléchit pas, estiment les modélisateurs ». Brrr brrrr brrrr…
Des « modélisateurs » qui « précisent » l’ampleur « possible » ? Avec de tels scénarios, si on développait plus vite le programme spatial français, on pourrait aussi bien coloniser Mars pour se sauver tous et il pourrait même y avoir des places réservées pour les architectes – méthode des quotas. Ou, pour le dire plus benoîtement : si ma tante en avait, elle serait mon oncle !
Puisque le conditionnel est désormais de mise dans la gestion du pays et les articles des journaux sérieux, plutôt qu’une course à la peur panique, pourquoi ne pas l’utiliser au contraire pour rassurer les gens et les faire se sentir mieux ? Dans le domaine de l’architecture notamment qui nous concerne tous.
Par exemple, sachant que les Français, en 60 ans, ont grandi de 7 cm tandis que la hauteur des plafonds, sur la même période, a baissé de 27 cm, les autorités sanitaires – car il s’agit bien de santé quand il faut ne pas devenir fou – pourraient, quoiqu’il en coûte et sans attendre, imposer aux promoteurs et autres bailleurs de rehausser de 30 cm tous les plafonds des logements neufs. Certes, cela pose moult questions de rentabilité mais il faut bien commencer quelque part.
L’État pourrait par ailleurs mettre en place une politique de la forêt ambitieuse – c’est-à-dire à 100 ans puisque c’est exactement le temps qu’il faut à un arbre pour devenir centenaire –, le tout avec une biodiversité renforcée. Le pays pourrait ainsi, au fil du siècle qui vient, développer une ressource renouvelable que les architectes, par goût plutôt que contraints et forcés, pourraient utiliser avec toute la science et l’art qui sont les leurs. Le tout sans stress pour les animaux, les plantes et les hommes, sinon les actionnaires des gros comptes de l’industrie forestière à rentabilité de court terme. Certes, une telle politique ambitieuse ne se prête guère aux volontés impératives de réélection à court terme.
De fait, si l’État avait une idée précise de l’écologie nécessaire, il aurait déjà lancé un grand plan national de remise en œuvre des carrières, dont la France, assise sur un caillou de plusieurs kilomètres d’épaisseur, ne manque pas. Le pays pourrait ainsi préparer l’avenir en assurant pour les décennies qui viennent des emplois et des ressources locales que les architectes, par goût plutôt que contraints et forcés, pourraient utiliser avec toute la science et l’art qui sont les leurs.
Si encore une nouvelle réglementation ne tombait pas tous les quatre matins… Dans un cadre politique précis et avec des objectifs clairs d’intérêt général, comme l’architecture, nul doute qu’architectes, maîtres d’ouvrage, promoteurs et entreprises – oui, même les promoteurs et les entreprises – pourraient s’organiser dans les moyen et long termes de la continuité républicaine. La bataille pour des économies de bouts de chandelle n’en serait pas moins vive qu’aujourd’hui mais tout le monde irait dans le même sens. Mais comme les lois du gouvernement se suivent au rythme effréné des lobbies toujours plus gourmands et des intérêts électoraux du moment, comment blâmer chacun de se décourager et de ne plus se préoccuper que de son profit propre ?
En réalité, si les pouvoirs en place avaient le début d’une vision qui dépasse la prochaine échéance électorale et leur volonté bien compréhensible d’avoir une loi à leur nom – fût-elle idiote – la France pourrait se doter de milliers, que dis-je, de millions de logements bien construits, plus vite et moins chers. Demander à Fernand Pouillon ce qu’il en pense (ce qui ne nous rajeunit pas).
Puisqu’il est question de la responsabilité des élites pétries de certitudes, se souvenir avec une joie non dissimulée que, plutôt qu’un architecte, c’est un ancien ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, amateur d‘art hollandais, qui dort en prison. Puisque la situation de l’architecture est revenue aujourd’hui à celle qui prévalait dans les années ’50-70, si la justice française devait prendre pour habitude de mettre en cabane tous les acteurs corrompus du domaine du bâtiment, une seule prison n’y suffirait pas et le pays ne s’en porterait que mieux.
D’une part, avec la fin des cartels de la construction, le prix du logement neuf baisserait drastiquement de façon non mystérieuse tandis que, d’autre part, les architectes seraient sollicités pour construire pour ces VIP du système D bien français des prisons plus confortables que celles actuellement en usage. Un architecte star pour la prison des anciens potentats ? La France des Droits de l’homme pourrait s’en enorgueillir plutôt que de se voir systématiquement condamnée par la Cour européenne.
Bon, le système D, ça marche dans les deux sens. De fait, si des architectes cessaient de vendre des honoraires plutôt que des projets, le pays ne pourrait que s’en porter mieux également, architecturalement parlant.
Chacun en effet sait que pour nombre, sinon la majorité, des petits projets, disons ceux inférieurs à 2 M€ – une salle des fêtes, une crèche, un gymnase, etc. – le critère à 60% pour les honoraires est souvent rédhibitoire. Pour le coup, des architectes affamés présentent des notes d’intention ayant peu à voir avec le projet mais tout à faire avec une rémunération de leur travail très libérale mais de misère, qui correspond généralement à un projet miséreux, sinon misérable. Et, quand le CNOA a tenté de faire le ménage et d’imposer des barèmes, il a été condamné par la Cour d’appel de Paris le 15 octobre 2020 pour « pratiques anticoncurrentielles ».
Bref, au Far West, il faut beaucoup de conviction pour les petits élus de petites communes pour choisir un projet qui n’est pas le moins-disant. Il est en effet plus simple d’expliquer les économies réalisées avec des honoraires à 3% que de décrypter pour les membres du conseil – dentistes, vétérinaires et autres retraités de la Marine – les 146 pages du « Guide à l’intention des maîtres d’ouvrage publics pour la négociation des rémunérations de maîtrise d’œuvre » disponible sur le site de la Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques (MIQCP). Aussi, ce pourrait être pas mal qu’un magicien concerné décide que, en tout état de cause et quel que soit le type de concours, les honoraires de l’architecte ne peuvent pas compter pour plus de 5% des critères de sélection.
Hélas, à propos de critères et de concours, je me souviens d’une chronique de Michel Guerrin, rédacteur en chef au Monde, intitulée « Sans les architectes, le projet de loi ELAN ne répond qu’à une logique économique ». L’auteur s’inquiétait, sans utiliser le conditionnel, que le projet de loi Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) « ne risque de renouer avec les mauvaises pratiques des années 1950-1970 » justement. Le texte fut publié le 8 juin 2018. À le relire aujourd’hui, de constater que Michel Guerrin avait exactement prévu les effets délétères de cette loi qui, trois ans plus tard, n’est remise en cause par personne. Si une chronique dans Le Monde avait le pouvoir de faire réfléchir le pouvoir, chacun aujourd’hui pourrait se féliciter de l’attention portée par les rédacteurs de la loi à cet avertissement salutaire et l’architecture française n’en serait pas là.
D’ailleurs, même au conditionnel, aucun des candidats à la présidentielle ne semble se préoccuper d’architecture, laquelle ne concerne rien moins que chaque citoyen (et même tous ceux qui ne le sont pas) sans distinction de genre, de race, de religion ou de statut vaccinal. Si c’était le cas, les Français par millions pourraient alors assister à des débats politiques de haute volée tant, dès qu’il est question d’architecture, il est question de culture, de technique, de science, d’art, d’économie et d’une volonté, au travers de chaque bâtiment, de témoigner de l’élévation dans le temps d’une civilisation. Et chaque candidat et candidate, épaulé(e) d’un ou d’une architecte, de proposer alors sa vision d’un monde meilleur. Au conditionnel, ce pays gouverné par des gens avertis avec au cœur l’intérêt de la nation pourrait alors devenir quasiment merveilleux !
La preuve, Olivier Véran, ministre de la Santé, expliquait au JDD (02/01/22) que la cinquième vague du Covid « pourrait être la dernière ». Certes, à la cinquième, la vague n’est plus nouvelle, elle devient seulement de plus en plus vague. En route pour Mars donc !
Christophe Leray