Si la réalité dépasse souvent la fiction, c’est à partir de la réalité que le photographe Cyrille Weiner construit la fiction d’une communauté d’hommes confrontée à une catastrophe, une chronique – une rêverie ? – au caractère prémonitoire tant elle vibre d’une résonance particulière en 2020 au temps de la pandémie. Chronique-photos.
Je questionne l’appropriation des espaces, l’usage des lieux, en confrontant la planification des politiques et des urbanistes aux expériences individuelles, intimes, qui sont associés à ces lieux. C’est une manière d’interroger le partage du cadre de vie. La liberté aussi puisque je privilégie des espaces, des situations, qui souvent échappent encore à la norme et au plan.
Mes travaux abordent ces thèmes sur le mode documentaire, avec une fidélité au terrain préalable à l’échappée créative. La narration et la fiction s’immiscent progressivement par la présentation en séquences, la mise en relation des images et des imaginaires entre eux.
La démarche de la prise de vue est un processus dynamique qui se met en oeuvre, tel un scénario cinématographique, quand une image réalisée en appelle une autre que je m’efforce alors de produire dans le territoire que j’ai délimité. Ainsi naît une séquence.
Pour Le ban des utopies, projet transversal et évolutif initié en 2005, j’explore la narration en proposant une fable poétique, une collection d’images allégoriques, des métaphores où l’ambivalence de l’avant et de l’après et la porosité du dedans et du dehors troublent nos repères et nos certitudes.
A l’origine de la collection et de l’édition, il y a une trame fictionnelle : dans un monde d’avant / d’après une catastrophe, un monde en construction / en déconstruction, un groupe d’hommes – nomades contemporains – s’agrège, traverse des espaces hors du temps et des normes.
Ces hommes sont en quête d’une appropriation et d’un rassemblement possible là où nul ne les attend – sous une tente, une cabane, une autoroute désaffectée, une parcelle de lande qui s’étire…
La catastrophe qui plane est un état de société : solitude de groupe, consommation et rentabilisation de l’espace, destruction de l’environnement et des écosystemes … L’utopie est sous-jacente. L’errance est active.
Les photographies, issues de différents projets et séries, sont présentées hors contexte. La trame reste libre et c’est au lecteur de les relier entre elles et d’imaginer son histoire, d’être nomade dans sa lecture et son interprétation. A ce rapport aux images répond un rapport nomade à l’espace : initier une disponibilité à tous les coins de lieux et de non-lieux et dans les interstices délaissés, défricher et habiter le monde avec responsabilité.
Le ban des utopies exprime le rapport intime que j’entretiens avec les lieux et les situations traversés : recherche du sentiment de liberté, souvent dans les marges ou les friches, là où la norme n’est pas encore ou s’avère détournée ; là où l’espace s’étire et tombent les clôtures ; là où le moindre signe permet de projeter un ailleurs.
Cyrille Weiner
La fabrique du pré – Cyrille Weiner, Patrick Bouchain, Marguerite Pilven. Filigranes Editions
Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre – Cyrille Weiner. Editions Loco
Découvrir plus avant le travail le travail de Cyrille Weiner