Chaque année depuis douze ans, le classement par chiffres d’affaires des agences d’architecture françaises publié par le magazine D’A. donne le pouls de la profession. Il n’y a plus qu’à écouter ce qu’il dit de la santé des agences en 2021.
Chaque année, le magazine D’Architectures gratifie la profession d’un classement pour le moins pragmatique. Fiable comme un tableur Excel, le magazine aligne par ordre décroissant les chiffres d’affaires des agences d’architecture françaises. Pragmatique certes, mais à prendre avec quelques pincettes cependant, certaines structures refusant tout bonnement d’afficher leur bonne ou mauvaise situation. Par ailleurs, une seule condition pour en être : d’afficher un pouls de plus d’un million d’euros de chiffre d’affaires pour 2020. Ce qui ne donne rien de moins que 410 ateliers partout en France. En 2020, il y en avait 376, soit 34 de moins à franchir la barre symbolique du million. Est-ce à dire que la vie des agences d’architecture s’améliore ?
Chaque année donc, dans le numéro de décembre, à chacun de lire, décortiquer et analyser ce classement ou simplement se chercher dans la liste parmi les centaines et comparer les rangs occupés l’année précédente. A l’heure des prix tous azimuts, voilà une autre façon de se comparer et d’exister parmi tant d’autres. Mais un chiffre d’affaires, seul, peut-il suffire à se comparer ? Ne manque-t-il pas pour une meilleure analyse quelques données tout aussi pragmatiques, comme le nombre de salariés par exemple ?
La tradition est cependant définitivement ancrée dans les mœurs, avec quelques avantages dont celui d’offrir un panorama de la santé d’une profession souvent citée comme « en crise » et dont le modèle économique reste fort fragile. La lecture des chiffres publiés corrobore-t-elle cette impression quotidienne ?
Par ailleurs, quelles différences met en lumière le classement entre les agences du top 20 et celles en fin de classement ? Peut-on comparer des agences qui ont en leurs murs des architectes, des économistes ou encore des architectes d’intérieur quand d’autres ne représentent qu’une petite équipe de cinq ou six personnes ? Ces agences jouent-elles dans la même cour ?
Le classement 2021 rapporte les chiffres d’affaires des trois derniers exercices : 2018, 2019, 2020. De quoi pour les maîtres d’ouvrage faciliter la constitution des appels à candidature ! Or ce document doit être lu avec circonspection. La France compte en effet environ 11 000 agences d’architecture de statuts divers. Passer à la loupe 410 agences, est-ce regarder toute la profession ? Sans doute pas !
La 410e agence du classement confirme un chiffre d’affaires d’1M€ pour 2020. D’après son site internet, elle fait vivre une dizaine de personnes. Rien d’anodin quand l’Ordre annonce que 43% des architectes privilégient le travail libéral. De fait, le classement annuel passe au crible des chiffres les agences avec un fonctionnement déjà bien établi et des moyens déjà conséquents, excluant de fait les trop petites structures.
Si la majorité des agences présentes sont sans surprise grandes-parisiennes, pour autant, le classement confirme la présence d’agences régionales qui répondent depuis quelques années à un flux tendu de marchés de construction de toutes typologies : logements, bureaux, réhabilitation, friches, tours… Les paquebots Auvergne Rhône-Alpes, Occitanie ou encore de Nouvelle-Aquitaine sont ainsi bien représentés. Parmi eux, beaucoup d’ateliers inconnus affichent de beaux résultats, parfois même en augmentation. Leur nom et leur production sont pourtant, sauf à cette occasion, largement absents de la presse professionnelle.
De quoi aussi se souvenir qu’il existe une architecture un peu éloignée des problématiques métropolitaines et des projets de natures diverses. Aux côtés des professionnels du logement de ZAC et des concours internationaux se trouvent des agences spécialisées. Ici un atelier reconnu pour ses hôpitaux, un autre pour ses tramways, quand d’autres œuvrent sur de la logistique ou des incinérateurs. Noter d’ailleurs que si Arep, Groupe-6, AIA Life Designers ou encore Richez Associés figurent parmi les vingt premières agences, c’est peut-être que les projets de mobilité ou d’hospitalier restent les plus lucratifs.
Portons encore un regard nécessaire sur la trilogie des années publiées, puisqu’il s’agit du premier classement prenant en compte l’année 2020 en la posant simplement dans la continuité des précédentes. En 2019, une vaste majorité des agences annonçait des chiffres d’affaires en hausse par rapport à des résultats déjà plutôt bons l’année précédente. Que dire alors de 2020, année qui vit un arrêt brutal et total de toutes activités, des retards, des pénuries annoncées de matériaux, le trop long redémarrage des aciéries, une élection municipale, bref un climat plus que complexe ? Est-il logique de lire l’architecture en crise dans la presse professionnelle quand certains chiffres laissent imaginer le contraire ?
Pourtant, le constat est évident, si quelques agences ont bien sûr laissé des plumes cette année-là, la plupart confirment la bonne tenue des résultats précédents. Leur faut-il remercier le soutien de l’État ayant permis à ces PME de ne pas s’effondrer ?
À la lecture de ce classement, une question demeure. La livraison d’une architecture de qualité est-elle synonyme d’un chiffre d’affaires mirobolant ? Le postulat n’est pas neuf et pourtant, s’il devait être justifié, le classement annuel des agences d’architecture pourrait s’en faire le reflet. Une agence peut-elle proposer une architecture prospective, innovante ou du moins de qualité et afficher une santé de fer ? En observant la liste de 50 premières du classement, ce constat-là n’est pas si évident.
Quelques-unes utilisent les moyens qui sont les leurs pour investir dans la recherche et l’innovation, éditer des revues, proposer des expositions, mais là n’est pas la majorité. La plupart de ces ateliers réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires autrement que par la qualité affichée de leur production. Autrement dit, elles ne profitent pas d’une éventuelle notoriété pour porter avec elle un engagement fort sur la qualité architecturale. Dans les faits, très peu des associés des 50 premières agences se retrouvent dans les commissions sur la qualité urbaine ou encore l’amélioration des logements.
Paradoxalement, d’autres agences (au plus modeste résultat ?) ne figurent pas au classement malgré un palmarès reconnu bien au-delà de nos frontières. Point de Lacaton et Vassal (Pritzker 2021) ou de Pierre-Louis Falocci (dernier Grand Prix national d’architecture).
En architecture comme ailleurs, faut-il choisir entre qualité et quantité ?
Alice Delaleu