Le Canard Enchaîné du 28 juin 2022 dresse un état alarmiste du chantier de Notre-Dame, notamment quant aux délais assignés par l’Elysée au commando chargé d’en « superviser » l’avancement, sous la férule de Jean-Louis Georgelin, ancien chef d’Etat-major de la Grande muette. Principal problème, les bois constitutifs du « tabouret » sur lequel doivent reposer les 750 tonnes de la flèche, ne sont pas secs.
Faudra-t-il procéder à un nouveau prélèvement forestier, attendre le séchage réglementaire, au risque d’exploser les délais et de déplaire en haut lieu ? Autre casse-tête, les fouilles archéologiques ayant déjà découvert des vestiges du jubé gothique dans la croisée du transept, témoignant d’un état primitif de la cathédrale, ont aussi dévoilé l’existence de plusieurs sarcophages en plomb. Pas question de prolonger la fouille a tranché le généralissime qui a fait reboucher la tranchée.
L’épisode le plus pittoresque de ce chantier hors normes est la découverte, courant juin 2022, des méfaits « d’un déféqueur fou » qui, selon Le Canard, mène « une action de guérilla dans les douches et les vestiaires en les parsemant de gros et petits souvenirs ». Le journal satirique aime la litote. Il s’agit là, non d’un pilleur de tronc mais d’un poseur d’étrons. L’affaire est remontée jusqu’au général. Puisqu’il s’agit d’un crime de légitime décence, celui-ci serait fondé à faire tirer la chasse !
Avant d’en arriver là, il est permis de s’interroger sur le fondement (si l’on ose dire) d’une action que l’hebdo qualifie de « guérilla ». S’agit-il d’une réaction contre le caractère binaire des commodités, c’est-à-dire une revendication ‘wokiste’ en faveur de tinettes non genrées ? D’aucuns se souviennent qu’en fonction de l’effectif maximal présent simultanément sur un chantier, le Code du travail impose au minimum un cabinet et un urinoir pour 20 hommes, deux cabinets pour 20 femmes. Ces lieux d’aisances doivent être nettoyés et désinfectés au moins une fois par jour. Toutefois, aucun graffiti à ce jour n’accrédite cette hypothèse.
Peut-être s’agit-il alors, plus simplement, d’une rébellion critique et libertaire contre le projet même de restauration de la cathédrale ? Attitude semblable à celle décrite par l’écrivain Maurice Fombeurre dans « Les Godillots sont lourds… »), souvenirs de la « drôle de guerre » (septembre 1939 – juin 1940). Un soldat antimilitariste, accusé de poser une sentinelle chaque jour devant le carré des officiers, n’échappa au Conseil de guerre qu’en prétendant qu’il s’agissait du chien, mascotte de la compagnie !
Néanmoins, la distinction doit être faite entre l’hygiène et l’hygiénisme qu’un chercheur en sciences sociales définit comme « l’idéologie de la tornade blanche », avec ses relents moralistes et identitaires. Fini le temps où il suffisait de traverser la cour pour gagner ces lieux de paix et de méditation où chacun peut satisfaire des besoins, essentiels, faut-il le rappeler, à la bonne humeur et inhérents à la condition humaine.
Les frères Costes avaient inventé, au défunt Café des Halles, un monument libératoire et ondin. Mais la somptuosité lumineuse du mur fontaine attirait comme des mouches les antiphysiques et autres Charlus de la capitale, qui venaient y comparer leurs avantages, au grand dam des clients ordinaires.
Les gogues ? Les récits de Maupassant, les contes de Flaubert et les histoires des Goncourt sont pleins de leur fumet rustique, comme les tentures à Versailles, qui, selon Saint-Simon le philosophe, servaient aussi à aider la nature. Les cabinets dits « à la turque », et tout aussi bien « à l’auvergnate », conservés jalousement par économie ou passéisme dans quelques bars à vins, comme le Baron Rouge au marché d’Aligre à Paris (XIe), font la joie des touristes – c’est bon signe, la soupe sera bonne, l’aligot parfait. Sauf des Japonais, adeptes du jet d’eau tiède au lieu du papier. Un magasin à Paris, appelé Le Trône (rue d’Assas), vend ces raffinements asiatiques. Le japonisme ne se contente plus d’envahir nos assiettes !
Quelques lieux d’aisances sont protégés par l’administration des monuments historiques, comme les immenses urinoirs du Restaurant Goumard (ex-Prunier), rue Duphot à Paris (IIe) qu’appréciait le Général de Gaulle en raison de leur taille ; ceux aussi du Train Bleu, à la Gare de Lyon, où fut tourné Nikita de Luc Besson (1990) ouverts sur les quais : Salvador Dali se plaisait à y venir « pisser en regardant circuler les trains ».
Syrus
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