Pour que le logement social devienne un moteur de la reprise économique, il doit retrouver sa vocation d’utilité publique en se distinguant nettement de l’offre privée. Voici avec quels outils c’est possible. Tribune (2nde partie*).
Comment le logement social peut-il être un moteur de la reprise économique ?
Le logement social doit retrouver sa vocation d’utilité publique en se distinguant nettement de l’offre privée. Pour retrouver le sens perdu, il faut avoir une pleine conscience que le logement social peut recoudre des tissus urbains déstructurés, permettre de retrouver une sociabilité perdue en offrant des mixités typologiques et sociales et mettre fin à la mono fonctionnalité. Il peut devenir un outil de reconquête territoriale où des maîtres d’ouvrage éclairés, s’appuyant sur des architectes compétents et respectés dans leurs missions, auront à cœur de répondre à une mission à caractère public.
Avec quels outils ?
Les maîtres d’ouvrage sociaux doivent avoir le droit à l’innovation, qu’ils redeviennent le moteur du développement qualitatif du logement a contrario du secteur privé qui ne cherche que le bas de bilan. Innovations architecturales, spatiales, sociales, techniques, pour répondre aux attentes de nos concitoyens. Pour cela, il faut déréglementer le logement et fixer des objectifs de résultats. Exemple : coût annuel d’énergie au m² habitable, nombre de logements adaptés ou adaptables au PMR sur leur parc, absence d’obligation de place de stationnement ou mutualisation de ces dernières, locaux communs, espaces de partage, etc.
Ainsi, suivant la situation géographique, la connaissance du tissu social, les bailleurs pourront adapter leur réponse pour les insérer finement dans leur environnement. Cela signifie également être à l’écoute de la filière bâtiment et mettre en œuvre des techniques localement usitées en retrouvant l’environnement de la construction dans son terroir et ainsi faire fonctionner les clusters locaux.
Les maîtres d’ouvrage sociaux doivent pouvoir accéder au foncier à des prix compatibles avec leur destination publique. Pour cela, les collectivités locales doivent, dans chaque bassin de vie significatif, former des établissements publics fonciers. Ces derniers auraient plusieurs objectifs : réguler le foncier, comme cela existe dans certains territoires, dans les zones tendues, mais aussi permettre des acquisitions par la préemption dans les bourgs et villages, évitant ainsi l’étalement urbain par les lotissements, la consommation de terres agricoles et ses conséquences en termes d’écologie.
Les maîtres d’ouvrage sociaux doivent pouvoir bénéficier d’une autonomie dans leur gestion et aussi dans leur objectif de construction. Pour cela, la tutelle de l’Etat ne doit plus s’exercer opération par opération mais par agréments annuels comme cela a déjà existé, un temps considérable serait ainsi trouvé, cela à l’échelle du SCoT.
Pour limiter la concentration de constructions à la périphérie des agglomérations, il faut donner la possibilité de construire dans les zones rurales, or ces dernières sont en zone C, ce qui implique une base de loyer de 20 % moins élevée que dans les autres zones, alors que le coût de construction est le même !!! D’où les difficultés pour revitaliser ces territoires.
Pour répondre à cette question et limiter les effets réglementaires, deux possibilités sont envisageables : une bonification des prêts de 0,20 % (CDC) et une source publique de fonds propres à hauteur de 10 %.
L’isolation thermique n’est aujourd’hui abordée que par un seul et unique dogme « l’encapsulage » au détriment des pratiques sociales, voire sanitaires, de ventilation de son logement. Réhabilitation technique qui n’aborde pas les questions de la ville, de l’urbanisme, de la plurifonctionnalité, de sociabilité, etc.
Pour rester sur ce champ thermique, le constat s’impose que le parc ancien des logements représente un gouffre, source de consommation d’énergie, de pollution atmosphérique et d’un coût de charges important pour les locataires les plus démunis.
Le financement de la réhabilitation/isolation du parc ancien doit être totalement revu. Comme dans la construction neuve, les bailleurs doivent bénéficier du droit à l’innovation, l’ensemble étant encadré par un contrat d’objectifs, notamment par la consommation d’énergie/année/logement. A cet effet, plutôt que de travailler sur les effets, travailler sur la cause, c’est-à-dire équiper les toitures de panneaux photovoltaïques pour réduire les charges communes de l’immeuble et si la surface le permet, ainsi que l’assouplissement du monopole de ENEDIS, produire une énergie propre et bon marché pour les locataires.
Le contrat d’objectifs est l’occasion pour s’interroger sur le sens de l’investissement. La réduction des pollutions et des charges des locataires sont certes des objectifs premiers mais ce contrat, pour faire sens, doit s’accompagner aussi d’un projet social : jardins partagés, bourses d’échanges et de services, espaces partagés, intergénérationnel, etc.
Pour que le logement social devienne le ferment d’un aménagement de territoire résilient, il doit bien sûr répondre d’un point de vue urbain, architectural et technique aux nouveaux besoins. Il doit également accompagner le locataire dans son parcours résidentiel pour accéder à la propriété et permettre des modes de construction singuliers tels l’auto-construction ou la co-construction ou co-réhabilitation, etc.
Enfin, pour clore ce chapitre des outils destinés à une politique dynamique d’aménagement du territoire au travers du logement social, il peut être évoqué un taux de T.V.A. généralisé à 5,5 %.
L’ensemble de ces outils a pour objectif de donner de l’air et des moyens aux organismes. En contrepartie, ces derniers doivent retrouver leurs savoir-faire, leurs compétences, étoffer leurs équipes pour faire de la conduite d’opération de construction, de réhabilitation, d’aménagement, des programmations éclairées en partenariat avec les élus, les urbanistes, architectes, locataires.
Pour cela, les achats de logements en VEFA (Vente en Etat de Futur Achèvement) doivent être réellement limités. Pourquoi ? Parce qu’ils font abstraction des savoir-faire, des réflexions, des bailleurs sociaux. Parce qu’ils génèrent des logements exigus, mal construits, mal intégrés dans leur environnement après avoir été réalisés par dumping sur toute la chaîne de la construction et de l’ingénierie. Parce que la VEFA revient à considérer le logement comme un produit de consommation banalisant les pratiques entre public et privé. Enfin, parce que les ventes en VEFA sont en très large majorité effectuées en périphérie des agglomérations et ignorent les territoires ruraux et les centres-villes.
Pour retrouver une chaîne économique de production, une forme de circuit court, propre à un territoire, un bailleur social, en porosité avec son environnement, à l’écoute des besoins, pourra apporter des réponses fines et circonstanciées en développant des emplois et en alimentant les clusters locaux des filières bâtiment et ingénierie.
A titre de conclusion provisoire
Nous sommes à un moment très particulier, sans doute à la fin d’un cycle de pratiques et d’habitudes. Si chacun d’entre nous dépasse l’approche dogmatique qui peut être faite du logement social pour s’attacher uniquement à l’outil que cela peut représenter pour l’aménagement du territoire et pour les plus démunis, nous sommes devant un champ de développement extrêmement important et positif.
Il faut, pour cela, que le législateur prenne la mesure de l’enjeu économique, social et environnemental, l’on doit retrouver deux logiques répondant à des besoins différents.
Pour le logement privé, les défiscalisations doivent être conditionnées au respect des règles, d’équilibre typologique, d’adéquation par rapport à la situation géographique, de qualité et pérennité de l’ouvrage, de gestion, parce que construire du logement privé est aussi d’utilité publique (Loi sur l’Architecture), par son urbanisme, son architecture et pas seulement un produit financier ou commercial.
Pour le logement social, les bailleurs doivent disposer de moyens économiques et d’une liberté technique formalisés par des contrats d’objectifs. Les effets induits seraient nombreux et répartis sur l’ensemble du territoire.
Le traitement thermique du logement collectif doit faire sa révolution copernicienne et ne plus mettre les effets avec les causes. Comment réduire les pollutions, le bilan carbone lié à ces bâtiments passoires, sans aucun doute, en jouant sur l’énergie concomitamment avec l’isolation thermique.
Mais comme beaucoup de bâtiments concernés sont les grands ensembles d’hier, la question ne peut se limiter, pour ces derniers, à leur isolation thermique, voire même à une énergie vertueuse, parce que si ces ensembles sont loin de l’emploi, des services publics, du commerce et des transports en commun, c’est autant de véhicules privés qui seront nécessaires avec leurs lots de pollutions. La question doit donc être élargie à la mixité fonctionnelle à l’organisation de ces quartiers de la ville. On notera, par ailleurs, que cette thématique est totalement absente du parc privé.
Enfin, le logement neuf doit redevenir un laboratoire de la modernité, de perception, des tendances sociales, des évolutions de la cellule familiale, de la façon de vivre, de l’enracinement dans un territoire.
La crise économique, écologique et sociale nécessite une réflexion commune de l’ensemble des acteurs sur l’évolution du logement. Il s’agit d’un enjeu sociétal où les lobbies, les postures n’ont plus cours devant la nécessité impérieuse de la transformation.
Le ministre* en charge du logement est placé auprès de la ministre de la cohésion du territoire, preuve, s’il en est, que le logement est un outil de l’aménagement et de la cohésion des territoires, c’est donc bien le lieu pour organiser un Ségur du logement où tous les aspects seront examinés en toute liberté.
Jean-Michel Jacquet
Architecte/Urbaniste
Lire la première partie : Le logement social acteur de la relance économique ?
*Texte écrit avant le remaniement du gouvernement. Depuis le 6 juillet 2020, Emmanuelle Wargon est ministre déléguée au Logement, ministère désormais rattaché au ministère de la transition écologique. Ce qui ne change rien au point de Jean-Michel Jacquet. Nde.