Au fil du temps, des dossiers sont ouverts, parfois sur des sujets périphériques ou ardus, avec l’idée qu’il y a là peut-être matière à creuser. Et puis le temps passe et quelques-uns de ces dossiers n’atteignent jamais le haut de la pile, question de priorité. En témoignent ces cinq éditos auxquels vous avez (presque) échappé en 2024.
Nouveaux métiers de l’architecture, nouveaux débouchés
Cet article dans le Midi Libre (11/10/2024) avec ce titre intrigant Diplômé en architecture, comment Jaafar Fanchi apporte sa pierre à l’édifice de la rénovation urbaine de la Paillade.
L’article explique que, « avec son association « Laboratoire urbain », le jeune diplômé réinvestit l’espace public du côté du Grand mail. Il occupe aussi le poste de « crieur urbain » pour chasser les rumeurs autour de la rénovation urbaine ».
Crieur urbain ?
Diplômé depuis trois ans, en sus de ses activités associatives, le jeune homme occupe donc aussi, deux fois par mois, pour le compte de la Métropole, un job de « crieur urbain ». « Je pars de phrases entendues chez les habitants pour dissiper des rumeurs autour du projet de rénovation urbaine. On a fait venir des échassiers et même un griot aux Halles pour créer des événements artistiques ».
Crieur urbain, nouveau métier et nouveau débouché de l’architecture ? Nous aurions bien aimé discuter avec ce sympathique personnage aux superbes intentions. Il nous aurait sans doute dit tout le bien qu’il pense de ses études et de ces nouveaux métiers dont il est pionnier. Prochain projet à l’école d’architecture, la construction de sémaphores ? Pour dissiper les rumeurs ?
Et puis le temps a passé.
« Our Water », au Palais Brongniart
Etrange évènement que celui titré « Our Water », une initiative mise en place par la ville de Shanghai visant « à renforcer le dialogue entre métropoles mondiales sur les enjeux de l’art de vivre urbain au bord de l’eau et à créer de nouvelles coopérations », indiquait la brochure. La saison inaugurale – qui sait s’il y en aura d’autres – s’est ouverte à Paris le 18 avril 2024 au Palais Brongniart avec un forum thématique réunissant « des personnalités éminentes des sciences humaines, des arts et de l’économie, ainsi que des représentants d’entreprises chinoises et françaises ». Fichtre !
Pourquoi Paris et Shanghai ? Parce que, figurez-vous, les deux villes ont en commun d’être traversées par un cours d’eau, ce qui les réunit sur cette « plateforme d’échanges interculturels autour de la gestion durable des fleuves et des rivières et de l’art de vivre au bord de l’eau ». Tout un programme.
Parmi l’inondation polie de ‘soft power’, quelques intervenants ne manquaient pas de qualités. Citons notamment Martin Robain, présenté comme Président de l’Académie d’architecture de France, plan directeur de l’Expo 2010 Shanghai, qui est intervenu sur le thème « Comment les Jeux Olympiques peuvent-ils animer la Seine et Paris ? », ou encore Wu Jiang, professeur à la Faculté d’architecture et d’urbanisme de
L’Université de Tongji, membre de l’Académie d’Architecture de France qui, sur le thème « Rivières et fleuves : un héritage historique tourné vers l’avenir » a remarquablement décrit les mécanismes de développement de la mégapole chinoise autour de son fleuve, le Huangpu, et de la rivière Suzhou.
L’idéal aurait été de faire une synthèse de cette intrigante après-midi, d’en décrypter les intentions au-delà de celles évidente de ‘soft power’ autour de thèmes fédérateurs. Peut-être y a-t-il en effet pour Paris des idées à aller chercher à Shanghai quant à la gestion du fleuve ?
Et puis, le temps a passé.
Barber shop
Cet été, j’ai visité Knoxville, dans le Tennessee, USA, une petite ville à l’échelle des États-Unis et j’ai été vite frappé par la multitude de maisons victoriennes partout en ville, en l’occurrence toutes particulièrement colorées. Ces maisons victoriennes sont partout dans le Sud des États-Unis, de la Virginie à la Louisiane, jusqu’en Californie et à peu près partout dans le pays en fait. Chacun de nous en Europe ou en Asie convoque immédiatement une image assez précise à l’évocation des mots « maison victorienne ». Pour autant, à Knoxville, il y en a vraiment à foison !
Mon intuition sera bientôt confirmée : Knoxville abrite la plus grande concentration de maisons victoriennes du pays ! Qui plus est, tenez-vous bien, la plupart ont été conçues par un seul architecte : George Franklin Barber ! De fait, le natif de DeKalb, Illinois, mais mort à Knoxville, est sans conteste le plus prolifique constructeur de maisons victoriennes DANS LE MONDE ! À jamais !
Voici comment il a fait. George Franklin Barber (1854–1915) est le premier architecte américain à commercialiser – dans le monde entier ! – ses plans de maisons par le biais de catalogues de vente par correspondance. Lesquels plans ont été utilisés pour des maisons dans les 50 états américains et dans des pays aussi éloignés que le Japon et les Philippines, et la France bien sûr. Plus de quatre douzaines de maisons Barber sont individuellement classées monuments historiques et plusieurs dizaines d’autres sont répertoriées dans le cadre de districts historiques rien qu’aux États-Unis. Sans compter toutes celles qui sont encore habitées.
Comme de juste, George Franklin Barber est aussi connu aujourd’hui pour avoir été à son époque l’un des architectes résidentiels les plus prospères du pays.
Un architecte prospère ? Auteur de dizaines d’oeuvres classées qu’il n’a jamais vues ? Des maisons construites en bois et durables, d’évidence, puisque seules leurs dimensions semblent anachroniques aujourd’hui à des yeux européens.
J’ai d’abord pensé écrire un portrait de cet architecte entreprenant, de tenter de retrouver peut-être en France l’une de ses maisons, puis peut-être d’établir un parallèle avec les maisons individuelles, d’architectes ou non, construites chez nous en 2024. Je ne sais pas ce que j’aurais trouvé…
Mais le temps a passé.
Start-up architecture à la Cité du Patrimoine
Le 19 avril 2024, sur proposition de Rachida Dati, ministre de la Culture, le Président de la République a nommé M. Julien Bargeton, président de l’Etablissement public industriel et commercial Cité de l’architecture et du patrimoine.
La Cité de l’architecture et du patrimoine, Place du Trocadéro à Paris (XVIe), déjà connue depuis des années comme un phare de la culture architecturale mondiale, sera bientôt même en avance sur son temps.
C’est le vœu de son nouveau président qui, le 7 mai 2024 dans son discours de passation de présidence, évoquait notamment« la réalité virtuelle, la modélisation 3D, l’intelligence artificielle » et, « dans le même temps » (je cite), « l’essor fulgurant des jeux vidéo, des espaces immersifs et du métavers [qui] bouleverse notre rapport au monde ».
Pour faire face à ces évolutions d’avenir, Julien Bargeton, estime que « la Cité doit devenir un fer de lance de l’architecture augmentée, utiliser des lieux du monde réel pour ouvrir la porte à des expériences immersives et pédagogiques inédites où notre réalité est le cadre au déploiement d’un environnement virtuel. Contrairement à la réalité virtuelle qui nous plonge entièrement dans un monde artificiel, la réalité augmentée superpose des informations virtuelles à notre réalité physique. Elle offre ainsi un formidable potentiel pour enrichir notre perception du monde et nous reconnecter à notre patrimoine architectural. Sur ce point majeur pour la profession (c’est moi qui souligne. nda) la Cité peut jouer un rôle de catalyseur pour l’innovation en accueillant des start-ups et des acteurs innovants qui développent des solutions pour faire avancer le champ de l’architecture et du patrimoine ». Ouf !
« architecture augmentée », « expériences immersives », « informations virtuelles » « start-ups »… S’il restera un endroit à Paris pour défendre le métavers, ce serait donc la Cité du Patrimoine et de l’architecture ? La curiosité invitait d’approfondir ces concepts innovants.
Et puis le temps a passé et Vulcain ex-Jupiter a fait un sort à la start-up nation.
Quelque chose de trop plein dans le Tennessee
À l’heure de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, un dernier coup de l’étrier dans le Tennessee, pour la route.
Cet été donc, à Crossville, juste entre Nashville et Knoxville, sur l’autoroute I 40, arrêt à Buc-ee’s « The Texas Mega Gas Station ». En français, les mots manquent pour décrire une telle station-service et le mot grec mega ne remplit qu’imparfaitement cette fonction.
À Clute, Texas, au milieu de nulle part, Buc-ee’s, fondée en 1982, était à l’origine une station-service devenue célèbre pour la propreté de ses toilettes et ses glaces bon marché. Ce qui en dit long sur l’appétit des Texans et la qualité moyenne de leurs toilettes s’il faut chez eux aller à la station-service pour se laver les mains. Quoi qu’il en soit, cette particularité apparemment saugrenue en a fait un lieu de prédilection pour les voyageurs et routiers affranchis. Le Buc-ee’s texan original reste d’ailleurs officieusement connue comme la station-service dotée des toilettes les plus grandes et les plus propres du pays. Le bouche à oreille a fait la différence, c’est devenu une chaîne.
En 2024, la station située exactement à mi-chemin entre Nashville et Knoxville donc, sur l’autoroute I 40 dans un paysage bucolique, est annoncée des kilomètres à l’avance. Les touristes ne peuvent pas se tromper. De se garer alors sur le parking aux 10 000 places d’une immense station-service, des pompes à essence par dizaines, à perte de vue. Rejoindre ensuite le supermarché de la taille des Galeries Lafayette. Après quelques dizaines de minutes de marche, pris de vertige, faire une pause. Des clients par centaines, qui viennent de loin pour l’expérience en « dinauroscope ». Pourtant l’essence n’est même pas moins chère qu’ailleurs mais les toilettes sont propres et surdimensionnées jusqu’à l’écoeurement. C’est juste le gigantisme qui impressionne et effraie et, finalement, incite à la curiosité.
Puisque cela existe, c’est à voir donc une fois dans sa vie, comme de formidables pyramides dédiées au consumérisme le plus débridé. En attendant Buc-ee’s sur Mars ?
Après la visite abasourdissante, le plein fait pour deux fois moins cher qu’à Bourges, je suis reparti en me disais : quelle histoire à raconter aux Français en général, aux Parisiens en particulier !
Puis le temps a passé et, juste avant les élections américaines, je n’étais pas sûr que c’est ce que les Français en général, les Parisiens en particulier, avaient envie d’entendre.
Christophe Leray