Un courrier reçu de l’Assemblée nationale, avec logo du Palais Bourbon, porte toujours avec lui un poids symbolique, y compris pour les architectes. Mais, à l’égard des architectes justement, n’y aurait-il donc pas de limite à la désinvolture des élus de la nation ?
Il est question d’un concours restreint de maîtrise d’œuvre pour la restructuration des espaces d’accueil du public et création d’espaces de médiation au Palais Bourbon. S’il est un concours républicain prestigieux apte à enflammer l’imagination des architectes…
La date limite pour s’inscrire était le 14 novembre 2023. Coût travaux : 35,60 M€ TTC. Montant de la prime : 280 000 €.
Début février 2024, l’Assemblée nationale a retenu quatre agences finalistes, soit, par ordre alphabétique : Bernard Desmoulin, Moatti-Rivière SAS, Atelier Philippe Prost, SRA. Chaque agence à bon droit, sans question.
Ne restait à la maîtrise d’ouvrage qu’à prévenir les impétrants malheureux. Ce qui sera fait par courrier daté du 7 février 2024 et signé de Sophie Debail, cheffe de la division. En témoigne ce courrier parvenu à la rédaction.
Assemblée nationale
Direction des achats et des finances
Division des achats et de la commande publique
7 février 2024
Madame, Monsieur,
J’ai le regret de vous informer que, après avoir pris connaissance de l’avis motivé du jury, rendu dans les conditions prévues à l’article 10.3 du règlement du concours, Mme. et MM. Les Questeurs n’ont pas retenu votre candidature pour le Concours restreint de maîtrise d’œuvre pour la restructuration des espaces d’accueil du public et création d’espaces de médiation au Palais Bourbon.
Jusque-là tout est normal, c’est la vie des architectes.
Au vu des critères de sélection fixés à l’article 10.2 du règlement du concours, les éléments caractérisant la candidature du groupement dont vous êtes mandataire n’ont en effet pas permis de retenir votre candidature, en raison notamment du fait que :
– La qualité technique professionnelle du groupement est apparue insuffisante au regard des exigences attendues.
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Des branques ces architectes ?
Attendez une minute ! Dans le groupement en question il y a quatre académiciens, section architecture, deux Grand Prix National d’architecture, accompagnés d’agences variées ayant pignon sur rue et, pour la technique, de l’acoustique à la lumière en passant par la scénographie, entre autres, ne compter que des hommes et femmes de l’art dont la réputation n’est plus à faire dans le pays, et dans le monde, compétences et références à foison.
Pour autant, aux yeux du jury motivé, la « qualité technique professionnelle » de tous ces gens-là « est apparue insuffisante au regard des exigences attendues » ? C’est quoi le message ? Allez jouer aux billes ?
Ou alors, de quelles « exigences attendues » peut-il bien s’agir ? Que les aménagements du Palais Bourbon soient réversibles sur la lune ? Même ce critère ne pourrait pas en l’occurrence désavouer cette équipe.
Pourtant, à lire la missive, de constater que le regret de l’incompétence n’est que « notamment en raison du fait… » Notamment ? Quelles sont donc les autres tares innommables de cette équipe multi primée ? Le manque de parité ? L’âge du capitaine ? L’âge du mousse ?
Au moins Bernard Desmoulin, Moatti-Rivière SAS, Atelier Philippe Prost et SRA sont-ils rassurés sur leurs qualités professionnelles. Encore que les trois qui ne passeront pas le cap ont intérêt à compter leur abattis avant d’aller à la boîte aux lettres.
Déjà que de se voir éliminé d’un tel concours n’est jamais plaisant, pourquoi une telle justification impudente ? Qu’il y ait une justification, est-ce déjà nécessaire ? Mettons que cela permet d’anticiper les recours des grincheux ; de fait, le courrier précise en post-scriptum que « cette décision est susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux dans un délai de deux mois… Etc. » C’est dire !
Bref, si justification il doit y avoir, plutôt qu’à l’intelligence artificielle, peut-être faut-il commencer par s’en remettre à l’intelligence tout court : les architectes comprendront. Mais de là à leur expliquer qu’ils sont nazes…
En effet, la question demeure : pourquoi tant de haine, pourquoi les humilier ainsi, l’insulte dûment autographiée par la cheffe de service ? En l’occurrence les membres de ce groupement ont le cuir épais mais si tous les architectes ayant pris le temps de monter une équipe – et d’y croire jusqu’au bout, sinon ce n’est pas la peine – se font ainsi envoyer valdinguer chez les indésirables, que cela signifie-t-il quand le maître d’ouvrage est, quand même, l’Assemblée nationale ?
Irresponsabilité ou sottise, comment est-il possible que quiconque écrive une telle phrase dans de telles circonstances ? D’évidence, ce ne peut pas être le fait d’une intelligence humaine !
À moins qu’il ne s’agisse évidemment d’un courrier standard algorithmé, l’Assemblée nationale estimant que tous ceux qui ne sont pas retenus lors des marchés publics, tous les seconds et troisièmes de cordée, sont tout simplement courts de qualités techniques et professionnelles.
Ou chaque courrier est en effet personnalisé et le manque de technique et de professionnalisme des architectes de ce groupement est effectivement ce qu’a estimé le jury. Lequel est alors sans aucun doute composé d’infiltrés de la planète Zorg ! Le grand remplacement par des extraterrestres aurait-il déjà commencé à l’Assemblée nationale ?
Christophe Leray