Le 15 juin 2021, la Cour des comptes a rendu sur demande du Premier ministre un rapport « Pour une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise, concilier soutien à l’activité et soutenabilité » *. Sur 208 pages, cinq sont consacrées au logement, surtout et avant tout le logement social. Sous ses couverts comptables, le rapport de la Cour propose bien un retour à l’austérité. En effet, il enjoint au logement social de n’accueillir que les plus précaires et, ainsi, de mettre un terme à la mixité sociale.
La logique semble purement comptable. L’introduction du rapport donne le ton : « En 2019, la France a consacré 38,5 Md€, soit 1,6 % de son PIB, en faveur du logement, soit plus du double de la moyenne des pays de l’Union européenne. En dépit de cet effort public important, la dépense moyenne de logement des ménages français demeure aussi plus élevée que dans les autres pays (26,2 % du revenu en 2019 contre 23,5 % en moyenne UE). La part des dépenses contraintes dans le revenu des ménages est ainsi passée de 12 % dans les années 1960 à 29 % en 2019. Cela résulte essentiellement du logement : c’est aujourd’hui le premier poste de dépenses pour les ménages modestes. Plusieurs études soulignent en outre que le coût du logement et de l’immobilier en général est devenu en France un frein à la compétitivité, notamment en comparaison de l’Allemagne ».
Si le constat est clair, la cour donne deux raisons à cette évolution : le manque de construction neuve, et le logement social qui ne répond plus aux besoins des plus précaires.
Pour sortir de ce marasme, il faut estime la Cour que les politiques locales soient élaborées… localement mais « l’État doit définir de manière plus claire les objectifs et stratégies de la politique du logement et s’assurer de leur mise en œuvre effective ».
Il est vrai que la décentralisation contrôlée depuis Paris ne risque pas de changer grand-chose à ce qui se fait déjà. La chute des permis sur un an est de 15%, entre la crise sanitaire et les élections municipales, le logement est durement touché,** mais pas encore totalement coulé. La question des avantages fiscaux est posée mais nulle proposition claire à ce sujet.
Autre solution des magistrats, recentrer le logement social sur les plus précaires en mettant un terme à la mixité sociale et offrir des baux en CDD dans les zones tendues afin d’accroître la mobilité du parc locatif sociale. Bref, refaire des ghettos.
Le Royaume-Uni est d’évidence un modèle pour la Cour de comptes. En effet, nos voisins d’Outre-Manche connaissent également une crise massive du logement, le stock de logement sociaux ayant drastiquement diminué lors du transfert de ces logements des collectivités vers des associations dédiées accueillant les plus précaires. La constante baisse des moyens de ces associations a pour corollaire une construction de logements sociaux également en constante diminution.
Il est difficile donc de penser que les mesures libérales prises par les différents gouvernements britanniques au cours des vingt dernières années aient permis une amélioration du parc.
Le rapport des Sages évoque le fait que le logement est le premier poste des dépenses pour les ménages mais n’entre pas dans les détails. Dommage car, en France, 70% des ménages sont éligibles au logement social, lequel ne représente que… 17% du parc. Dit autrement, cela signifie que le parc privé est donc un parc social de fait et que les ménages susceptibles d’accéder au logement social sont en fait logés dans le parc privé. Sur ce parc social-là, le rapport ne dit rien. Et les sages de ne pas relever qu’en vingt ans les prix de l’immobilier ont quasiment doublé mais pas les revenus. Comment s’étonner ensuite que les parcours résidentiels soient bloqués et que les inégalités s’accroissent entre générations.
La Cour de compte ne propose que des cautères sur une jambe de bois. Dans les grandes villes, toujours attractives, sortir du logement social est impossible tant les loyers sont trop élevés dans le parc privé et, dommage collatéral, tant la flambée des prix implique une très faible mobilité.
Si l’on suit la logique de la Cour, à la fin du CDD social, où trouveront les locataires éjectés à se loger sinon chez un marchand de sommeil ? Marseille est symptomatique de cette situation où des propriétaires peu scrupuleux, édiles parfois aussi, offrent des logements insalubres à des populations vulnérables sans autre alternative, ceci conduisant au drame de la rue d’Aubagne. Marseille, selon le rapport Nicol***, compte environ 40 000 logements potentiellement indignes, soit 13% des résidences principales.
L’autre solution pour les ménages les plus modestes, acheter à bas prix dans des secteurs qui périclitent déjà, avec le risque au moindre accroc de ne plus pouvoir rembourser traites et/ou charges de copropriété. La suite est connue.
Ce rapport ne propose donc aucune révolution copernicienne sur le logement sinon d’espérer un État bon gestionnaire. Rien n’est dit sur une plus forte implication des institutionnels du secteur, pas d’amorce de réflexion sur les organismes de foncier solidaire, ni sur les prix du foncier qui constituent un frein à la construction ni sur la politique du « tous propriétaires ».
En résumé, un rapport pour se féliciter que la loi Elan et la réforme des APL sont de bonnes mesures qui vont dans le bon sens****. Pourtant, trois ans après leur adoption malgré les contestations, personne ne peut dire que le secteur du logement va mieux. Nombreux sont au contraire ceux qui constatent la catastrophe.
Allo la cour ?
Julie Arnault
* https://www.ccomptes.fr/fr/publications/une-strategie-de-finances-publiques-pour-la-sortie-de-crise
** Lire également notre article Le logement, un sujet trop sérieux pour être laissé à Macron ?
*** https://marsactu.fr/logement-indigne-a-marseille-un-rapport-au-vitriol
**** Sur le cauchemar des allocataires des APL : https://www.mediapart.fr/journal/france/190621/la-reforme-des-apl-vire-au-cauchemar-pour-les-allocataires-et-ses-agents