Si les architectes sont parfois fiers de leur ouvrage, les lois de la parcellisation des tâches et de la sous-traitance font que ceux qui le construisent ont rarement connaissance de la nature du chantier auquel ils participent. Ils savent juste qu’il s’agit d’un métier pénible. Tribune.
Photographe d’architecture, les chantiers font partie de mon métier.
C’est toujours un plaisir d’arpenter ces lieux en devenir, instants éphémères, tableaux de compositions graphiques où se croisent les lignes des grues, les étaies, les ferraillages, le mouvement des engins, les sons superposés des machines tournantes, les impacts des marteaux, les signales sonores, la stridence des scies, le souffle du vent qui s’engouffre dans les espaces non clos, le paysage qui se dessine entre les structures en devenir.
Mais les chantiers sont aussi et surtout des lieux de travail où le corps est exposé.
Les manœuvres et les compagnons doivent faire face aux intempéries qui tannent la peau, aux postures difficiles et aux charges lourdes qui meurtrissent le dos, à la répétition de gestes qui traumatisent les articulations, à la poussière et aux émanations diverses qui attaquent les poumons. En un mot la pénibilité.
Si pour certains d’entre eux il y a une fierté de participer à l’édification d’une construction qui témoignera de leur savoir-faire, bien souvent, par les lois de la parcellisation des tâches et de la sous-traitance, ils n’ont pas connaissance de la nature de l’ouvrage auquel ils participent. La valorisation du travail et la reconnaissance sont rarement au rendez-vous.
Le bâtiment est un univers difficile pour ceux qui œuvrent au quotidien sur les chantiers. A la pénibilité s’ajoute pour certains le stress, ainsi le grutier, poste essentiel au sein du chantier, doit tenir les cadences tout en assurant la sécurité du matériel et du personnel au sol. A la pénibilité s’ajoute aussi les risques dus à la fatigue et aux tâches répétitives, le moment d’inattention qui précède l’accident du travail.
Alors peut-on encore travailler sur un chantier passé 60 ans ?
Comment peut-on imaginer appliquer les mêmes règles pour les droits à la retraite pour un cadre qui travaille dans l’immobilier et un ouvrier ?
Dans quelle société vivons-nous pour ne pas reconnaître l’importance, la qualité et les difficultés du travail manuel ?
Notre société fait plus grand cas des automobiles qui ont droit à des contrôles techniques réguliers afin de vérifier leur état et leur aptitude à rouler ! L’individu est-il juste bon à être mis au rebut après avoir été usé jusqu’à sa dernière extrémité ?
Jean Pierre Porcher
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