Un pied à Paris, l’autre à Chartres, Sophie Berthelier, architecte, membre de l’Académie d’Architecture, associée fondatrice de l’agence SBBT Architecture, revient sur son expérience du confinement. Elle y voit un temps d’adaptation et d’empathie, mais aussi de réflexion. Ou « comment le confinement amène à une autre perception du sens des mots ».
De mars à juin 2020, durant le confinement et jusqu’au déconfinement, l’Académie d’architecture a questionné ses académiciens et académiciennes quant à leurs réponses et réactions face à cette contrainte inattendue. Chroniques d’architecture publie neuf de ces entretiens.
Académie d’architecture – Comment l’agence Berthelier a-t-elle vécu l’annonce du confinement ?
Sophie Berthelier – J’ai mis mon équipe – nous sommes sept en tout – à l’abri quelques heures avant l’annonce du confinement par le Président de la République. C’était une prise de décision rapide. Tous les gros ordinateurs ont été déménagés. Un ou deux chez chaque collaborateur. Il a fallu ensuite une demi-journée pour tout connecter au serveur de l’agence.
Etiez-vous préparés au travail à distance ?
Nous avons deux adresses, l’une à Paris, l’autre à Chartres. Nous connaissions déjà les modalités du travail à distance ; nous ne sommes étrangers ni aux échanges de données, ni aux partages de fichiers ni aux « conf-calls ». Nous avons d’ores-et-déjà une boîte e-mail commune afin que tout le monde puisse tout savoir à tout moment et en tout lieu.
Je travaille aussi avec les mêmes collaborateurs depuis longtemps. Nous nous connaissons parfaitement. Grâce à nos habitudes, nous nous sentons déjà « connectés » les uns aux autres !
Je vois donc avec étonnement cette facilité avec laquelle nous travaillons ensemble, même retranchés chacun chez soi. Je note aussi que les mots, entre nous, ont plus de sens avec la distance.
Quelqu’un est-il présent physiquement à l’agence ?
Il n’y a personne. Il a seulement fallu s’y rendre une seule fois pour réparer une connexion au serveur. Sans quoi nous n’y allons pas.
Qu’en est-il de vos chantiers ?
Nous avons cinq chantiers qui sont à l’arrêt. Tout s’est fait au fur et à mesure. L’idée qu’ils puissent reprendre bientôt me laisse dubitative. Je me sens plutôt en accord avec le Conseil National de l’Ordre des Architectes sur ce sujet et l’UNSFA : nous ne devons pas prendre de risque. Un chantier ne se gère bien que dans la proximité. Le détail et les points d’accroche exigent une forme de promiscuité. Pour rouvrir les chantiers en tout sécurité, il faudrait pouvoir, par exemple, travailler rien moins qu’avec des caméras. Cela paraît impensable pour le moment… mais à l’avenir, pourquoi pas, avec des dispositifs adaptés.
La distance vous permet-elle d’œuvrer efficacement à des concours ?
L’agence a des études en cours, un concours en « stand-by » et un dossier DCE à compléter. Pour l’heure, nous ne travaillons réellement à aucun concours. Nous ne faisons qu’attendre les dates d’oraux pour des projets d’ores et déjà arrêtés.
Cela dit, je pense notre méthode de conception adaptée à la situation. Je débute, en effet, chaque projet comme un scenario. C’est une phase « écrite » qui donne lieu à un texte que je transmets ensuite aux collaborateurs de l’agence. Nous connaissant parfaitement les uns les autres, nous nous comprenons rapidement. J’aurais sans doute plus de difficultés à travailler de la sorte avec des collaborateurs fraîchement embauchés. Ce serait sans doute impossible.
Et la prospection ?
Nous tentons de répondre à des appels d’offres publics. Nous avons fait la semaine qui a suivie le confinement, six candidatures. Depuis, les propositions se sont faites bien plus rares. Par ailleurs, une candidature nécessite d’associer l’agence à des bureaux d’études techniques. Ceux avec qui nous avons l’habitude de travailler sont en chômage partiel…
La relation avec vos maîtres d’ouvrage change-t-elle ?
L’organisation n’est évidemment pas la même. Chaque « conf-call » est plus encore préparée puisque les échanges sont plus concis. Pour avancer, nous devons aller à l’essentiel. Je note aussi, chez nos interlocuteurs, plus d’empathie Les discussions me semblent même plus faciles. Je découvre une vraie solidarité.
A l’heure des échanges digitaux, le papier vous manque-t-il ?
Les traceurs sont restés à l’agence. Si nous travaillons moins avec le papier, chaque collaborateur de l’agence dispose d’un scanner et d’une imprimante. Tout est visualisé sur les écrans et les tablettes.
Pour ma part, je continue à faire des dessins, je travaille à la main. Nous trouvons des moyens pour partager tous les documents graphiques, de quelques natures qu’ils soient, via toutes les applications possibles (application TEAMS – WhatsApp – ZOOM- KROQI).
Si je dessine autant qu’avant, j’écris aussi beaucoup plus, notamment dans le cadre de mon association HQA, Haute Qualité Architecturale. L’ambition est de sortir un référentiel d’éléments d’architecture afin de combattre le trop plein de normes techniques qui nuisent au logement.
Vous sentez-vous, dans cette période difficile, productive ?
Absolument. Pour ce qui concerne l’association ou encore les projets de l’agence. En revanche, la partie « contact », autrement dit, la prospection, est plus difficile. C’est une perte conséquente qu’avait d’ores et déjà engagé la tenue des élections municipales, et ce depuis au moins six mois.
Comment voyez-vous l’après-crise ?
Le confinement est l’opportunité d’offrir plus de temps à la réflexion. Cette crise peut être, in fine, une expérience positive, une prise de conscience politique, y compris pour l’architecture. Ce que nous produisons, à mes yeux, ne suffit pas. Il nous faut pour le logement, plus d’espace, plus de hauteur. Je travaille, en ce sens, avec des médecins et des psychologues.
Par ailleurs, l’Académie d’architecture a proposé un sommaire pour l’après-crise. Dans ce cadre, je souhaiterais contribuer à la réflexion sur la qualité des espaces intérieurs en incluant aussi bien le thème du logement que celui du travail, voire du loisir, car tous ces espaces sont intimement liés entre eux. Ce moment doit être également l’occasion de remettre à plat le code de la construction. Nous sommes pris en otage de standards et de mauvaises dimensions. Il faut penser à sécuriser les logements et cet exercice passe, lui aussi, par la révision des volumes et des surfaces. De la crise doit naître, je l’espère, cette « haute qualité architecturale ».
Propos recueillis par l’Académie d’architecture
Entretien réalisé en juin 2020
Retrouvez les neuf entretiens de la série.