
La médiathèque François Mitterrand de la place du Nord à Tours (37), de l’agence Sophie Berthelier, Philippe Fichet et Benoît Tribouillet, n’est qu’un petit équipement culturel. Mais quand on porte en gros caractères sur sa façade un poème de Jorge Luis Borges, on affirme déjà son ambition. Reste à se montrer à la hauteur. C’est le cas. Découverte.
«L’idée de frontières et de nations me paraît absurde,» déclarait en 2001 Jorge Luis Borges lors d’un entretien au Monde Diplomatique. Ainsi est-il logique, sans doute, que les utilisateurs de l’ancienne bibliothèque du quartier de l’Europe à Tours aient choisi l’un de ses textes – Alexandrie, treize poèmes datant de 1978 – pour orner la façade Est de leur nouvelle médiathèque.
Ce quartier excentré de Tours est composé d’une place – la place du Nord, au pied d’un beffroi qui n’est qu’une ancienne chaufferie – entourée d’une haie de petits immeubles de trois étages, aux matériaux uniformes et d’aspect monotone. Encore cette notion de place n’existe guère – son statut est mal défini et relève davantage du parc de stationnement – si ce n’est peut-être le jour du marché où elle s’anime et vit. «Il fallait donc repenser l’ensemble, le transformer en un véritable lieu de vie attractif et ludique pour ce quartier qui trouvera ainsi une nouvelle identité,» assurent les architectes Sophie Berthelier, Philippe Fichet et Benoît Tribouillet (BFT pour les besoins de cet article, qu’ils nous en excusent).
«Le site d’implantation de la médiathèque restructure l’angle des rues de Jemmapes et de Tourcoing et vient cadrer le futur parvis où arriveront les transports en commun,» disent-ils. Sans doute. Jean Germain, maire de Tours et président de la Communauté d’agglomération Tour(s)plus, maître d’ouvrage, avait une exigence plus modeste : «la médiathèque devait devenir l’icône contemporaine d’un quartier manquant de repères et d’image projetée,» explique-t-il. Mais c’est ailleurs que se trouve la clé de la réussite de ce petit équipement culturel chargé à lui seul de dynamiser un quartier.

«L’idée était d’écrire une histoire autour de ce quartier, de faire lire ce bâtiment, utiliser les mots en tant que matière ; c’est une idée banale mais pas dans ce quartier où les gens n’ont pas l’habitude d’aller à la bibliothèque,» explique encore BFT. Alors, que devant la façade Est, un paravent de ventelles de verre orientable soit sérigraphié d’une multitude de mots issus du texte du poète argentin n’est pas tout à fait une surprise. Dans ce quartier, peut-être, mais depuis quelques années déjà la calligraphie envahit les façades parisiennes – qu’il s’agisse notamment de l’immeuble du Monde ou du Mémorial de la paix – et il n’est que justice que la tendance arrive en province. Que ce texte se prolonge au plafond ondulé de l’étage de la médiathèque, invitant les visiteurs à lever la tête, est une bonne idée. Mais ce n’est pas là encore que se trouve la véritable inspiration de ce bâtiment.
A noter cependant que ces ventelles en façade – sérigraphiées ou non – sont une trouvaille dans le sens qu’elles participent, ainsi que d’autres détails, à la ventilation du bâtiment et à son impact en terme de durabilité. Et les grandes lettres du texte de Borges, qui couvrent 50% de la surface, participent à la protection solaire. «Un souci constant d’économie d’énergie et de maîtrise des coûts est manifeste dans tout le bâtiment,» assurent les architectes à juste titre. «L’adoption de la double-enveloppe ouverte supprime les effets du vent et le phénomène de pont thermique. L’utilisation passive de l’énergie solaire, un maximum d’éclairage naturel, une maintenance aisée, confort acoustique, l’optimisation des performances des matériaux renforcent le principe de qualité environnementale recherché dans le bâtiment. Les protections solaires sont composées de plaques en PMMA permettant le contrôle efficace de la luminosité et de la chaleur. Un auvent protège les parvis nord et sud. Les inclusions et la sérigraphie jouent un rôle esthétique, mais constituent aussi des filtres évitant les effets de serre ainsi qu’une protection contre les dégradations et les graffitis,» disent-ils. Les panneaux en résine incrustés de copeaux de bronze jouent le même rôle. La climatisation n’est pas prévue mais les gaines ont été installées «au cas où». Les employés de la médiathèque, qui avaient déjà pris position des lieux lors de la visite de presse, en apprécient le confort. Mais sa qualité durable, qui est loin d’être négligeable – ne nous méprenons pas – n’est pas ce qu’il y a de plus remarquable dans ce bâtiment.
«Refusant l’ostentatoire, l’idée qui a présidé à la conception est celle d’une feuille de papier… La forme de la médiathèque devait en avoir la légèreté, la souplesse, la fluidité, la modularité. Exprimée par une volumétrie en courbe, elle se parachève dans le choix de matériaux qui répondent parfaitement à la recherche d’alternance entre opacité et transparence, cultivant l’aspect flou d’un papier japon qui filtre, puis diffuse une lumière dorée et imprécise,» expliquent BFT. Soit.

Le programme prévoyait quatre entités spécifiques sur seulement deux niveaux de surfaces différentes : au rez-de-chaussée la salle de consultation destinée aux enfants, une salle de projection et de débats, les services administratifs et, à l’étage, la bibliothèque adultes et adolescents, un espace multimédia images et son. Cette dernière salle de lecture fait le tour du site, offre des «tableaux sur le quartier» et le plafond imprimé en toile tendue réaffirme que l’on peut détourner et mettre en scène les matériaux les plus simples. Les panneaux sandwiches en métal perforé de catalogue, repeints en noir et en bronze allient ainsi une fonctionnalité tant acoustique qu’esthétique. Et on s’approche enfin là de ce qui rend ce bâtiment si accueillant et si intéressant, voire sympathique.
En effet, cette économie de moyen, loin d’être seulement une contrainte, est ici une jouissance ; non pas celle de l’architecte béat devant sa créativité mais celle qui naît, avec tout le détachement liée à la nature professionnelle de l’acte, d’être parvenu à exprimer auprès des gens du quartier un véritable respect et une générosité non feinte. Et ce sont les panneaux des façades qui en témoignent absolument. Si l’enveloppe principale est composée d’un mur rideau de panneaux de verre réfléchissants ou opaques et d’inox poli miroir, sur les flancs de la médiathèque une paroi transparente en méthacrylate «épouse, en s’en distanciant, les formes galbées, magnifiée par la lumière qui vibre sur des copeaux de bronze doré récupérés chez un ferrailleur et inclus dans la matière. Un écran uniforme passe, comme une feuille diaphane, devant d’autres panneaux vitrés et des murs opaques, suggérant l’intérieur tout en isolant les salles de consultation de l’extérieur, sans que les limites ne soient jamais parfaitement définies. Un jeu de double peau qui masque et révèle, intrigue et appelle à la réflexion». Ainsi parlent donc des architectes.
Au final, ces copeaux de récup aux formes improbables, sertis dans des panneaux en résine «moins froids que le verre» indiquent aux habitants de la place nord du quartier de l’Europe qu’ils ont droit autant que quiconque à la richesse, non formelle mais implicite en ce lieu de culture, que l’on a considéré qu’ils savaient être subtils et qu’à partir d’une vieille vis en bronze, ils pouvaient prendre un raccourci jusqu’à la création et l’abstraction, qu’elle fut architecturale n’étant ici qu’un détail. Bref, que ce lieu morne était plus qu’une place insipide parce qu’elle devenait encore mieux leur place car eux seuls, au-delà de l’usage, sauront au fil des jours en découvrir de nouveaux détails sans cesse renouvelés. C’est là tout le travail d’un architecte sans doute.

D’ailleurs la façade ouest, tout en métal, permet au quartier de se réfléchir dans sa médiathèque. D’ailleurs, BFT a imaginé un «entre-deux», espace n’appartenant ni à la médiathèque, ni à l’espace public, et permettant, par son épaisseur «de donner une sorte de monumentalité dans la profondeur qui rappelle la vocation d’équipement public de cette architecture ; on se trouve dans un monde à part, multiforme, ni intérieur, ni extérieur, qui filtre et isole du bruit et des températures extérieures». C’est le maître d’ouvrage qui a choisi de bloquer les accès de ces espaces un peu mystérieux, protégés et ouverts, propices aux secrets et confidences dans une agora où rien ne peut échapper aux regards inquisiteurs des voisins-voisines.
«L’usage de matériaux authentiques, issus ou dérivés des circuits de fabrication industrielle, endurants et faciles d’entretien» (dixit BFT) peut bien avoir présidé aux choix constructifs, Jean Germain, le maire, ne s’y est pas trompé. «Le quartier de l’Europe, quartier à l’architecture monumentale, fermé sur lui-même, disposait du potentiel démographique et économique pour devenir l’un des centres de l’agglomération. Il lui manquait sans doute le rayonnement et peut-être la fierté nécessaires pour occuper ce rôle. Beaucoup a déjà été fait mais la médiathèque marque un point de bascule dans ce processus d’affirmation et de polarisation. Avec elle, la ville reprend ses droits,» dit-il. Le hall d’entrée, entièrement vitré, lumineux et accueillant, est aussi le lieu d’expositions temporaires ; il irrigue l’ensemble des services. Et la rénovation de l’ancienne chaufferie – le beffroi – en logements sociaux a été confiée à BFT.
Alors oui, quand on y pense, l’idée de frontière, d’ailleurs récente à l’échelle de l’homme, est absurde. Et ce n’est pas Jean Vilar qui, ici, nous dira le contraire.
Christophe Leray

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 6 février 2008