Les présidents américains, quand ils ont quitté le pouvoir, construisent via une fondation leur propre ‘Presidential Library’. La dernière en date est celle de Barak Obama à Chicago dont le chantier vient de commencer. Que font pour leur part les ex-présidents français en guise de ‘bibliothèque présidentielle’ ? Ils font, et encore pas tous, des musées qui ne payent pas de mine. Explications.
En mai 2007, Barak Obama a fièrement annoncé la naissance de sa ‘presidential library’, ouvrage conçu par l’agence new yorkaise Tod Williams and Billie Tsien architects. Au-delà du design, c’est son lieu d’implantation, en continuité de Jackson Park, dans le sud de Chicago, qui en dit long des intentions de l’ex-président. Pour Barak Obama, l’architecture n’a rien perdu de sa force politique.
Il faut noter cependant que la traduction de ‘library’ par bibliothèque est ici impropre car il ne s’agit le plus souvent que d’un lieu d’exposition de tous les cadeaux, présents, objets et tributs offerts par les dignitaires du monde entier au président en exercice. Une tradition qui remonte à Herbert Hoover, le 31ème président des Etats-Unis (1929-1933). Il n’avait pourtant fait qu’un seul terme.
Il est néanmoins question de ‘Library’ car elles sont toutes reliées à l’administration officielle qui gère les documents écrits, confidentiels ou non, de chaque président, le National Archives and Records Administration (NARA). Pour ces ex-présidents, l’architecture devient l’écrin dans lequel exposer auprès de leurs concitoyens les dons qu’ils ont reçus en leur nom. De fait, l’entrée de ces ‘musées’ est souvent peu onéreuse, voire gratuite.
Barak Obama a donc prévu sa ‘library’ à Chicago évidemment. Ce qui change des ‘Presidential libraries’ de cambrousse, comme celle des Bush père et fils au Texas ou celle de Clinton à Little Rock, Arkansas. Jimmy Carter, pourtant un planteur de cacahouètes, a construit la sienne dans le centre d’Atlanta en Georgie. Preuve de l’importance désormais de ces institutions, en mai 2012, la fondation Ulysses S. Grant, 18ème président américain et pourtant mort depuis 1885, a choisi la Mississippi State University pour accueillir la ‘Ulysses S. Grant’s presidential library’.
Et Trump, il fera sa ‘Library’ à Moscou ? Dans les coffres du Kremlin ?
Y a-t-il en France un équivalent à ces ‘bibliothèques’ présidentielles ? C’est vrai quoi, chacun n’est-il pas curieux de découvrir les cadeaux reçus par nos élus ? Toucher du doigt par exemple la fameuse chapka kazakhe de François Hollande ne vaut-il pas le ticket d’entrée ? Cette ‘presidential library’ n’aurait même pas besoin d’être très grande, elle pourrait être à l’échelle de la France
Force est pourtant très vite de constater, différence culturelle sans doute, que les ex-présidents français ne font pas de ‘library’ mais des musées, et encore.
Attention à la confusion. Certes Beaubourg et le Musée Georges Pompidou ne font qu’un. Certes Jacques Chirac a son musée, le quai Branly à Paris, mais il ne fut renommé à son nom que récemment et ce n’est pas un musée destiné à illustrer la présidence de Jacques Chirac. De même, il fut question de renommer le musée d’Orsay Musée Valéry Giscard d’Estaing parce qu’il en fut l’initiateur. Si la mode devient de donner à un musée le nom d’un ex-président, il faudra bientôt renommer Musée Nicolas Sarkozy le musée de l’histoire de l’immigration ? Ou est-ce le musée de l’histoire de France ? Ou les deux ? Et faut-il, en l’honneur de sa gourmandise, rebaptiser le Musée du bonbon à Uzès musée François Hollande ?
Toujours est-il que ces équipements publics, financés par le public, ne font pas des musées ‘du quinquennat’ au sens où l’entendent les Américains et, dans ce cadre, pour ce qui concerne nos présidents français, on est loin, très loin, du geste présidentiel américain.
Une mention particulière cependant pour le musée du président Jacques Chirac, signé de Jean-Michel Wilmotte. Il est situé à Sarran, Corrèze, à 30 km de Tulle, et abrite «la collection des objets offerts à Jacques Chirac dans l’exercice de ses fonctions de président de la République française». Jacques Chirac l’a inauguré lui-même en décembre 2000. Pour avoir vécu aux Etats-Unis, Jacques Chirac avait compris et l’esprit et la lettre d’une ‘bibliothèque présidentielle’.
François Mitterrand fut à cet égard moins démonstratif mais sans doute le plus prolixe, et presque aussi proche que Jacques Chirac de l’esprit de la ‘presidential library’. Compter ainsi un Musée du Septennat à Château-Chinon, «une sélection de livres» déposée à la bibliothèque Jean-Jaurès à Nevers, «un ensemble de tableaux» offerts au Musée… de Clamecy et, surtout, enfin, aménagé dans un ancien chai de Cognac, le musée François Mitterrand de Jarnac.
Ce musée est composé de deux parties : une salle des Donations, ce qui, comme son nom l’indique, correspond peu ou prou à la vision américaine de l’ouvrage – montrer les cadeaux reçus -, et la salle des Architectures Capitales qui comprend les maquettes des projets et des pupitres d’informations sur les Grands Travaux réalisés par le président entre 1981 et 1995.
Voilà un président français qui aimait l’architecture et qui avait le sens de l’histoire, petite et grande. L’occasion d’apprendre que, quant à lui, François Mitterrand offrait toujours le même cadeau officiel à ses hôtes étrangers, une mappemonde qu’il avait fait personnaliser en y notant les lieux français qui lui étaient chers : Jarnac, Château-Chinon, Latché et Solutré. Si ça se trouve, il doit y avoir deux ou trois de ces globes dans les ‘presidential library’ américaines ou les coffres du Kremlin. Se souvenir que c’est l’architecte Fernand Pouillon qui sut répondre à la passion du président.
Quoi qu’il en soit, aucun de ces petits ‘musées’ mitterrandiens n’a vocation, à l’instar de la Library d’Obama à Chicago, à devenir un élément architectural structurant propre à transformer un quartier de ville.
Que dire du musée de Valéry Giscard d’Estaing. Depuis 2010, le château d’Estaing, dans l’Aveyron, retrace dans une salle ouverte au public la jeunesse de l’ancien président, de sa naissance à Coblence en 1926 jusqu’au 19 mai 1974 à 19 h 58, deux minutes avant l’annonce de son succès à la présidentielle. «Le visiteur découvre les uniformes de polytechnicien et de militaire de Valéry Giscard d’Estaing, sa tenue de footballeur, le tee-shirt de la campagne de 1974 ‘Giscard à la barre’, sans oublier un accordéon», nous apprend Le Point. Sa tenue de footballeur !!!! Un tee-shirt !!!!! Et rien sur les avions renifleurs ? A quoi ça tient la grandeur d’un président de la république française…
Un château, c’est encore mieux que rien. Pas de musée Nicolas Sarkozy par exemple, pas même à Neuilly. Ils sont passés où les cadeaux de Poutine et Kadhafi ? Au garage, dans des cartons ? Pour François Hollande, apparemment rien de prévu non plus. Un ‘musée’ à Tulle peut-être… ? Si le conservateur des collections parvient à récupérer le casque et le scooter, il sera dit que ce président ne manquait pas d’humour. Mais à ce jour, qui a entendu parler d’un projet dédié ?
Georges Pompidou a son nom sur plusieurs grands équipements culturels, celui de Shigeru Ban et Jen de Gastines en Lorraine s’appelle même sobrement Pompidou-Metz, c’est dire la classe. Mais un musée Georges Pompidou ? Pas un ! Pourtant, le président poète a bien dû recevoir quelque chose de la part d’Alexeï Kossyguine et de Richard Nixon. Indira Gandhi, elle est venue sans rien à L’Elysée ? Où sont-ils ces objets ? Ne sont-ils pas dignes d’intérêt ? A moins que les collections personnelles et privées peut-être… Toujours est-il qu’il n’y a pas de musée Georges Pompidou, même pas un à Montboudif, dans le Cantal, où il est né ! Même pas un tout petit !
Le grand Charles avait lui aussi le sens de l’histoire et un grand musée lui est à juste titre consacré. Sauf que l’essentiel des expositions tend à montrer tout ce qu’a donné le grand homme à l’humanité mais en dit peu de ce qu’il a reçu de la part de ses confrères maîtres du monde, à part des médailles, lors de leurs rencontres. Quand Staline distribuait du caviar, qu’en faire ? Le manger quand il est frais ou le momifier pour une future ‘library’ présidentielle ? En pleine guerre mondiale, avec les Uboat allemand qui rodaient dans l’atlantique, ses cigares, il les avait comment Churchill ? De Gaulle devait bien le savoir.
Quant à Emmanuel Macron, qui sait ? Peut-être aura-t-il lui aussi une ‘presidential library’, installée dans une station, très loin en orbite de Jupiter.
Bref, exactement à l’inverse de leurs homologues américains, la plupart des présidents français ne laissent rien de tangible derrière eux mais s’accrochent à la politique. Et pour les petits cadeaux, nul n’en saura plus. Où est-elle la chapka ? A prendre la poussière à l’inventaire dans un sous-sol sombre ? C’est le dictateur Kazakh qui doit être content ! Si ça se trouve, François Hollande l’a gardée pour aller à la neige avec ses ami(e)s sans craindre le froid. Qui pour lui en vouloir ?
Une dernière remarque, ce sont leurs fondations qui financent les ‘Libraries’ des présidents américains. Même après avoir quitté le pouvoir, il demeure suffisamment de bonnes âmes pour jouer les mécènes en leur nom. Du coup, les ex ont les moyens de faire appel à des architectes, souvent de renom, et la ‘library’ devient en elle-même une destination, surtout dans des endroits comme Little Rock, Arkansas, ou, pour celle d’Eisenhower, Abilene, dans le Kansas.
Dans l’Hexagone, la non architecture impose le constat que quand le président quitte l’Elysée, les amis se font rares, surtout pour financer un énième musée machin truc. Alors, en France, pour le geste architectural des ex-présidents en hommage au travail accompli, il faut attendre qu’ils aient fait beaucoup, beaucoup de conférences.
Christophe Leray